Commerce de proximité : une numérisation à marche forcée
Face aux géants du numérique dont les ventes explosent depuis le début de la crise, le gouvernement pousse les commerces de proximité à se digitaliser. Le nouveau confinement accélère le mouvement. Régions et Banque des Territoires sont à la manoeuvre pour aider les communes à se doter de leur propre place de marché virtuelle.
Se "digitaliser" ou périr : c’est le choix laissé à beaucoup de commerces au moment de ce nouveau confinement. Impuissant à réfréner les appétits d’Amazon (de loin le premier opérateur du marché français avec 22% des dépenses en ligne ; son dauphin Cdiscount se situant à 8%), le ministre de l’Economie a lancé un appel la semaine dernière : "La vente à emporter, les livraisons à domicile, qui restent autorisées pendant la période de confinement doivent se développer et se généraliser."
Cette petite musique parcourait tous les colloques sur le sujet depuis quelques années. Elle a connu un écho retentissant avec la crise qui, comme dans bien des domaines, donne un coup d’accélérateur à des mutations en germe. Le gouvernement qui vient de réabonder massivement le fonds de solidarité (10,9 millions d’euros ) a tout d’abord fait en sorte que le chiffre d’affaires réalisé au mois de novembre sur internet (en retrait de commande) ne soit pas pris en compte dans le calcul de l’aide. Celle-ci étant d’ailleurs portée jusqu’à 10.000 euros.
Bruno Le Maire a également annoncé une enveloppe de 100 millions d’euros provenant du plan de relance pour aider les commerces à se digitaliser. Ce dernier comporte en effet un chapitre "numérisation des TPE, PME et ETI" financé intégralement par des fonds européens à hauteur de 400 millions d’euros. Le gouvernement y souligne notamment que seulement 34% des TPE de moins de 9 salariés ont un site internet. Le dispositif France Num est mobilisé pour accompagner les petits patrons et commerçants, en lien avec les régions, les chambres de commerce et les chambres de métiers. La mesure avait été votée dans le cadre du troisième budget rectifié du 30 juillet 2020 sous forme de crédits d’impôts. Mais les modalités ne sont pas entièrement arrêtées. En début de semaine, le ministre délégué aux PME Alain Griset a en effet indiqué qu’il pourrait aussi s’agir de "chèques numériques", à l’instar de l’aide de 1.500 euros lancée l’an dernier par l'Ile-de-France. "Il est aujourd’hui et certainement plus que jamais vital d’aider les commerces de proximité à trouver des alternatives et ainsi leur permettre de préserver et développer leur activité", souligne la région (voir le détail du dispositif francilien).
Inciter les collectivités à créer leurs propres places de marché
Bercy a par ailleurs lancé en milieu de semaine un appel à projets pour labelliser des "offreurs de solution" (places de marché, services de livraison, services de paiement…) afin de mettre à disposition des commerces de proximité une offre gratuite ou à des tarifs préférentiels. Depuis plusieurs jours, le ministre fait ainsi la promotion de la solution Ma Ville, Mon Shopping, proposée par La Poste, sur laquelle les consommateurs peuvent trouver l'ensemble des commerces de leur ville et acheter en ligne des produits. Ces plateformes qui se rémunèrent généralement par une commission sur les ventes (5,5% pour Ma Ville, Mon Shopping) pourraient donc être incitées à baisser leurs tarifs.
L’autre idée est d’inciter les collectivités à créer leurs propres places de marché digitales, sorte de vitrine virtuelle du tissu commercial, comme l’ont déjà fait Redon, Roanne, Châteaubriant, Vannes, Lorient, Saint-Malo, Nevers... Certaines, à l’instar de Saint-Flour, se sont plutôt orientées vers le commerce de bouche et les circuits courts. La Banque des Territoires est à la manœuvre pour soutenir les collectivités (relire notre article). Elle a prévu d’accorder des subventions de 20.000 euros à 350 villes dans les six prochains mois. Le gouvernement a décidé de soutenir 250 villes de plus, soit un total de 600 villes.
Les régions montent à leur tour au créneau. L'Ile-de-France a là encore prévu un chèque numérique à destination des communes, pour un montant maximum de 10.000 euros. La Nouvelle-Aquitaine a annoncé, jeudi, le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt à destination de l’ensemble des places de marchés françaises pour "inciter les plateformes à proposer des conditions d'accès tarifaires améliorées et une offre d'accompagnement à l'utilisation de ces plateformes, pour les commerçants, artisans et producteurs régionaux". Une première sélection est prévue le 20 novembre. La condition : abaisser d'au moins 30% leurs frais de commission et recruter au moins 50 entreprises régionales. La région soutient aussi le déploiement d’un maillage de plateformes locales qui a commencé à émerger lors du premier confinement.
"Le 100% Occitanie à l'honneur"
L’Occitanie lance de son côté, à partir du 12 novembre, sa propre plateforme "entièrement gratuite" - "DansMaZone" - permettant de référencer les commerçants proposant de la commande directe ou des retraits en magasin. "Le 100% Occitanie sera également mis à l'honneur afin de valoriser les professionnels qui confectionnent ou distribuent des produits manufacturés dans la région et/ou à base de matériaux locaux (laine, bois, métal de récupération, etc.)", souligne la région. Bruno Le Maire a lui aussi appelé les Français "à avoir un comportement de consommation patriotique". Attention à rester dans les clous de la Commission européenne. Au nom de la "libre circulation des marchandises", elle vient de mettre en demeure la Bulgarie de renoncer à sa législation qui "oblige les détaillants à placer dans des espaces d'exposition et de vente distincts les produits alimentaires nationaux tels que le lait, le poisson, la viande fraîche et les œufs, le miel, les fruits et les légumes".
Phénomène nouveau : l’alliance de la grande distribution et du petit commerce. Intermarché a ainsi proposé de mettre sa place de marché à disposition des commerçants de proximité, à commencer par les libraires. "L'idée est de donner un coup de main aux commerçants en mettant à leur disposition nos outils digitaux, notre plateforme de click&collect, avec dans un premier temps les libraires. Le 'click' se fait sur notre site, mais le 'collect' est fait dans leur boutique", a expliqué Thierry Cotillard le président d’Intermarché, jeudi, à l’AFP.
Débat houleux sur Amazon
Ces outils numériques ne sont cependant pas la panacée et placent devant un choix de société (relire notre article). Les sénateurs ont alerté vendredi sur la situation des territoires ruraux, "où les zones blanches sont encore malheureusement nombreuses et où l’illectronisme isole une partie de la population". Ils ont aussi rappelé "l’iniquité fiscale qui existe toujours entre les petites PME et les grandes plateformes étrangères de vente en ligne". "Nos petits commerces sont obligés de fermer et, en parallèle, des entrepôts d’Amazon s’implantent dans tout le territoire. Ce modèle qui participe à la dévitalisation de nos entreprises, bétonne nos terres agricoles, et a un bilan carbone catastrophique", a dénoncé le sénateur écologiste Daniel Salmon (Ille-et-Vilaine), mercredi, lors d’un débat houleux avec le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O. Mais pour ce dernier "la psychose française sur Amazon n’a aucun sens". "Le e-commerce c’est 10% du commerce en France, Amazon c’est 20% du e-commerce. Il n’y a pas un pays européen où Amazon est plus bas qu’en France. Quand les Français augmentent leurs achats de e-commerce, à 60% cela vient dans les poches des commerçants français, des entrepreneurs français…" Selon le secrétaire d'Etat, la proportion de commerces dotés d'un site en Allemagne est de 72%, plus du double de la France.
Le gouvernement a décidé un coup de pouce pour soutenir les libraires obligés de fermer. Pendant la durée du confinement, ils pourront ne facturer à leurs clients que les frais de port au tarif minimum légal, soit 0,01 euro. Pour se faire rembourser, ils devront adresser leurs justificatifs à l’Agence des services et de paiements. L’occasion de rappeler que les librairies indépendantes ont leur propre place de marché trop méconnue.