E-commerce : mieux intégrer la logistique dans les documents d'urbanisme
Mieux prendre en compte la logistique dans les documents d'urbanisme, créer des zones logistiques "clés en main", rééquilibrer la fiscalité entre commerce physique et commerce en ligne, instaurer un label "commerce en ligne durable"… Dans leur rapport remis le 13 mars 2021 au gouvernement, France Stratégie, le Conseil général de l'environnement et du développement durable et l'Inspection générale des finances avancent plusieurs propositions "pour un développement durable du commerce en ligne". Une concertation va être ouverte sur le sujet entre acteurs de la logistique et du e-commerce pour déboucher sur des engagements réciproques dès le printemps 2021.
Si le e-commerce ne représente aujourd'hui que 13% du commerce de détail des biens, il se développe à un rythme soutenu, avec une forte accélération depuis l'irruption de la crise du Covid-19. Or ses conséquences sont importantes en matière d'émissions de gaz à effet de serre, d'artificialisation des sols, de concurrence avec les commerces physiques et de logistique. Ce sont les principaux constats du rapport "Pour un développement durable du commerce en ligne", remis le 13 mars 2021 au gouvernement par France Stratégie, le Conseil général de l'environnement et du développement durable et l'Inspection générale des finances.
Ainsi, d'après la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), le marché du commerce en ligne de biens a représenté environ 63 milliards d'euros en 2020, contre 46 milliards en 2019, soit une hausse de 37%. Le commerce en magasin, lui, croît lentement : 1,4% de hausse par an en moyenne depuis 2010. Et s'il y a des formes et des modèles économiques variés dans le e-commerce, le secteur reste très concentré : en 2019, seuls 1% des sites, soit environ 2.000 sites, réalisent 75% du chiffre d'affaires. Sans surprise, hors alimentaire, Amazon est à la première place sur le marché français avec un chiffre d'affaires de 5,7 milliards d'euros en 2019, en hausse de 27% par rapport à 2018.
Ce modèle de commerce est gourmand en entrepôts : leur part dans les bâtiments à vocation économique a triplé entre 2000 et 2019. Il entraîne aussi des besoins croissants en matière de logistique. Son bilan environnemental est discuté. Autre élément important : ses impacts sur l'emploi, quoique difficiles à mesurer, sont plutôt négatifs. Les créations d'emplois dans le commerce en ligne ne compensent pas en effet les pertes dans les grandes surfaces et les commerces non alimentaires spécialisés : entre 2010 et 2018, on compte 5.800 ETP (équivalents temps plein) en moins parmi les catégories les plus touchées par le commerce en ligne (livres, jeux, jouets, habillement) et moins 13.670 ETP si on y ajoute les pertes d'emplois dans les autres commerces spécialisés (technologies de l'information, équipement du foyer) et dans les grandes surfaces d'alimentation générale. Si on prend en compte les pertes d'emploi dans la vente à distance (le commerce en ligne remplaçant progressivement la vente sur catalogue), on arrive à un solde de -15.620 ETP. Encore faut-il aussi prendre en compte les créations d'emplois salariés dans les secteurs du transport et de la logistique les plus liés au e-commerce : elles sont comprises entre 9.200 et 27.900 ETP sur la période.
Des zones logistiques concurrentes
Au premier rang des propositions du rapport, la définition d'une stratégie globale des pouvoirs publics, en jouant sur le levier fiscal à plusieurs étages : au niveau européen, avec la mise en place d'une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne et l'émergence d'un acteur européen du commerce en ligne ; au niveau international, avec un nouveau cadre fiscal adapté aux multinationales et notamment les géants du numérique ; et au niveau national, avec une réforme de la fiscalité française du commerce. Comme de nombreux autres acteurs (par exemple le Cese), les auteurs du rapport demandent ainsi un rééquilibrage des impositions du commerce physique et du commerce en ligne.
Autre proposition : mieux prendre en compte la logistique, ses entrepôts et ses flux, dans l'aménagement territorial. D'après les auteurs, le cadre juridique et la répartition actuelle des compétences à mobiliser, partagées entre la région, le département, les communes et intercommunalités et l'Etat, ne conduisent pas à une planification satisfaisante des activités logistiques. Il en découle parfois des situations problématiques. "Des collectivités locales voisines créent des zones logistiques concurrentes qui nécessitent chacune d’importants investissements d’infrastructures, de grands entrepôts se créent en dehors de toute zone fléchée vers la logistique, les possibilités d’embranchement avec le rail ou la voie d’eau ne sont pas utilisées, les petits entrepôts urbains peinent à être créés alors qu’ils pourraient éviter des flux en zones denses", détaille ainsi le rapport. Il identifie les principales faiblesses du système actuel : la faible prise en compte de l'intermodalité dans les transports, le mode routier étant très prédominant, la faible densification des zones logistiques, de nombreux entrepôts s'implantant de manière non coordonnée à proximité d'échangeurs routiers sans service aux salariés et transporteurs mutualisés, et la difficile réutilisation des friches. "Ces enjeux appellent une meilleure intégration de la logistique dans les documents d'urbanisme afin de mieux la planifier", conclut le rapport. Il cite particulièrement les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) et les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), puisque la région semble être le meilleur échelon pour traiter la question de la logistique, comme le reconnaissait déjà le document-cadre France Logistique 2025, adopté par l'Etat en 2017.
Dernier kilomètre
"Ces schémas pourraient également prendre en compte la définition de zones logistiques clés en main, prolongeant en cela les appels à manifestation d'intérêt (AMI) lancés en 2019 et 2020 par l'Etat afin d'identifier des zones industrielles clés en main", indique le rapport.
"La définition de stratégies régionales de la logistique ne diminue en rien l'importance des compétences du bloc communal en matière de planification territoriale infrarégionale et de livraison du dernier kilomètre", précise toutefois le rapport, estimant que ces stratégies régionales pourraient être déclinées dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence territoriale (Scot). Dans ce domaine, le gouvernement a demandé le 11 mars à Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique, et Gilles de Margerie, commissaire général de France Stratégie, de mener une concertation avec les acteurs de la logistique et du e-commerce "afin de faire émerger les conditions du développement de filières de e-commerce et de logistiques responsables", précise ainsi la lettre de mission. Avec deux questions majeures : quels engagements les professionnels de la logistique et du e-commerce sont-ils prêts à prendre pour limiter leur impact environnemental, favoriser la création d'emplois qualifiés et durables, assurer que les commerces traditionnels puissent pleinement profiter des opportunités de vente en ligne, et quelles modalités choisir ? Des engagements réciproques doivent être formalisés dès le printemps 2021.
Généraliser l'agrément utilisé en Ile-de-France
En attendant d'intégrer les stratégies logistiques dans les documents de planification, le rapport propose de généraliser l'agrément qui existe actuellement en Ile-de-France. Cet agrément francilien permet une installation concertée des entrepôts en veillant à l'équilibre territorial et sectoriel des différentes activités économiques (bureaux, entrepôts, usines…). Seraient ainsi soumis à agrément préalable les projets d'entrepôts au-dessus d'un seuil de superficie à définir. L'Etat et les collectivités s'accorderaient pour leur part sur quelques critères simples (impact économique, environnemental, recours à la multimodalité, lutte contre l'étalement logistique, impact sur les flux de transport) pour encourager les projets les plus durables et dissuader ceux dont les externalités seraient néfastes. "Une conférence régionale déclinerait les critères nationaux de manière à 'flécher' l'implantation préférentielle des entrepôts", précise le rapport qui propose une contractualisation à ce sujet entre l'Etat et les collectivités.
Les auteurs proposent enfin la création d'un label "commerce en ligne durable" distinguant les acteurs du commerce en ligne s'attachant à maîtriser les impacts économiques, environnementaux, sociaux et sociétaux de leurs activités.