Déchets : les collectivités lassées que l'on se décharge toujours sur elles
L'association Amorce lance un "cri d'alarme" face à l'explosion du coût du traitement des déchets à laquelle les collectivités font face, en partie due à la hausse de la TGAP. Au-delà du coût, l'association souligne que les collectivités – qui ont le tort d'être en bout de chaîne – éprouvent un sentiment d'injustice. Elle appelle à des "REP de deuxième génération", agitant par ailleurs la menace d'une révolte du contribuable.
C'est un tonnant "cri d'alarme" que le président, Gilles Vincent, et le délégué général, Nicolas Garnier, d'Amorce – association qui vient de franchir le cap des 1.000 adhérents – ont lancé ce 2 juin face à la hausse des coûts de gestion des déchets à laquelle font face les collectivités territoriales. Une enquête interne, à laquelle ont répondu 85 de ses adhérents, représentant 25 millions d'habitants, révèle que plus des trois quarts d'entre eux escomptent une hausse en 2021, 40% estimant qu'elle sera même supérieure à 5%. Une augmentation, qualifiée de "monumentale" par Nicolas Garnier, qui a pour principale cause la hausse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) – pour l'enfouissement, elle est passée de 42 euros la tonne l'an dernier à 54 euros cette année (58 euros l'an prochain, puis 61 euros, 63 euros, pour atteindre 65 euros en 2025).
Des collectivités "boucs émissaires, voitures-balais et carnets de chèques de l'économie circulaire"
L'objectif affiché est d'inciter au recyclage et d'éviter la mise en décharge. "Une malhonnêteté", estime Nicolas Garnier, qui souligne "qu'il y a plusieurs années de décalage entre cette hausse et le moment où l'on disposera de moyens crédibles de se détourner du stockage", alors "qu'un quart des déchets ne se recyclent pas". "On pénalise le bout de la chaîne, qui n'y peut mais lorsqu'il est destinataire de déchets non recyclables, et pas le producteur en amont, qui précisément met sur le marché des produits qui ne se recyclent pas", renchérit Gilles Vincent, qui déplore un "détournement" de l'esprit de 1992 (en référence à la responsabilité élargie des producteurs alors mise en œuvre pour les emballages, avec la création d'Éco-Emballages), pour ne pas dire une négation du principe pollueur-payeur.
Le mal est profond. Les dirigeants ont exprimé un "sentiment d'injustice et de révolte", relayant des collectivités territoriales "prises en otage", victimes d'un "traquenard", à la fois "boucs émissaires, voitures-balais et carnets de chèques de l'économie circulaire". Lassé de ce que l'on se "décharge continuellement sur les collectivités pour la mise en place de la collecte et du traitement des déchets", Gilles Vincent montre les dents face à ce qu'il nomme les "directives quoi qu'il en coûte" et "l'inflation de la collecte sélective" : "On nous interdit le pré-tri pour nous imposer une collecte sélective en porte-à-porte des biodéchets, sans tenir compte du fait que ce n'est pas possible partout et que cela va coûter une fortune pour pas grand-chose", s'emporte-t-il.
Gronde du contribuable et exportation des déchets
L'élu se fait d'autant plus grave qu'il juge que la gronde du contribuable – le "grand perdant" du dispositif – monte. "Nous avons atteint le maximum de ce que les foyers fiscaux peuvent payer pour les déchets", assure-t-il… alors que l'enquête de l'association indique que près de 54% des répondants prévoient d'augmenter leur taxe/redevance d'enlèvement des ordures ménagères (ou les contributions de leurs adhérents), un tiers supplémentaire envisageant de puiser dans le budget général de la collectivité pour compenser les coûts. Nicolas Garnier lui fait écho en soulignant "le risque de démobilisation du contribuable si, plus il trie, plus il paye". D'autant plus "s'il trie pour rien, faute de débouchés", surenchérit Olivier Castagno, responsable du pôle déchets d'Amorce. La crise du Covid a en effet accentué les difficultés des collectivités à valoriser les matières recyclées, la baisse d'activité entraînant un coût à la baisse des matières premières. "Les collectivités ne peuvent pas jouer le rôle de dispositif assurantiel en cas de baisse de l'activité économique", s'insurge Nicolas Garnier.
Parmi les autres causes du courroux des représentants d'Amorce, l'inconséquence de la décision de diminuer les capacités d'enfouissement, fruit d'une "directive européenne un peu aveugle", alors que "le volume de déchets ne baisse pas et ne baissera pas tant que l'on ne se sera pas donné les moyens de tarir en amont le flux des produits qui ne se recyclent pas", relève Nicolas Garnier. Dans certaines régions, du sud particulièrement, "la situation est telle qu'on en vient à exporter nos déchets", est-il souligné. Ou encore les dépôts sauvages – dont la résorption est là encore "injustement mise à la charge des collectivités". Nicolas Garnier invite en conséquence à faire de la lutte contre ces dépôts une "grande cause nationale".
REP de deuxième génération
Pour Amorce, l'heure est plus généralement venue d'inventer la "REP de deuxième génération", alors que "les REP existantes stagnent". "D'abord, avec des éco-organismes qui atteignent leurs objectifs" – raille Nicolas Garnier, qui déplore que "la plupart ne les atteignent pas" – et qui "mettent en place des dispositifs de collecte de proximité". Ensuite, une REP dans laquelle serait introduite "une garantie de débouchés", puisqu'il n'y a "pas de raison de transférer cette responsabilité aux collectivités". Mais aussi une REP "qui prévoit des malus pour les produits qui ne se recyclent pas", Nicolas Garnier demandant par exemple pour la REP emballages "des objectifs, et des malus, par matériau et par résine". Enfin, une REP qui offre de la visibilité, plaidant "pour un agrément de six ans".
Ce besoin de visibilité est également demandé dans l'épineux dossier de la potentielle introduction de la consigne des bouteilles en plastique, Nicolas Garnier estimant que cette menace n'est pas totalement écartée, ce qui "suscite la défiance des élus locaux".
Enfin, est ardemment souhaitée une TGAP non plus en aval, "mais en amont, sur les produits non recyclables". Une inversion logique, mais à laquelle Gilles Vincent ne croit guère, dévoilant les raisons inavouables de Bercy : "Les entreprises répercuteraient la taxe sur les prix des produits, ce qui renchérirait le panier de la ménagère. Or, pour les Français, si le prix de la ménagère augmente, c'est la faute du gouvernement, alors que si c'est le coût du traitement des déchets, c'est la faute des collectivités." L'élu fustige ainsi un "manque de courage", que pointe par ailleurs également Nicolas Garnier en soulignant l'absence de mesure fiscale environnementale dans le projet de loi Climat et Résilience actuellement en discussion, "alors que le sujet est à l'origine du processus".