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Culture - Dénomination des salles de spectacle : déposer la marque ne suffit pas

S'il y a bien un domaine où le droit de la propriété intellectuelle trouve à s'appliquer et suscite de multiples débats, c'est bien celui de la culture. Pourtant, les acteurs culturels - à commencer par les collectivités territoriales - oublient parfois que ce droit ne s'applique pas seulement aux oeuvres de l'esprit. Il concerne aussi le nom des équipements culturels (ou sportifs), comme le rappelle la mésaventure que vient de connaître la communauté d'agglomération de Châteauroux (Indre, 76.000 habitants). En octobre 2007, celle-ci inaugure sa nouvelle salle de spectacles modulable, permettant d'accueillir jusqu'à 3.500 personnes. Lors de la phase de construction, un concours lancé auprès des habitants avait permis de choisir pour la salle le nom "Le Tarmac". Un choix logique, puisque cet équipement se situe à proximité immédiate de l'aéroport de Châteauroux. La Communauté d'agglomération castelroussine (CAC) prend même bien soin de déposer la marque "Le Tarmac" à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi), en particulier dans la classe 41 (éducation, formation, divertissement, activités sportives et culturelles). Celle-ci est enregistrée le 25 octobre 2005 et publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle (Bopi) le 9 décembre de la même année.
Quelques années plus tard, la CAC a pourtant la surprise de se voir assignée en justice par Le Tarmac de La Villette, une salle de théâtre parisienne. La collectivité ne s'inquiète pas outre mesure. Elle constate certes que cette salle de théâtre a bien déposé, elle aussi, la marque "Le Tarmac" dans les mêmes classes - ce qui est parfaitement possible, l'Inpi n'étant pas habilité à vérifier la disponibilité des marques déposées -, mais ce dépôt est intervenu après le sien (enregistrement du 11 octobre 2007 et publication au Bopi du 3 mars 2008). Elle pense donc bénéficier de l'antériorité et avoir protégé sa marque. Pourtant, la CAC est condamnée en première instance. Elle introduit un recours et vient à nouveau de perdre en appel. Dès lors, la salle renonce à son nom et se rebaptise provisoirement "La salle de l'aéroport", avant de trouver une nouvelle dénomination, dont on imagine aisément qu'elle sera entourée de toutes les précautions possibles. Coût de l'opération : 40.000 euros (enseigne, modification du site internet, des programmes, de la signalétique...), sans compter les frais de justice.

De la disponibilité de la marque à la disponibilité du signe

Comment un tel revers est-il possible alors que la CAC a incontestablement été la première à déposer la marque "Le Tarmac" ? Les jugements de première instance et d'appel n'ayant pas été publiés, il n'est pas possible d'en connaître les attendus. Mais il n'est pas très difficile de deviner ce qui s'est passé. Tout d'abord, dans un domaine aussi complexe que le droit de la propriété intellectuelle, la partie ne s'est sans doute pas jouée à armes égales. Un rapide survol des deux fiches d'enregistrement respectives montre en effet que la CAC a déposé elle-même la marque "Le Tarmac" auprès de l'Inpi. Alors que c'est un cabinet d'avocats parisiens spécialisé dans le conseil en propriété intellectuelle qui a déposé celle du théâtre de La Villette.
Mais, surtout, la CAC aurait dû lire plus attentivement la brochure de l'Inpi intitulée "La marque : tout ce qu'il faut savoir avant de déposer une marque" (voir lien ci-contre). Elle y aurait lu notamment que "d'une manière générale, une marque est disponible quand elle ne reproduit ou n'imite pas un signe qui bénéficie d'un droit antérieur dans le même domaine d'activité. Si votre marque n'est pas disponible, elle pourra être contestée à tout moment par les propriétaires de ces droits. Cela peut être une marque déjà déposée, une marque très connue mais non déposée (marque notoire), une dénomination sociale, un nom de domaine". Or un rapide coup d'oeil sur le site des registres de commerce Infogreffe permet de constater qu'il y est immatriculé, depuis le 7 mars 1985, une SARL dénommée Le Tarmac de La Villette qui exploite un théâtre sur le site. Celui-ci s'est longtemps appelé Théâtre international de la langue française, avant de se rebaptiser du nom de la société qui l'exploitait. Comme l'explique suavement la brochure de l'Inpi : "Lorsque l'on envisage de déposer une marque, il est nécessaire de s'interroger au préalable sur la disponibilité du signe que l'on souhaite protéger. Cette vérification ne constitue pas une obligation légale. Mais ne pas le faire est risqué..." A bon entendeur... 

 

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