Archives

Commande publique - Délai de "stand still" : une partie de l'article 80 du Code des marchés est censurée

Le Conseil d'Etat a considéré, dans un arrêt du 1er juin 2011, que les dispositions de l'article 80-I-2°-a) du Code des marchés publics (CMP) étaient incompatibles avec les "objectifs" de la directive Recours du 21 décembre 1989. Cette décision devrait conduire le gouvernement à modifier le CMP, vraisemblablement dans le cadre du décret  modifiant le CMP dont la publication est prévue fin juin. La Haute Juridiction administrative précise également qu'en cas d'allotissement, le pouvoir adjudicateur ne peut  jamais contraindre les candidats à présenter une offre pour tous les lots du marché... car dans ce cas cela ne sert pas à grand chose d'allotir !

Rappel des règles à respecter en cas d'allotissement

L'office public de l'habitat (OPH) d'Amiens avait lancé un appel d'offres relatif au dépannage et à l'entretien de ses ascenseurs. Le marché était divisé en trois lots et le règlement de consultation imposait aux candidats de répondre à l'ensemble des lots, "à peine de rejet de leur offre". La société Kone a répondu à l'appel d'offres en se contentant de déposer un dossier pour les seuls lots 2 et 3. L'office a donc informé l'entreprise que son offre ne respectait pas les prescriptions du règlement de consultation et qu'elle avait été rejetée par la commission d'appel d'offres.
La société a d'abord saisi le juge des référés précontractuels. La requête a toutefois été écartée car l'OPH avait déjà signé les contrats, sans respecter le délai de suspension ("stand still") prévu à l'article 80 du CMP. Le candidat évincé a donc attaqué les contrats devant le juge des référés contractuels. Celui-ci a considéré que si l'OPH avait bien commis des manquements, ceux-ci n'avaient pas "affecté les chances de la société d'obtenir les contrats".
Saisi du litige, le Conseil d'Etat n'est pas du même avis. Il rappelle que l'allotissement prévu par l'article 10 du CMP est destiné "à favoriser une plus large concurrence" et que lorsqu'il décide de passer un marché en lots séparés, "le pouvoir adjudicateur ne peut, dans les documents de la consultation, contraindre les candidats à présenter une offre pour chacun des lots du marché". Une clause illégale, qui a bien affecté les chances de la société Kone d'obtenir les contrats.

Incompatibilité de l'article 80-I-2°-a) avec la directive Recours

L'OPH soutenait en outre que l'exception prévue par le a) du 2°) du I de l'article 80 du CMP lui permettait de ne pas respecter de délai de suspension de signature entre la date d'envoi de la notification du rejet de son offre au candidat évincé et la date de conclusion des contrats. Cet article prévoit en effet que le délai de suspension de 16 jours - ou de 11 jours en cas d'envoi électronique - n'est pas exigé "dans le cas des appels d'offres ou des marchés négociés, lorsque le marché est attribué au seul candidat ayant présenté une offre répondant aux exigences indiquées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation".
Certes.... mais cette disposition du Code des marchés publics ne respecte pas la directive Recours  du 21 décembre 1989, estime le Conseil d'Etat.   "Le seul soumissionnaire concerné au sens de l'article 2 bis, paragraphe 2, de la présente directive est celui auquel le marché est attribué et en l'absence de candidats concernés."
Selon les juges, cette dispense ne permet pas au pouvoir adjudicateur "de s'affranchir du respect de ce délai de suspension dans d'autres cas, notamment dans celui où le contrat a été attribué au seul candidat s'étant conformé aux documents de la consultation". En ouvrant cette faculté au pouvoir adjudicateur, les dispositions du a) du 2°) du I de l'article 80 du CMP "méconnaissent les objectifs des articles 2 bis et 2 ter de la directive du 21 décembre 1989 modifiée" et sont par conséquent jugées "incompatibles" avec le droit communautaire.
D'où l'annulation des marchés en cause... avec un petit délai pour éviter que les ascenseurs de ces logements HLM ne soient plus dépannés ni entretenus jusqu'à ce que l'office trouve une nouvelle entreprise.

L'Apasp

Références : Conseil d'État, 1er juin 2011, Société Kone, n° 346405 ; Directive 89/665/CEE du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, modifiée par la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007.