Déchets, eau, crise énergétique : Bérangère Couillard et Amorce ne sont pas sur la même longueur d’ondes
Intervenue en clôture de la première journée du congrès d’Amorce, qui se tient jusqu’à vendredi à Paris, la secrétaire d'Etat chargée de l’écologie n’aura guère répondu aux attentes de l’association. Que ce soit sur les déchets, l’eau ou la crise énergétique, le fossé semble intact entre les deux parties.
La venue de Bérangère Couillard au 36e congrès d’Amorce, qui se tient du 19 au 21 octobre pour la première fois à Paris, était attendue. Que ce soit en matière de déchets, d’eau et d’énergie, les inquiétudes sont grandes chez des collectivités confrontées aux "urgences climatiques, à une tension sur les ressources et à la problématique du pouvoir d’achat", thème retenu pour ce congrès. La tâche de la secrétaire d'Etat chargée de l'écologie n’était pas aisée, Amorce faisant état d’un "pacte de confiance détérioré" entre l’État et des collectivités "qui ne peuvent plus que subir les décisions étatiques". Il est à craindre que son discours n’ait pas été de nature à combler le fossé qui les sépare.
Des CRTE renforcés, accompagnés par le "fonds vert"
Certes, la secrétaire d'Etat n’a pas manqué de mettre en avant le souhait du gouvernement de "coconstruire la transition écologique, main dans la main, État et collectivités". Alors qu’Amorce déplore "l’absence de contractualisation sur les objectifs et les moyens de les atteindre", Bérangère Couillard a vanté les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), "un modèle que le ministère veut renforcer", "enrichir et densifier". "Avec Christophe Béchu", son ministre de tutelle, Bérangère Couillard souhaite "qu’une gouvernance renforcée [en] pilote le suivi", sans apporter plus de précision. "Notre défi collectif, c’est de passer d’un contrat qui liste des projets" – ce qu’ils sont souvent – "à un contrat qui porte une vision globale des territoires", explique-t-elle. Pour les accompagner, sera mobilisé le nouveau "fonds vert", dont la secrétaire d'Etat indique cette fois qu’il financera "des projets autour de trois grands axes : la performance environnementale, l’adaptation au changement climatique et l’amélioration du cadre de vie".
Appréciations divergentes sur le succès de la TGAP
C’est dans le détail des dossiers techniques que l’on mesure à quel point les échanges semblent relever du dialogue de sourds. En tête, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), dont les recettes ne cessent de progresser. "Elles vont atteindre 1 milliard d’euros, apportant la preuve que cette taxe ne fonctionne pas puisqu’elle devrait disparaître si elle faisait changer les comportements", explique Nicolas Garnier, délégué d’Amorce, qui dénonce une nouvelle fois "une taxe de rendement, insincère, qui cible le mauvais acteur". Et d’avertir sur "le risque de révolte qui monte, comme ce fut le cas avec la taxe carbone. Des collectivités sont prêtes à ne plus la payer", prévient-il. Un sentiment alimenté par le fait que "sur ce 1 milliard, l’État ne reverse que 200 millions à l’Ademe", souligne Jean-François Debat, 1er vice-président d'Amorce et maire de Bourg-en-Bresse. Pour Bérangère Couillard au contraire, la TGAP est "une mesure difficile. Mais elle fonctionne". Elle met en avant les premiers résultats "perçus en 2021, avec une baisse de 15% des déchets mis en décharge et une baisse de 5 à 10% des déchets incinérés". Elle rejette également l’accusation – formulée par le président d’Amorce, Gilles Vincent – d’un État qui y verrait le moyen d’arrondir son budget au détriment des collectivités, arguant notamment du fait qu’"en 2021 et 2022, le plan de relance a consacré 500 millions d’euros aux projets de recyclage" et que "le programme France 2030 prévoit plus de 700 millions d’euros pour accompagner les projets industriels de recyclage".
REP, rendez-vous manqué ?
Le sujet des REP (filières à responsabilité élargie des producteurs) ne les réunira pas non plus. Nicolas Garnier déplore "qu’elles ne financent que 10% de la gestion des déchets alors qu’elles représentent 40% des gisements". Évoquant singulièrement la nouvelle REP déchets du bâtiment, en cours de déploiement (voir nos articles du 21 juin et du 18 octobre), il estime que "la proposition de barème de soutien ne correspond qu’à 10 ou 15% du coût d’une installation d’une benne" et évoque "la tentation des collectivités ne pas y aller", estimant qu’il n’existe aujourd’hui "aucune obligation pour les collectivités de signer les contrats". De mauvais augure, alors que Bérangère Couillard "compte sur la mobilisation des collectivités". "Je souhaite que les collectivités soient étroitement associées au déploiement de cette filière, notamment pour établir le maillage territorial des points de collecte", précise-t-elle, en ajoutant qu’elle entend également, pour la prise en charge des dépôts sauvages, "engager en 2023 un travail avec les collectivités et l’ensemble des éco-organismes pour construire un cadre simple et opérationnel pour les collectivités". La ministre a par ailleurs annoncé que des réformes seront engagées en 2023 pour les filières des meubles, des couches et lingettes et des produits électriques et électroniques – sans compter celle de la filière des textiles, en cours de révision (voir notre article du 29 septembre).
La consigne : "Ils en ont parlé…"
Autre pomme de discorde, et pas des moindres, la consigne de la bouteille plastique, sujet que la ministre veut relancer sans tarder (voir notre article du 11 octobre). "Je veux au préalable traiter tous les enjeux, […] en concertation avec les collectivités", assure-t-elle. Soit "la mise à jour des soutiens financiers des collectivités pour assurer la couverture des coûts de gestion des autres déchets d’emballage, la sensibilisation des citoyens sur le geste de tri, l’implication des collectivités dans le maillage des points de reprise et la prise en compte des petits commerces dans le dispositif". Des "concertations techniques seront organisées dès le début de l’année 2023". Et la ministre de préciser que "des solutions alternatives à la consigne" seront également discutées. "C’est ainsi en connaissance de cause que nous pourrons prendre une décision à l’été 2023". Si tant est qu’elle ne soit déjà prise.
Eau : pas de loi mais un strapontin
La question de l’eau ne les réunira sans doute pas plus. Alors que Nicolas Garnier plaide "pour une grande loi sur l’eau. Nous avons besoin d’un acte politique majeur", et à tout le moins pour une "REP eau", notamment pour faire face au coût du traitement des résidus de pesticides agricoles – "le traitement des métabolites représente 15% du budget total de la gestion de l’eau sur mon territoire", indique Jean-François Debat –, la ministre propose pour sa part un "plan d’action". Il ne sera pas celui "de l’État mais collectif", précise-t-elle, avant d’en fixer les objectifs : la sobriété des usages, la garantie de l’accès à une eau potable de qualité, ce qui "intègre les investissements d’entretien des réseaux", une protection accrue des captages prioritaires – "nous sommes en retard sur le sujet", concède-t-elle – et la restauration du cycle de l’eau, "en s’appuyant sur les solutions fondées sur la nature et la restauration des continuités écologiques" (voir notre article du 8 juillet). La ministre a précisé que pour conduire cet exercice, "nous allons repartir des travaux des Assises de l’eau et du Varenne agricole" et "nous appuyer sur les instances de gouvernance et les compétences existantes". Dont le Conseil national de l’eau, qu’elle propose à Amorce de rejoindre. Bérangère Couillard précise que "la feuille de route issue de ces réflexions sera présentée en janvier".
Énergie
Enfin, Amorce n’a évidemment pas manqué de mettre en avant la question de l’énergie, réclamant "un bouclier tarifaire partiel pour les services publics essentiels". Concrètement, que l’État prenne en charge, "sur preuves, au moins 50% de la hausse de l’électricité et 25% de celle du gaz", détaille Nicolas Garnier. En la matière, et suite à une rapide enquête conduite auprès de ses collectivités membres à la demande de l’État, Amorce fait état d’une augmentation, "entre 2021 et début 2023, de 199 à 447 euros le MWh pour l’électricité et de 58 à 215 euros le MWh pour le gaz". L’association demande également une "aide à la visite technique", la crise ayant fait prendre conscience qu'"énormément de bâtiments sont dépourvus de thermostats ou que ces derniers ne sont pas opérationnels", indique Nicolas Garnier – prouvant ici que des progrès en matière de sobriété et de bonne gestion (voir notre article du 23 septembre) sont encore possibles.