Déchets : Amorce pointe le risque de démobilisation des collectivités
L’association Amorce appelle l’État à "rééquilibrer les échanges" entre industriels et collectivités, pour éviter la démobilisation de ces dernières, lasses d’être considérées comme une simple "variable d’ajustement". La récente modification du cahier des charges de Citeo fait figure de goutte d’eau qui fait déborder le vase.
"Nous ne voulons pas donner les clés du camion à Citeo" sans connaître la destination. Lors d’une conférence de presse tenue le 26 janvier dernier, Nicolas Garnier, délégué général de l’association Amorce, a fait part des inquiétudes des membres de cette dernière face à "la décision récente de donner à l’éco-organisme le contrôle exclusif de la plupart des flux de déchets d’emballages en plastique, à l’exception des bouteilles et flacons". "Après avoir poussé ces dernières années les collectivités à investir dans de nouveaux centres de tri qui soient capables de séparer les différents plastiques, l’État met à bas la filière en annonçant du jour au lendemain, sans aucune concertation, que Citeo va s’accaparer tout le gisement. À quoi auront servi les centaines de millions d’euros d’argent du contribuable ?", fulmine Nicolas Garnier, las que "les collectivités soient à nouveau les variables d’ajustement des stratégies industrielles de metteurs sur le marché en quête de résine". L’expert redoute notamment que Citeo n’entende ici mettre la main sur les PET, "le seul plastique que l’on sait plutôt bien recycler", pour alimenter le projet d’installation de recyclage moléculaire annoncé par le groupe Eastman le 17 janvier dernier, lors de l’événement "Choose France". Un investissement qui atteindrait "jusqu’à 1 milliard de dollars", comprenant une usine pour recycler jusqu’à 160.000 tonnes de déchets plastiques (polyester), et un centre d’innovation, qui devraient être tous deux opérationnels en 2025. "Nous n’avons pas d’avis particulier sur ce projet. Seule la modification précipitée, sans explication ni garantie, du cahier des charges de Citeo nous préoccupe", tient à préciser Benoît Jourdain, vice-président de l’association. Si celle-ci redoute que les collectivités ne soient encore "un peu plus à la merci de Citeo, en situation de monopole", c’est surtout le fait que "l’État n’ait pris aucune garantie" qui l’inquiète. À l’heure de la généralisation du tri, Amorce demande en conséquence à l’État "d’être le garant du fait que les nouveaux plastiques que doivent désormais trier les Français seront bien recyclés", et ce d’autant que "Citeo n’a jamais respecté ses obligations ces vingt dernières années", pique Nicolas Garnier.
Deux poids deux mesures
L’association dénonce d’ailleurs vertement la tolérance accordée aux éco-organismes défaillants, alors que l’État "sait être beaucoup plus sévère avec les collectivités locales". "Elles, si elles ne font pas le job, c’est le retrait de tous leurs financements", pointe Nicolas Garnier. L’association dénonce en regard "une simplification dangereuse des cahiers des charges des éco-organismes, pourtant déjà en situation monopolistique", et avec lesquels les contrats sont "de plus en plus déséquilibrés", avec "très peu de moyens supplémentaires de coercition en cas de non-atteinte de leurs objectifs". Elle proposera d’ailleurs sous peu aux candidats à la présidentielle plusieurs pistes pour inverser la tendance, dont la soumission des éco-organismes défaillants à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
Plus généralement, c’est cette "économie circulaire à deux vitesses, sans marge de manœuvre pour les collectivités, beaucoup plus souple à l’égard des metteurs sur le marché et des éco-organismes", qui exaspère Amorce. "C’est toujours la même chanson. Les intentions de la loi Agec étaient louables, mais la mise en œuvre est catastrophique. Seul le calendrier fiscal est respecté… Au final, ce sont toujours les mêmes gagnants : l’État, qui remplit ses caisses, et les metteurs sur le marché, qui retardent leurs obligations. Et toujours les mêmes perdants : les collectivités et le contribuable", déplore Benoît Jourdain. Preuves à l’appui : "si l’augmentation massive de la taxe sur le stockage des déchets a été effective dès le début du mandat, sans un jour de retard en 2018, aucune des nouvelles filières de collectes sélectives (jouets, sport et loisirs, bricolage et jardinerie…), qui devaient justement permettre de réduire le stockage des déchets, n’est opérationnelle au 1er janvier 2022, comme le prévoyait la loi Agec. Pendant quatre ans, la TGAP aura ainsi rapporté des centaines de millions d’euros au budget de l’État sur le dos des collectivités, y compris les plus vertueuses en matière de recyclage", s’indigne l’association. Elle évoque encore les reports nouvellement accordés à la filière de recyclage des emballages professionnels de la restauration, "qui devait initialement être mise en place au 1er janvier 2021 et qui a été reportée de deux ans" et, plus encore, "12 ans après la loi Grenelle", à la mise en place de la filière des déchets du bâtiment, "de nouveau reportée d’un an sous la pression des metteurs sur le marché à l’aube de la campagne présidentielle. […] Ces reports laissent des dizaines de milliers de tonnes de déchets à la charge des collectivités et des contribuables locaux".
"Embolisation des déchetteries"
Un afflux de déchets qui, selon l’association, risque fort d’entraîner une "embolisation des déchetteries". Le risque est d’autant plus grand "que l’on a l’impression que l’on mise à chaque fois sur elles". Y compris pour les matériaux du bâtiment, alors que les pressions sont fortes "pour que les déchetteries soient contraintes de prendre les déchets des PME". "Tout ne passera pas par elles", avertit pourtant Nicolas Garnier, qui invite à développer le retour en magasin. "On ne peut pas multiplier les bennes !", renchérit Olivier Castagno, responsable du pôle déchets de l’association. Il attire l’attention sur "la saturation de l’espace des déchetteries", alors que leur éventuelle extension se fait chaque jour plus délicate, entre rareté et coût du foncier, limites posées à l’artificialisation des sols, réticences des riverains, etc.
In fine, Amorce diagnostique "un fort risque de démobilisation des élus et des acteurs territoriaux", las d’être "trop souvent mis devant le fait accompli" et qui n’entendent plus être "otages des stratégies commerciales et industrielles nationales ou internationales qui sont très éloignées des préoccupations des citoyens et des enjeux environnementaux". "Ils sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur leur motivation à s’engager dans les filières de recyclage et à signer les futurs contrats avec les éco-organismes", alerte l’association. Elle appelle donc l’État à un "rééquilibrage des échanges", sous peine d’être confronté au "retrait massif des collectivités de nombreuses filières de collecte sélective et de recyclage, dont elles sont la clé de voûte".