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Commande publique - Demander un échantillon, est-ce cacher un sous-critère ?

Dans un arrêt du 23 mai 2011, le Conseil  d'Etat s'est prononcé sur une question inédite  : l’utilisation d’échantillons gratuits pour apprécier la valeur technique des offres peut-elle révéler l’existence d’un sous-critère caché ?
Dans cette affaire, une commune avait engagé une procédure d’appel d’offres ouvert  pour acheter des panneaux de signalisation. Le règlement de consultation des entreprises prévoyait que les offres seraient appréciées "à raison de 40% pour la valeur technique, 40% pour le prix et 20% pour les délais de fabrication et de pose". De plus, comme le prévoit l’article 49 du Code des marchés publics, la collectivité demandait aux candidats d’accompagner leurs offres d’échantillons gratuits des produits proposés.
A la demande d’un concurrent évincé, la commune a indiqué qu’elle avait "apprécié la valeur technique des offres en se fondant à hauteur de deux tiers sur les échantillons et à hauteur d’un tiers sur les mémoires techniques". De ces propos, le candidat non retenu tire la conclusion que le critère de la valeur technique a été décomposé en deux sous-critères, eux-mêmes pondérés mais non prévus aux documents de la consultation. Il demande donc au juge administratif d’annuler la décision d’attribution du marché.

Quelle est la nature des échantillons ?

Dans un premier temps, la Cour administrative d’appel  a donné raison  au candidat évincé : elle a considéré que "l’appréciation des échantillons était constitutive d’un sous-critère du critère de la valeur technique". Les échantillons n’ayant pas été prévus par le règlement de consultation, la commune ne pouvait donc pas les prendre en considération.
Mais le rapporteur public du Conseil d'Etat  n'a pas été du même avis : selon ses conclusions,  l’utilisation des échantillons n’était constitutive que d’une "simple" méthode de notation des offres. Les échantillons demandés ne servaient pas à déterminer les qualités attendues de la chose mais constituaient seulement un moyen de l’évaluer. De plus, l’échantillon n’intervenait que pour une part seulement dans le jugement de la valeur technique, l’autre part étant représentée par le mémoire technique. Enfin, le fait qu’il y ait pondération ne suffit pas à démontrer l’existence d’un sous-critère caché. Selon le rapporteur public, la Cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en assimilant les échantillons à un sous-critère de la valeur technique.
Or savoir s'il s'agit d'une méthode de notation ou d'un sous-critère est important : la personne publique n’est pas soumise aux mêmes obligations d’information vis-à-vis des candidats. Dans un arrêt du 31 mars 2010,  le Conseil d'Etat a précisé que si le pouvoir adjudicateur est tenu d’indiquer, dans l’avis d’appel public à la concurrence ou le règlement de consultation, les "critères et sous-critères d’appréciation des offres" ainsi que leur pondération ou hiérarchisation, il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la "méthode de notation" retenue.
La mauvaise nouvelle, c'est que l’arrêt du 23 mai 2011 ne tranche pas définitivement la question : les magistrats ont annulé la procédure sur un autre motif (l'entreprise retenue n'avait pas fourni un planning)  et donc n’ont pas clairement pris position sur le sujet. On saura seulement que les juges du fond auraient dû rechercher "si la prise en compte des échantillons révélait un critère distinct de celui de la valeur technique et n’était pas constitutive d’une simple méthode de notation des offres pour l’appréciation du critère de la valeur technique".

Références : Conseil d’Etat, 23 mai 2011 , Commune d’Ajaccio, affaire n° 339406; Conseil d’Etat, 18 juin 2010, Commune de St Pal de Mons, affaire n° 337377; Conseil d’Etat, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, affaire n° 334279.

Critères et sous-critères d’appréciation des offres, quelles obligations ?

"Pour les marchés passés selon une procédure formalisée autre que le concours et lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération." En revanche, lorsque la pondération est impossible, notamment du fait de la complexité du marché, les éléments de référence doivent être classés par ordre décroissant d'importance (article 53 II du Code des marchés publics).
Afin d’assurer le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation doivent être indiqués dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation.
La même obligation s’applique aux sous-critères "dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection" (Conseil d’Etat, 18 juin 2010, Commune de St Pal-de-Mons).