Droit d'auteur - Le respect du droit moral de l'architecte sur son oeuvre
Le Conseil d'Etat vient de rappeler les obligations des personnes publiques en ce qui concerne les modifications d'un édifice architectural. Les architectes sont en effet des créateurs dont les oeuvres relèvent du droit d'auteur. L'affaire concerne le stade de football de La Beaujoire dont la conception et la construction ont été confiées par la ville de Nantes en 1982, à l'architecte Berdje Agopyan. A la suite de travaux de rénovation et d'agrandissement du stade qui auraient été irrégulièrement réalisés par la ville pour accueillir les matches de la Coupe du monde de football en 1998, l'architecte a obtenu du tribunal administratif de Nantes, la condamnation de la ville à lui verser en 2001, la somme de 100.000 francs (soit 15.244,90 euros) en réparation de son préjudice moral ce que la cour administrative d'appel de Nantes a annulé en 2003 en considérant que l'architecte ne pouvait "prétendre imposer au maître de l'ouvrage une intangibilité absolue de son œuvre" lorsqu'en particulier des travaux sont légitimés par les nécessités du service public. L'architecte s'est alors tourné vers le Conseil d'Etat qui lui a donné raison. Il a jugé "qu'en se bornant à constater que la transformation du stade de La Beaujoire opérée par la ville de Nantes avait eu pour effet d'améliorer la sécurité de l'ouvrage sans rechercher si les travaux avaient été rendus strictement indispensables par des impératifs notamment de sécurité légitimés par les nécessités du service public, la cour a commis une erreur de droit". Or en l'espèce, les impératifs techniques et de sécurité publique invoqués par la ville de Nantes ne permettaient pas de justifier du caractère indispensable de l'atteinte portée à l'œuvre de l'architecte dès lors qu'un rapport d'expertise indique qu'il existait d'autres solutions que celle retenue par la ville pour accroître la capacité du stade sans dénaturer le dessin de l'anneau des gradins. La ville a donc été condamnée à verser à l'architecte 15.244,90 euros en réparation de son préjudice moral ainsi que 5.000 euros au titre des frais de procédure. Cette décision peut être rapprochée de celle rendue par la Cour de cassation à propos de travaux d'aménagement intérieur de la salle polyvalente de la ville de Lille qui ont conduit à dissimuler, par un faux plafond, la coupole caractéristique de l'ensemble architectural pour résoudre les problèmes d'acoustique (Cass. civ. 1re, 1er décembre 1987).
Des solutions de compromis
Mais la jurisprudence retient la plupart du temps, des solutions de compromis en tenant compte de la vocation utilitaire des ouvrages commandés à un architecte en lui interdisant de prétendre imposer une intangibilité absolue de son œuvre et en autorisant le propriétaire à apporter des modifications lorsque se révèle la nécessité de l'adapter à des besoins nouveaux. Ainsi, il a été jugé que l'extension de l'école communale, par l'adjonction de deux classes supplémentaires (CAA Nantes, 13 mars 1996) et la rénovation d'une préfecture par l'adjonction d'une nouvelle salle des séances du conseil ne portaient pas atteinte au droit moral de l'architecte (CE, 6 mai 1988, département du Morbihan).
On peut également se demander si la solution aurait été la même sous l'empire de la loi Dadvsi qui, tout en reconnaissant aux agents publics (Etat, collectivités territoriales et établissements publics à caractère administratif) la qualité d'auteur, limite l'exercice des droits moraux de l'agent de manière à ne pas entraver le fonctionnement du service public. En toute hypothèse, la question ne se pose que pour les architectes ayant le statut de fonctionnaire ou d'agent public, ce qu'on ignore dans le cas de Berdje Agopyan.
Laurence Tellier-Loniewsk / Cabinet Alain Bensoussan