Crise sanitaire, transition écologique, ouverture à la concurrence des TER : les transports publics à un tournant
Soumis à rude épreuve par la crise sanitaire, les transports publics sont aussi confrontés à des bouleversements en profondeur nés de nouveaux usages et de la nécessité de mener leur propre transition écologique. Suites à donner au rapport Duron sur le modèle économique des transports collectifs, relance des petites lignes ferroviaires, ouverture à la concurrence des TER… : le point sur quelques dossiers qui feront l'actualité des prochains mois.
Les prochaines Rencontres nationales du transport public organisées à Toulouse du 28 au 30 septembre se dérouleront dans un contexte inédit pour ce secteur. Après une année 2020 marquée par une crise sans précédent et un ralentissement de nombreux projets, l'ambition des acteurs présents - élus en charge des transports, opérateurs, constructeurs, énergéticiens, experts des infrastructures, de la billettique, start-up… - sera de réfléchir aux solutions permettant de relancer la dynamique d’une filière qui contribue fortement aux objectifs de transition énergétique, de santé publique, de désenclavement territorial. Pour alimenter les débats, ils pourront s'appuyer sur le rapport sur "le modèle économique des transports collectifs" remis ce 13 juillet par la mission dirigée par l'ancien député du Calvados Philippe Duron à Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports.
Un nouvel accompagnement financier attendu cette année pour faire face aux effets de la crise
La mission Duron confirme l'ampleur de la crise sanitaire qui a entraîné une baisse drastique de la fréquentation, et partant des recettes, mettant à mal la situation financière des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et des opérateurs, mais aussi l'impact des nouveaux comportements de mobilité résultant du télétravail et des relocalisations de domicile. "L’État sera vraisemblablement amené à maintenir en 2021 l’accompagnement financier qu’il a mis en place en 2020 pour soutenir les AOM et les aider à assurer la continuité du service public de transport, souligne le rapport. Compte-tenu de la persistance de la crise et de la fragilisation financière des autorités organisatrices, des subventions pourraient judicieusement compléter les aides remboursables mises en place par la loi de finances rectificative 2020 (LFR 4)." Des propositions accueillies à bras ouverts par les associations d'élus comme France Urbaine, le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) et l'ADCF.
Approche intermodale et amélioration de la qualité de service
Plus largement, "le développement des transports urbains et interurbains indispensable à la consolidation de leurs modèle économique dépendra de la capacité des AOM et des régions à redéfinir leur offre en prenant en compte les changements d’échelles découlant de la recomposition des régions, de l’extension du périmètre des intercommunalités et de l’apparition des nouvelles AOM rendues possible par la loi d'orientation des mobilités, poursuit le rapport. Ces évolutions appellent à une gouvernance renouvelée, associant régions et intercommunalités, pour coproduire un système de transport qui assure une continuité de l’offre et une cohérence des services attendus par les usagers". La mission Duron défend une offre à inscrire dans une approche intermodale "afin de faciliter, notamment dans le périurbain et dans les territoires peu denses, des possibilités de déplacement de bout en bout" et pour une qualité de service - fréquence, ponctualité, rapidité, sûreté des voyageurs – pour répondre aux attentes des voyageurs du quotidien et renforcer la confiance dans les transports publics".
Effort d'investissement important pour verdir les flottes
Alors que la voiture garde une place prépondérante dans les déplacements, les modes doux comme le vélo voient leur pratique augmenter. Ce dernier est d'ailleurs de plus en plus encouragé, y compris pour les livraisons en ville.
La lutte contre le réchauffement climatique qui impose de réduire la part des transports (30%) dans les émissions de gaz à effet de serre, s'impose aussi aux transports publics. "Le verdissement des flottes des transports urbains, des transports par car, des TER à propulsion diesel encore trop nombreux ne peut se concevoir sans un effort financier majeur pour le remplacement du matériel mais aussi pour le déploiement d’énergies décarbonées", souligne sur ce point la mission Duron. Cet effort d'investissement n'est pas sans inquiéter les collectivités, d'autant que de certaines nouvelles normes sont susceptibles de générer des surcoûts importants.
"Les ressources actuelles, et notamment le versement mobilité, doivent être préservées, mais ne suffiront pas, prévient la mission Duron. Une nouvelle ressource pérenne dédiée à ces investissements s’impose et devrait être affectée aux régions qui ne bénéficient pas du versement mobilité et aux autorités organisatrices de la mobilité pour faire face à un effort majeur d’investissement que nécessite cette politique de rupture. Cette ressource peut venir de la route qui ne paie pas ses coûts externes, tout particulièrement en milieu urbain. La taxation des plateformes de commerce en ligne se justifierait également du fait des nuisances générées par l’explosion des livraisons."
Petites lignes ferroviaires : une relance qui passe par l'innovation
Le transport ferroviaire de voyageurs fait face lui aussi à de multiples défis. Alors que la loi Climat et Résilience, adoptée définitivement par le Parlement ce 20 juillet prévoit d'interdire à partir de mars 2022, les vols aériens quand il existe une alternative en train par une liaison directe en moins de 2 heures 30, assurée plusieurs fois par jour, le gouvernement veut aussi remettre les trains de nuit sur les rails et accompagner les régions dans la relance des petites lignes ferroviaires. Des conventions en ce sens ont été signées ces derniers mois avec les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nouvelle-Aquitaine.
À l'occasion de la signature de l'avenant au contrat stratégique de la filière ferroviaire, ce 9 juillet, Jean-Baptiste Djebbari a annoncé un investissement de près de 7 milliards d'euros sur les dix prochaines années pour "pérenniser 9.000 kilomètres de lignes de desserte fine des territoires". Le ministre des Transports a aussi souligné le besoin de développer de "nouvelles solutions adaptées pour viabiliser ces lignes, comme les trains légers et la signalisation frugale", plus précisément "des systèmes de voies et de signalisation moins chers à l'achat, en opération et en maintenance". Sans oublier "les possibilités offertes par la digitalisation et l'automatisation. Un appel à manifestation d'intérêt "Digitalisation et décarbonation du transport ferroviaire" a d'ailleurs été lancé ce 29 juillet dans le cadre du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4) financés par France Relance. À travers ces innovations, il s'agit selon Jean-Baptiste Djebbari de "créer un cercle vertueux développer l'offre de transport en augmentant le nombre de trains, attirer plus de voyageurs et ainsi renforcer la pertinence et améliorer l'équation économique de ces lignes".
L'accélération du train à hydrogène figure aussi parmi les priorités en matière de décarbonation et quatre régions sont à la pointe en la matière, Bourgogne-Franche-Comté ayant été la première à officialiser une commande ferroviaire de ce type, qui s'accompagne de l'installation sur son territoire d'un écosystème complet consacré à cette énergie.
Les gares sur le devant de la scène
La question de l'avenir des gares reste aussi prégnante, comme l'a souligné un rapport de la Cour des comptes qui alerte tout à la fois sur leurs insuffisances en matière d'offre et de qualité de service et sur la fragilité de leur modèle économique. La Défenseure des droits s'est pour sa part inquiétée récemment des difficultés rencontrées par des usagers pour acheter des billets de train en raison de la suppression de guichets dans les gares et de la fermeture des gares elles-mêmes, notamment sur le réseau TER, dénonçant une atteinte au droit à la mobilité des usagers de la part de la SNCF et pointant un risque d'aggravation des inégalités territoriales.
En tant qu'autorités organisatrices, les régions sont aussi concernées par le récent décret organisant le transfert de la gestion des gares d'intérêt régional. Un texte qui vient compléter le cadre réglementaire issu de la loi d'orientation des mobilités qui instaure la possibilité, pour les autorités organisatrices qui en font la demande, de se voir transférer la gestion des lignes d’intérêt local et régional à faible trafic du réseau ferré national.
Ouverture à la concurrence des TER : le mouvement va bon train
Le sujet des gares est aussi directement lié à l'ouverture à la concurrence des TER. Expérimenté par cinq régions, le processus poursuit sa route malgré la pandémie de Covid-19, les élus sortants ayant été reconduits lors des élections de juin. Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), le Grand Est, les Hauts-de-France, l'Île-de-France et les Pays de la Loire ont choisi de lancer des appels d'offres pour l'exploitation d'une partie de leur réseau ferroviaire, où des opérateurs alternatifs - allemand, italien, espagnol et aussi français - pourront défier la SNCF. Les autres régions oscillent entre attentisme, scepticisme et hostilité, préférant pour l'instant laisser la compagnie publique conduire leur TER. Elles devront néanmoins lancer des appels d'offres à partir de 2023, à l'expiration des conventions qui les lient à la SNCF.
En Paca, on devrait connaître en octobre les gagnants des deux premiers appels d'offres pour la ligne Marseille-Toulon-Nice et les liaisons locales autour de Nice. Avec moins de suspense pour le second lot puisque le président de région, Renaud Muselier, a fait savoir début juin que la SNCF n'avait pas d'adversaire. Le démarrage de l'exploitation, lui, n'est pas prévu avant décembre 2024 à Nice et juillet 2025 pour Marseille-Toulon-Nice, le temps d'acheter des trains et de construire des ateliers.
Les premiers "trains de la concurrence" sont attendus fin 2023 dans les Hauts-de-France, entre Paris et Beauvais, autour d'Amiens et autour de Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de-Calais) ; dans le Grand Est entre Strasbourg, Saint-Dié-des-Vosges et Épinal ; et en Île-de-France avec les trams-trains T4 et T11. Les Pays de la Loire prévoient l'arrivée d'un nouvel exploitant un an plus tard sur le tram-train Nantes-Châteaubriant et un bouquet de lignes au sud de la Loire, en décembre 2024.
Particularité du Grand Est, dans le processus : il veut un exploitant unique chargé de conduire les trains et de maintenir la voie. Dans le cas de la ligne Nancy-Contrexéville, actuellement fermée, celui-ci devra même la remettre en état. L'Île-de-France, elle, a décidé de remettre méthodiquement en jeu tout son réseau de trains de banlieue et RER d'ici à 2032, parallèlement à la mise en concurrence des lignes exploitées par la RATP qui l'occupera jusqu'en 2039.
La SNCF prête à défendre ses positions
"La SNCF sera partout" pour défendre ses positions, assure son PDG, Jean-Pierre Farandou. "On va se battre sur chaque appel d'offres." Quitte à s'appuyer parfois sur Keolis, filiale de transports publics qu'il dirigeait précédemment. Face à la SNCF, on trouve Arriva (Deutsche Bahn), la RATP alliée ou pas à l'exploitant du tunnel sous la Manche Getlink, Thello (Trenitalia), la Renfe espagnole et le français Transdev, qui milite depuis des années pour l'ouverture à la concurrence du secteur.
Partout, les lots mis en concurrence seront confiés à des filiales de ces groupes, y compris de la SNCF si elle gagne. Et partout, l'organisation du travail devrait être chamboulée, les cheminots étant priés de devenir plus polyvalents. Au nom de l'efficacité et de la performance. D'où une grogne persistante des syndicats - notamment la CGT et Sud -, d'autant que les conditions de transfert vers ces nouvelles sociétés ne sont pas encore très claires : les négociations patinent au sein de la branche ferroviaire, le gouvernement n'a toujours pas tranché, et le "sac-à-dos social", c'est-à-dire les droits et avantages que le cheminot transféré à un concurrent doit emmener avec lui, n'est pas encore bien rempli.