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Culture - Une collectivité propriétaire d'une oeuvre n'a pas le droit de la détruire

Etre propriétaire d'une oeuvre d'art ne dispense pas de respecter le droit moral de l'artiste. La ville de Bordeaux vient de l'apprendre à ses dépens, à travers un jugement du tribunal administratif. La mairie n'ayant pas fait appel, ce jugement est aujourd'hui définitif. L'affaire concerne une sculpture implantée en 1995 en bordure de la Garonne, dans le cadre du deuxième "Salon du lire". Baptisée le "Batransiteau", cette oeuvre était constituée d'un grand bloc de béton légèrement surélevé et entouré de cordes, symbolisant l'activité portuaire du quartier du Bacalan. Elle avait été achetée à l'époque par la ville à deux artistes locaux, pour un prix équivalent à 5.000 euros. Sept ans plus tard, les deux artistes constatent par hasard la disparition de leur oeuvre. Après enquête, ils finissent par la retrouver dans un terrain en friche, vaguement ressoudée après avoir été découpée en morceaux. Ils se tournent alors vers la mairie, qui évoque seulement "quelques détériorations" et explique que la sculpture a dû être déplacée pour permettre un aménagement paysager. La ville fait également valoir que l'enlèvement a été dicté par les nécessités de la sécurité publique, le socle n'étant pas sécurisé. Faute d'un accord amiable, l'affaire est portée devant le tribunal administratif de Bordeaux. Comme on pouvait s'y attendre, celui-ci donne raison aux deux plaignants et condamne la ville à leur verser des dommages-intérêts, au demeurant relativement modestes. Constatant que l'accord des artistes n'avait pas été sollicité avant la destruction de fait de l'oeuvre, le jugement considère que, si la mairie était en droit de déplacer la sculpture dans le cadre d'un aménagement paysager, elle n'a apporté à aucun moment la preuve de la nécessité de l'endommager à ce point pour atteindre cet objectif.
Ce jugement du tribunal administratif s'appuie en effet sur l'article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle. Celui-ci dispose que "l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial [...]". Cet article à déjà donné lieu, en 1981, à un arrêt beaucoup plus célèbre, qui fait désormais jurisprudence : le jugement de la cour d'appel de Versailles - rendu après l'annulation d'une première décision contraire par la Cour de cassation - qui condamnait Renault pour avoir détruit le "Salon d'été" installé par Jean Dubuffet dans les jardins du siège social de l'entreprise à Boulogne.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

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