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Mobilités : la crise sanitaire ne rebat que provisoirement les cartes

Si la crise sanitaire a – provisoirement – rebattu les cartes en matière de transports, le principal défi demeure : mettre en place une mobilité "durable", qui se traduit majoritairement par une électrification des moyens de déplacements. Une transition qui ne va pas sans heurt à court terme et nécessite anticipation afin d'être soutenable à moyen terme.

"Le e-commerce, le vélo, la voiture individuelle". Tels sont les grands gagnants de la crise sanitaire en matière de mobilités, a pointé Anne-Marie Idrac, présidente de l’Association France Logistique, au cours de la table-ronde consacrée aux mobilités lors de la troisième édition du Printemps des Territoires qui s'est tenue ce 18 mars. Par construction, ce palmarès ignore les "perdants" du Covid, que l'on devine néanmoins : le trafic (avec la "démobilité") d'une manière générale, et les transports publics en particulier. Les titres pourraient toutefois être rapidement remis en jeu. "Il faut distinguer le conjoncturel du structurel", insiste ainsi Jean-Marc Janaillac, membre de la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts, qui prend en compte la motivation des déplacements pour ce faire. "Le retour des visites de la famille et des proches se fera vite", pronostique-t-il (enfin, une fois les périodes de confinement derrière nous). La mobilité touristique sera, elle, "liée à l'évolution du PIB", mais aussi fonction de la "sensibilité environnementale" des populations, qui diffère elle-même suivant les classes d'âge et les zones géographiques (croissante en Europe, elle est jugée "nulle en Asie"). Enfin," la plus touchée" sera celle liée au travail, "que ce soient les mouvements pendulaires ou les déplacements d'affaires". En suivant la démonstration, on aura compris que la crise aura surtout bouleversé la situation du transport aérien, jusqu'ici en forte croissance et désormais promis à un long purgatoire. Selon Jean-Marc Janaillac, il ne retrouvera pas son étiage "avant 2024/2026". Pour le reste, il annonce peu de changements : "En zone urbaine, les transports publics constitueront toujours la colonne vertébrale, et en zone rurale ou péri-urbaine, l'automobile restera omniprésente", rejoignant ici les conclusions du rapport Jacquin.

Le défi de la durabilité

Pour lui, les défis restent également "les mêmes" : d'une part, "l'efficacité au service du développement économique, de l'attractivité et de la cohésion des territoires" ("il est important de continuer à développer la mobilité et non la restreindre", insiste-t-il) ; d'autre part, "la durabilité, qui passe par la décarbonation des transports". Des défis difficiles à concilier à court terme, comme en ont témoigné les échanges à fleurets mouchetés entre François Dagnaud, maire du XIXe arrondissement de Paris, et Anne-Marie Idrac. Le premier, qui insiste pour que la ville "reste respirable et vivable", déplore les démarches insuffisantes des opérateurs privés pour sauter le pas – pointant des "secteurs à la traîne, comme l'approvisionnement des réseaux de supermarchés, qui suscitent beaucoup de tensions". Il invite en conséquence les collectivités territoriales à "assumer leur mission de prescription, à fixer le cap". Quand "l'incitatif est insuffisant", il faut de la "réglementation pour donner un cadre et un horizon", assure-t-il. "Que les villes donnent un cahier des charges, et les acteurs s'adapteront", lui a répondu la seconde, estimant pour sa part que "tous les acteurs sont engagés", soulignant leurs "énormes besoins de financement". Tout en se gardant de tout remède miracle : "Si on ne veut pas de camions, on aura plus de camionnettes", lance-t-elle, montrant l'importance prise par ce désormais fameux "dernier kilomètre".

L'enjeu des bornes de recharge

Des financements – pour "accélérer la transition énergétique, régénérer les infrastructures de transport routières et ferroviaires en les décarbonant et multiplier les alternatives à la voiture individuelle", les trois enjeux qu'il pointe –, il en existe, indique Pierre Aubouin, directeur du département Infrastructures et Mobilité de la Banque des Territoires. Et d'évoquer preuve à l'appui l'importance des moyens déjà mobilisés – près de 400 millions d'euros, en prêts ou en fonds propres – par la Banque des Territoires pour soutenir notamment les véhicules verts, dont les bus, et les bornes de recharge. Sans ces dernières, point de salut. En la matière, il y a urgence, alerte Alain Rolland, dirigeant de Stations-e, entreprise qui déploie des stations multiservices intégrant la recharge électrique : leur croissance n'est en effet "que de 15% alors que celles des véhicules électriques est de l'ordre de 150%". Sans risque d'être contredit par Sébastien Jumel, membre du comité exécutif d’Enedis, qui a lui aussi fait valoir le défi que représente la "massification" des "nouveaux usages électriques de la mobilité (voiture, vélo, bus)" et la nécessité de l'anticiper afin d'être "capable de suivre le rythme en matière de raccordements […], avec des réseaux suffisamment résilients". S'il souligne que "cela se passe plutôt bien dans les maisons individuelles, la plupart du temps sans augmentation de puissance", il relève l'acuité du sujet dans les copropriétés, "où le processus de décision est très long", et sur le domaine public, où les besoins sont déjà réels. Et d'insister sur le schéma directeur de développement des infrastructures de recharges, qui constitue selon lui "un très bel outil pour les collectivités territoriales" qu'il reste à "développer de manière harmonieuse".