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34e congrès d'Amorce : les sujets d'inquiétude ne manquent pas

Amorce, l'association d'élus et d'entreprises chargées de la gestion des déchets, de l'eau et de l'énergie, a tenu ce 3 février – virtuellement – son 34e congrès. L'occasion de tirer le bilan et les enseignements – partiels – de la crise sanitaire, de partager les bonnes pratiques, de défricher le plan de relance, mais aussi d'évoquer les différents chantiers en cours, qui sont tous, peu ou prou, sources d'inquiétude pour les collectivités…

À quelque chose malheur est bon : si le 34e congrès d'Amorce n'a pu se tenir ce 3 février normalement, la forme virtuelle qu'il a dû revêtir a permis de rassembler près de 1.400 inscrits. Un record, salué en ouverture par le président de l'association, Gilles Vincent. Il est vrai que les débats s'annonçaient riches, tant les sujets de préoccupation, voire de crispation, sont nombreux, comme l'avait souligné Nicolas Garnier, délégué général de l'association, la veille en conférence de presse.

Déchets : la fiscalité prend l'ascenseur 

"Alors que les collectivités ont fait le job pendant la crise de la covid en maintenant les services essentiels, elles éprouvent aujourd'hui un véritable sentiment d'injustice ; elles s'attendaient à plus d'écoute du gouvernement face aux difficultés qu'elles rencontrent", déplorait mardi Nicolas Garnier. "Nous aurions pu espérer un peu plus de considération et de solidarité", lui faisait écho mercredi le président Gilles Vincent, en ouverture du congrès.

Des difficultés qui semblent effectivement voler en escadrille, singulièrement dans le domaine des déchets : 
- mesures des lois transition énergétique pour la croissance verte et Agec (Anti-gaspillage et économie circulaire) "qui tardent à se mettre en place", se traduisant par une quantité de déchets résiduels très importante (sans compter, à titre plus anecdotique, l'effet vente en ligne qui fait que les déchetteries débordent de cartons de 2e ou 3e vie dont elles ne savent que faire) ; 
- effondrement des recettes liées à la valorisation et au recyclage, faute de débouchés mais aussi à cause de la chute des cours engendrée par la récession, notamment celui du pétrole, et par conséquent de la matière première plastique (une baisse de valeur également constatée pour le verre, qui serait divisée par deux, le papier recyclé ou encore le textile, etc.) ; 
- la plupart des éco-organismes jugés "aux abonnés absents", eux-aussi en proie à certaines difficultés (lire notre article) ;
- ou encore, "cerise sur le gâteau", une augmentation très lourde de la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) depuis le 1er janvier, "au moment où d'autres bénéficient de reports".
Avec pour conséquence des collectivités confrontées à un "effet ciseau" particulièrement tranchant : "deux tiers des collectivités annoncent des hausses de fiscalité, qui atteignent entre 5 et 10% pour les trois quarts d'entre elles", alerte Nicolas Garnier. "La crise a souligné toute la fragilité de ce système", relève pour sa part Jean-Michel Buf, élu représentant Régions de France.

Las, ce n'est pas le seul sujet d'inquiétude en la matière. Nicolas Garnier évoque ainsi les craintes que fait naître le projet de décret relatif au compostage des boues d’épuration et digestats de boues d’épuration avec des structurants actuellement en consultation qui, s'il devait être trop rigide, "contraindrait les collectivités à l'incinération coûteuse de ces boues", voire "mettrait en péril la fin du processus d'assainissement en France". À court terme, c'est la pénurie de ces structurants – majoritairement des déchets verts – engendrée par la fermeture des déchetteries lors du premier confinement ("une erreur", souligne Fabrice Rossignol, président de la Fnade, lors des débats), qui pose difficulté, puisqu'ils sont indispensables pour rendre ces boues d'épuration exploitables.
En revanche, Laurent Moulin, responsable R&D d'Eau de Paris, a délivré un message d'espoir à l'égard du non-épandage des boues non hygiénisées préconisé par l'Anses en mars dernier : les dernières études en la matière laissent à penser que la plupart des boues devraient pouvoir être épandues sans risque de dissémination du coronavirus.
Redouté également, le texte en cours de rédaction sur les déchets ultimes, qui risque lui-aussi de poser des problèmes insolubles aux collectivités, ou les projets relatifs aux différentes filières REP, actuelles et futures, et particulièrement celle de la filière de l'emballage, "alors que bizarrement la question du plastique n'a pas été abordée par la convention citoyenne".

Énergie : le risque de l'aberration du "tout électrique"

Dans le domaine de l'énergie, les craintes sont tout aussi vives. Là encore, le Covid n'a pas été sans conséquence, notamment en freinant le développement du service d'accompagnement à la rénovation énergétique (Sare), porté par l'Ademe et les collectivités. À plus long terme, l'association redoute toujours les impacts de la nouvelle réglementation thermique (RE2020) – l'association faisait partie des treize signataires de la lettre ouverte adressée au Premier ministre le 29 janvier 2020 – et du décret tertiaire. "L'État a modifié de manière unilatérale les modes de calcul du contenu CO2 des différents modes d'énergie, divisant par près de trois, de manière artificielle, celui du chauffage électrique, qui deviendrait avec cette manipulation théoriquement moins émissif que des solutions de chauffage par des énergies renouvelables : bois, géothermie…", rappelle Nicolas Garnier. Craignant "l'arrivée massive de PAC air/air de COP 3", le délégué plaide pour que ce soit le Haut Conseil pour le Climat qui arbitre ce contenu CO2. Il dénonce également le paramètre de 6kg de CO2/m2/an retenu pour le neuf en 2024, "qui ne pourra être atteint qu'avec l'électrique. La plupart des réseaux de chaleur à 60/70% d'énergie renouvelable ne passeront pas la barre", avertit-il. Au cours des débats, la député Marjolaine Meynier-Millefert s'est voulue rassurante sur l'évolution de cette RE2020, sans nécessairement convaincre.

Autre source de tensions, le projet Hercule, qui vise à privatiser une partie d'un EDF scindé en trois branches, Amorce partageant ici les craintes de France urbaine ou de la FNCCR – avec laquelle, entre parenthèses, les relations seraient toujours au point mort ("à force de tendre la main, on finit par avoir une crampe", lâche le directeur d'Amorce). "EDF a besoin de liquidités, pour finir le grand carénage, mais aussi pour la création de plusieurs EPR", explique Nicolas Garnier. Il dénonce "un mélange des genres", l'État, actionnaire d'EDF, étant soupçonné par ailleurs de vouloir "créer une addiction à l'électricité". Une augmentation de la consommation électrique pourrait selon lui avoir une vertu insoupçonnée pour l'État : lui permettre d'atteindre de façon détournée le plafond de 50% d'énergie nucléaire dans le mix énergétique, "en augmentant le dénominateur".
Le "tabou de l'interdiction de la location des passoires thermiques" constitue un autre motif d'irritation. "L'État tourne autour du pot, en établissant un cadre réglementaire non contraignant. La plupart des logements vont respecter les critères, y compris ceux classés F et G".

Faibles lueurs d'espoir

Le projet de loi "Climat et résilience", issu de la convention citoyenne, aurait pu constituer une éclaircie dans ce ciel bien nuageux. Mais Nicolas Garnier confesse ne pas attendre beaucoup de la future loi – projet critiqué par ailleurs  – , qui selon lui "multiplie les filtres et manque de dimension normative" (phénomène a priori étonnant pour une loi, mais déjà maintes fois dénoncé par ailleurs). Invitées au congrès, deux des membres de la convention ont d'ailleurs souligné les difficultés qu'elles ont rencontré avec les juristes chargés de les aider à retranscrire leurs propositions en dispositions législatives. Et le délégué d'Amorce de leur "souffler à l'oreille" le fait de prévoir avec le président Macron "une clause de revoyure juste avant l'élection présidentielle".

Seul le plan France Relance semble trouver – un peu – grâce à ses yeux, même si l'on a évoqué le risque d'une sous-consommation. Pour la contrecarrer, Nicolas Garnier n'a pas manqué de faire aux trois directeurs du ministère de la Transition écologique présents une offre de services pour sa mise en œuvre.
Clôturant la manifestation – avant la proclamation des résultats de l’élection au conseil d’administration de l’association –, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a tenté de rassurer les adhérents d’Amorce, qu’elle a qualifiés de "piliers de la transition écologique sur le terrain". "Non, la chaleur renouvelable n’est pas menacée", a-t-elle affirmé. "Les réseaux de chaleur renouvelable seront préservés. La décarbonation de ces réseaux est une bataille que nous ne pouvons pas perdre". Elle a par ailleurs annoncé les lancements, d’une part, d’une "concertation, dans les prochaines semaines, sur les modalités de financement de collecte et de traitement des déchets ménagers" et, d’autre part, d’un groupe de travail chargé de rédiger la "feuille de route des énergies renouvelables citoyennes".
Finalement, la principale lueur d'espoir est venue de l'épidémiologiste Arnaud Fontanet, qui a estimé qu'avec l'essor de la vaccination, le 35e congrès d'Amorce, prévu du 13 au 15 octobre prochains à Troyes, devrait pouvoir se tenir cette fois "in real life".

 

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