Congrès des maires – Comment "réenchanter" les mandats locaux ?

Dans le cadre d’un débat du congrès de l’AMF qui s’est tenu ce 22 novembre, les maires ont mis en évidence, au travers de plusieurs témoignages, les diverses difficultés auxquelles ils font face dans l’exercice de leur mandat. Formation, reconnaissance des acquis de l’expérience, crédits d’heures, indemnités... Sur de nombreux points, des progrès restent à accomplir. La conciliation entre le mandat et la vie professionnelle est également un point sensible. Le Parlement veut apporter des solutions via des propositions de loi en préparation.

Y aura-t-il en nombre des candidats aux élections municipales de 2026, si rien n’est fait pour "réenchanter" les mandats locaux ? Dans un climat de grande inquiétude, la question était posée ce 22 novembre, lors d’un débat du congrès des maires de France, intitulé "Etre élu local, les réalités d’un engagement toujours plus exigeant". Les violences, la "contestation citoyenne", "l’individualisme" croissant dans la société ont été évoqués parmi les facteurs qui conduisent certains à ne pas envisager de mandat et ceux qui ont été élus à jeter l’éponge. Mais bon nombre d’autres raisons ont aussi été pointées, comme la difficile conciliation d’un mandat avec une activité professionnelle.

Laurent Roussel, adjoint au maire de Fontainebleau et vice-président de la communauté d'agglomération du Pays de Fontainebleau, en a fait l’amère expérience. Informée de ses fonctions électives, la banque qui l’emploie lui a fait savoir qu’il se trouvait "probablement" dans une situation d’ "incompatibilité". "Les choses se sont dégradées. On m’a muté, on m’a enlevé mes responsabilités, mes pouvoirs bancaires", a témoigné l’élu qui, il y a deux ans, a saisi le tribunal des prud’hommes pour discrimination, une atteinte qu’il est cependant "difficile de prouver". Dans l’attente d’une décision finale de la justice qui, en raison d’un probable appel, n’interviendra que dans "trois ou quatre ans", sa "vie au quotidien" est "assez difficile à gérer".

"Point d’équilibre impossible à trouver"

D’une manière générale, la conciliation entre vie professionnelle et mandat de maire "est de plus en plus tendue", a constaté Martial Foucault, directeur du Cevipof, responsable d’une vaste enquête menée avec l’AMF sur les conditions d’exercice des mandats des maires (voir notre article du 20 novembre). Cette question concerne 60% des maires et pas seulement ceux qui sont salariés. Les artisans, les chefs d’entreprise et professions libérales "doivent réorganiser totalement leur vie professionnelle", avec pour certains un "dilemme très complexe" à résoudre après seulement "quelques mois d’exercice" du mandat : se désengager de la vie municipale en devenant simple conseiller, ou abandonner son activité professionnelle. Un choix incontournable à faire, car vie personnelle, vie professionnelle et mandat "se télescopent" et le "point d’équilibre" est "impossible" à trouver, selon Frédéric Roig, maire de Pégairolles-de-l’Escalette et co-président du groupe de travail de l’AMF sur les conditions d’exercice des mandats locaux.

Certains font le choix de se consacrer à plein temps à leur mandat, avec "l’espoir que six ans plus tard, ils pourront retrouver une activité comparable". Mais ils ne peuvent en avoir la certitude. "Avoir été maire, l'inscrire sur son CV, ne suffit plus à garantir une reconversion professionnelle", observe Martial Foucault. La question de "savoir ce qu’on va faire après" est pourtant "décisive", d’autant qu’aujourd’hui, bon nombre d’élus n’envisagent pas d’exercer trois ou quatre mandats, souligne Rémi Lefebvre, politologue et chercheur au CNRS.

Obstacles bureaucratiques

En outre, certains maires voudraient ponctuellement se rendre plus disponibles pour leur mandat, mais les crédits d’heures dont ils disposent ne sont pas suffisants. Comme a pu le constater un maire du Pas-de-Calais, dont les concitoyens viennent d’avoir "les pieds dans l’eau", a relaté Sébastien Jumel, député et co-rapporteur de la mission sur le statut de l’élu local au sein de la délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale. L’élu local aurait été contraint de "se mettre en arrêt maladie pour être aux côtés de la population".

En dépit d’une réforme engagée récemment pour le simplifier, le système de formation des élus locaux reste compliqué, ont par ailleurs déploré des élus, dont David Valence, député Renaissance et président de la délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale.

L’inflation des normes et les tracasseries administratives ont aussi été pointées du doigt, notamment via la projection d’extraits d’un film actuellement au cinéma, "Monsieur le Maire". Réalisé par Karine Blanc et Michel Tavares, il est inspiré d’une histoire vraie. Celle d’Arnaud Diaz, maire de la commune de L'Hospitalet-près-l'Andorre (Ariège, 100 habitants). Son projet de création d’un foyer social pour l’accueil de femmes en difficulté s’est heurté au veto des administrations de l’Etat. Clovis Cornillac, qui incarne ce maire-courage, doit plaider sa cause jusqu’à Paris, auprès de la ministre chargée des Collectivités territoriales.

Mieux indemniser les mandats

D’autres élus ont insisté sur le fait que les élus locaux ont besoin d’une "plus grande reconnaissance", alors que les attentes des citoyens sont plus fortes. La majorité des maires attend davantage de reconnaissance non pas tant des citoyens que de l’Etat, a nuancé Martial Foucault.

Cette reconnaissance devra passer par une revalorisation des indemnités de fonction. Les élus locaux ne veulent être ni des "privilégiés", ni des personnes "pénalisées", a-t-il été souligné. Mais une meilleure indemnisation ne réglera pas à elle seule les problèmes des maires, a prévenu le directeur du Cevipof.

"Troisième grande loi de décentralisation"

"Respecter" pleinement les élus consisterait aussi à "leur faire confiance" et leur donner le "pouvoir d’agir", à rebours des évolutions de ces "quinze dernières années", a estimé Gérard Larcher, le président du Sénat, qui clôturait le débat. Le renouveau pourrait venir, selon lui, d’une "troisième grande loi de décentralisation" - troisième, car venant après celles qui ont été votées durant les mandats de François Mitterrand et Jacques Chirac. Gérard Larcher a dit espérer que cette réforme de la décentralisation annoncée par Emmanuel Macron en septembre 2022 ne soit pas repoussée aux calendes grecques. Il a donc appelé à ce que l’exécutif enclenche la réforme dans le sillage du rapport qu’Eric Woerth, député en mission - présent lors de ce débat -, remettra au chef de l’Etat en mai prochain.

En attendant, le Sénat va prendre des initiatives, avec le dépôt début 2024 d’une proposition de loi sur les conditions d’exercice des élus. L’Assemblée nationale ne sera pas en reste. Sur la base notamment du rapport de la mission sur le statut de l’élu local pilotée par Sébastien Jumel (communiste) et Violette Spillebout (Renaissance), les députés ont "la volonté d’aboutir à une proposition de loi transpartisane" sur le sujet.