Elections - Conseillers départementaux : le Sénat rejette le coeur de la réforme
Le 17 janvier au soir, après de longs et vifs débats, le Sénat a vidé de sa substance la réforme du scrutin départemental examinée en séance en première lecture depuis le 15 janvier. Les élus du Palais du Luxembourg ont rejeté par 164 voix contre 144 le scrutin binominal majoritaire à deux tours appelé à remplacer l'actuel scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Le nouveau mode d'élection, décrit comme sans équivalent au monde et prévu par l'article 2 du projet de loi, stipulait l'élection dans chaque canton au scrutin majoritaire d'un binôme homme-femme de conseillers généraux solidaires au moment de l'élection.
L'UMP et la majorité des centristes ont voté contre. Les écologistes et les communistes se sont abstenus, ainsi que quelques centristes. Seuls le PS et le RDSE (à majorité radicaux de gauche), au sein duquel le scepticisme a pourtant régné, l'ont approuvé. La gauche sénatoriale n'ayant que six voix de majorité par rapport à la droite, le soutien du RDSE n'est pas suffisant pour donner une majorité au gouvernement.
Une "innovation politique" qui "pose des questions"
Le nouveau mode de scrutin est "le gage d'une parité enfin respectée dans les assemblées départementales", a assuré le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. Les conseils généraux demeurent, en effet, très peu ouverts aux femmes. Elles ne représentent que 14% des conseillers généraux et trois départements n'ont même aucune femme dans leur assemblée. Pour parvenir à la parité, la réponse du gouvernement est très efficace, ont convenu les sénateurs de tous les partis. D'autant qu'il est prévu d'appliquer la parité également dans les commissions permanentes et pour l'attribution des vice-présidences, en prenant exemple sur les règles en vigueur dans les conseils régionaux.
La méthode permettant de parvenir à ce résultat a toutefois suscité de nombreuses interrogations. "Une fois élus, les deux conseillers deviendront indépendants l'un de l'autre" a fait remarquer la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin, qui préside la délégation aux droits des femmes. "Que se passera-t-il quand le couple ne sera plus d'accord ? Vous n'avez rien prévu pour une telle situation !", a lancé Jacques Mézard (RDSE). "Que se passera-t-il si ces deux voix cessent de parler à l'unisson ? Quelle crédibilité aura le conseil général ?", s'est demandé pour sa part Bruno Sido. Et celui-ci de conclure que cette "expérimentation hasardeuse pour la vie politique locale" sera "source de confusion sur le terrain comme dans les assemblées".
Représentation des territoires ruraux
Les conseillers départementaux succédant aux conseillers généraux seraient environ 4.000, soit un nombre inférieur, mais assez proche de celui des élus d'aujourd'hui. La réforme induirait, en revanche, une réduction par deux du nombre des cantons. S'ajoute à cette exigence la volonté du gouvernement de réduire les écarts démographiques entre les cantons, qui aujourd'hui vont de 1 à 47 entre le canton le moins peuplé et celui qui comporte le plus d'habitants. Appliquant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il a prévu que l'écart de population d'un canton par rapport à la moyenne départementale ne pourra pas dépasser 20%. "Cette règle prévoit des exceptions fondées sur des motifs géographiques ou des considérations d'intérêt général", a précisé Manuel Valls, en citant le cas des îles ou des zones de montagne.
L'opposition et certains sénateurs de gauche se sont alarmés des conséquences qu'auraient de telles mesures pour le monde rural. Pour Bruno Sido, elles vont "laminer la représentation des cantons ruraux et éloigner les élus des électeurs". Après la fermeture des services publics, "va-t-on voir partir demain le conseiller général de proximité au profit d'un conseiller départemental qui ressemblera davantage à un député en miniature ?", a-t-il déclaré. Le sénateur a estimé que certains cantons comporteront 25 fois plus d'habitants, après redécoupage. Il a souhaité "bon courage" au ministre de l'Intérieur pour "expliquer aux habitants concernés que le projet de loi maintient la proximité existante entre l'élu et la population".
"Gifle"
Le texte prévoit que le nouveau mode de scrutin doit être mis en oeuvre pour la première fois à l'occasion des prochaines élections cantonales, reportées d'une année à 2015, en même temps que les régionales. Elles étaient prévues initialement en 2014, année électorale chargée avec également les municipales, les européennes et les sénatoriales.
Suite au rejet de la réforme du mode de scrutin départemental, les réactions politiques n'ont pas tardé. François Sauvadet, président UDI du conseil général de Côte d'Or et auteur d'une pétition contre le texte a parlé d'"une véritable gifle pour le gouvernement". Il a appelé celui-ci à "revoir sa copie au plus vite et entendre enfin l'appel des territoires ruraux qui ne demandent qu'à être justement représentés". Claudy Lebreton, président du conseil général des Côtes d'Armor, qui est à la tête de l'Assemblée des départements de France a regretté "le choix du statu quo", alors que le projet de loi traduit selon lui une aspiration démocratique "fondée sur la diversité, le renouveau et la parité".
Tout en rejetant le mode de scrutin proposé par le gouvernement, les sénateurs ont validé l'élection en 2015 des conseils départementaux et régionaux, le même jour. Un choix qui devrait être favorable à la participation électorale, a souligné le ministre de l'Intérieur.
Le Sénat a aussi accordé une prime à la jeunesse aux élections départementales en adoptant plusieurs amendements qui attribuent, en cas d'égalité de suffrages, l'avantage au candidat le plus jeune (notamment pour l'élection du président du conseil général). Auparavant, cet avantage était réservé au candidat le plus âgé. Contre l'avis du gouvernement, les sénateurs ont aussi adopté un amendement n'autorisant plus un élu cumulant des mandats (donc pas uniquement les conseillers départementaux) à verser à un autre élu la part dépassant le montant total des indemnités qu'il est autorisé à percevoir. Cette somme devra être reversée au budget de la collectivité où il a été élu le plus récemment.
Le 18 janvier, les sénateurs poursuivaient l'examen du projet de loi en débattant des modalités de l'élection des conseillers communautaires. Le débat devait se terminer dans la nuit du 18 au 19 janvier.