Congrès des maires : des élus "menacés" et "étouffés"

La séance d'ouverture du Congrès des maires, ce mardi 21 novembre après-midi, a été largement consacrée à la question des violences envers les élus. La ministre Dominique Faure a rappelé ce qui a déjà été engagé sur le sujet en partenariat avec l'AMF. Au-delà des seules violences, il a beaucoup été question de "crise démocratique". Crise à laquelle les multiples entraves que rencontrent les maires pour mener à bien leurs politiques ne seraient pas étrangères. En jeu : une "recentralisation" financière et normative, un Etat qui "empêche" voire "étouffe".

Après les multiples travaux de la matinée ayant comme il se doit abordé une grande diversité de sujets concrets (voir nos autres articles de l'édition de ce jour), la séance officielle d'ouverture du Congrès des maires, ce mardi 21 septembre après-midi, était clairement placée sous le sceau de l'intitulé choisi pour cette 105e édition : "Communes attaquées, République menacée".

Ce "débat d'orientation générale" avait été précédé par l'Assemblée générale statutaire (avec adoption à l'unanimité du rapport d'activité mettant notamment en avant les avancées obtenues cette année par l'Association des maires de France en termes de textes législatifs et de décisions gouvernementales) et par une séquence consacrée aux Jeux olympiques en présence de la ministre des Sports. Puis par l'allocution de la maire de Paris, qui avait d'avance donné la tonalité des échanges à suivre, Anne Hidalgo ayant avant tout évoqué un contexte de "gravité", les "menaces et intimidations" pesant sur les élus locaux, une "crise démocratique majeure", une "asphyxie" des communes.

C'est en effet de tout cela dont il fut question au fil des prises de parole. A commencer par celle de David Lisnard, le président de l'AMF unique candidat à sa succession, qui parle lui aussi clairement de "crise démocratique". André Laignel, le premier vice-président délégué de l'association, le dit aussi. Le politologue Martial Foucault, venu présenter une partie des enseignements de l'étude menée avec l'AMF par le Cevipof qu'il dirige (sur cette étude, voir notre article du 20 novembre), fait pour sa part le constat, a minima, d'une "société conflictualisée" marquée par "un haut niveau d'exigence" des administrés mais aussi "rongée par une forme d'incivisme" qui "est déjà une forme de violence". Et ce, quelle que soit la taille de la commune.

Et cette crise citoyenne ou démocratique, donc, irait jusqu'à menacer la République. "Oui, la République est menacée", a redit David Lisnard en préambule à une longue anaphore. Elle l'est quand ont lieu des agressions contre les élus, "quand la justice ne peut s'exécuter", "quand l'universalisme n'est plus le substrat" de la société, "quand se manifestent le racisme et l'antisémitisme", "quand les enseignants sont contestés dans l'exercice de leurs missions"…

Prévenir, protéger, sanctionner

L'AMF avait très tôt "tiré la sonnette d'alarme" sur la question des violences envers les élus, avec d'ores et déjà certaines avancées, a rappelé son président : mise en place d'un observatoire, formations avec le Raid et le GIGN dont ont déjà bénéficié pas moins de 25.000 élus, nouvelle possibilité pour les associations d'élus de se constituer partie civile… ainsi que d'autres dispositions que le gouvernement a fait siennes dans son premier plan de mai dernier (suite à la démission du maire de Saint-Brevin) puis dans son deuxième plan, plus musclé, présenté en juillet dans la foulée des émeutes urbaines. Et dont certaines nécessiteront l'adoption de la proposition de loi sénatoriale en cours de navette. "Il faut continuer ce travail. Mais la difficulté vient aussi des moyens des magistrats. Souvent, si elles ne sont pas médiatisées, les affaires sont classées sans suite", a dit David Lisnard.

"Le plan de prévention et de lutte contre les violences aux élus a bien avancé, mais il faut progresser encore", a reconnu Dominique Faure, la ministre en charge des collectivités, qui participait à cette séquence. Se félicitant du "travail collectif" mené avec l'AMF depuis avril dernier jusqu'à la Convention nationale de la démocratie locale du 6 novembre, elle a confirmé que la proposition de loi devrait passer à l'Assemblée nationale d'ici la fin de l'année. Son credo : "mieux prévenir" (les référents violences aux élus, les formations…), "mieux protéger", "mieux sanctionner". Et, plus globalement, "faire en sorte que le respect revienne". La ministre a aussi précisé que la Convention nationale a donné lieu à la production d'un document remis à Elisabeth Borne.

L'épisode des émeutes du début de l'été a été remis en lumière, images et chiffres de mairies ou écoles détruites ou dégradées à l'appui. Et plusieurs élus sont venus apporter leurs témoignages. Dont celui d'un maire du Val-de-Marne se souvenant de "ces jeunes qui voulaient tout casser", mus par une réelle "révolte", jusqu'à tenter de "brûler [sa] maison" pendant que les élus étaient sur le terrain pour "éteindre les feux" et protéger la population. "Ces violences ne sont pas qu'urbaines, elles sont devenues périurbaines, rurales…", a souligné David Lisnard. "Ce fut une première, et c'est un phénomène à ne pas sous évaluer pour l'avenir", a-t-il prévenu.

Au-delà des formes de violences extrêmes, Martial Foucault s'est fait le relais des éléments de l'enquête du Cevipof relatifs aux plus quotidiennes insultes, attaques sur les réseaux sociaux, contestations, comportements agressifs… qui participent de ce "contexte anxiogène" créant pour de très nombreux élus locaux un "sentiment d'insécurité". A tel point que le "rapport avec les habitants" apparaît chez les répondants comme le premier motif possible de démission.

"Nous proposons de changer le cadre"

Selon David Lisnard, cette "société violente" et cette crise démocratique est partiellement alimentée par le fait que les maires sont si souvent "empêchés" – pour reprendre le titre de l'enquête du Cevipof – par les multiples entraves que leur impose l'Etat. Empêchés de "travailler", d'être aussi efficaces qu'ils le voudraient. On retrouve d'ailleurs ici peu ou prou l'une des idées ayant pris forme il y a deux semaines lors des Assises des départements, lorsque le président de Départements de France estimait que "recul de la confiance des citoyens et recul de la décentralisation" vont de pair (voir notre article du 9 novembre : " Décentraliser pour soigner la crise démocratique"). "Aujourd'hui il ne manque pas grand-chose pour que la balle tombe du côté de l'effondrement de la République… ou au contraire du côté d'un renouveau par l'innovation, le travail, le bon sens, le local", dit même le président de l'AMF.

Le plaidoyer du maire de Cannes contre la "recentralisation" est connu. Il est aussi celui d'André Laignel, pour qui on est passé d'une "recentralisation rampante" à une "recentralisation galopante" faite de multiples "étouffements". Pour l'AMF, elle est d'une part financière. Que ce soit côté recettes avec la "nationalisation des impôts" ayant conduit à ce que "l'effort fiscal ne repose plus que sur les propriétaires" et à une "déresponsabilisation" du local, ou côté dépenses avec le "fléchage des dotations d'investissement" ayant conduit les collectivités à devenir "les exécutants des politiques nationales". Cette recentralisation serait aussi "juridique" : "Nous proposons de changer le cadre, nous proposons une révolution complète dans la façon de produire de la norme et de la règle. Il y a trop de lois, trop d'administration. Cela tue la vitalité locale", résume David Lisnard. Et selon lui, "la décentralisation n'aura de sens que si elle est accompagnée d'une déconcentration des services de l'Etat". "Il est temps, poursuit-il, de prendre acte de l'échec de l'agenciarisation et de la régionalisation des services de l'Etat. Nous allons aider l'exécutif à se libérer lui-même de tout ce qui ne sert à rien".

"Que nous reste-t-il de liberté d'action ?" s'interroge André Laignel, fustigeant par exemple "ces plans annoncés chaque quinzaine – plan eau, plan vélo, plan chaleur, plan école, plan petite enfance… – qui tous impliquent les communes mais ne sont pas assortis de moyens". Et le vice-président délégué de proposer que "l'AMF saisisse le Conseil constitutionnel sur l'affaiblissement de la libre administration des communes".

A titre personnel, le maire d'Issoudun se fait par ailleurs très critique face à ce qu'il nomme la "supracommunalité", constatant par exemple que "désormais, pour s'engager dans n'importe quelle contractualisation, cela se fait obligatoirement au niveau intercommunal". A ses yeux, "aujourd'hui, l'Etat essaie d'utiliser l'intercommunalité pour affaiblir et marginaliser la commune", loin d'une intercommunalité "vivante et souple, outil de subsidiarité".

Une partie de ces constats seront sans doute reformulés par les deux élus jeudi après-midi à l'adresse d'Elisabeth Borne qui viendra clore le congrès, tandis qu'Emmanuel Macron aura reçu la veille en fin de journée un millier de maires à l'Elysée. Un entretien entre le chef de l'Etat et David Lisnard est d'ailleurs prévu à cette occasion. L'Elysée indique que cette réception permettra de "remercier les maires pour leur engagement auprès de nos concitoyens dans un contexte singulier (émeutes de l’été, évènements climatiques, violences envers les élus)" et de "souligner la conscience de l’exercice d’un mandat de plus en plus difficile et les réponses que l’Etat y a apporté". Il est également prévu qu'Emmanuel Macron revienne sur les "attendus" de la mission Woerth sur la décentralisation qui "visent à rendre plus simple, plus lisible et plus efficace l’action publique locale et à renforcer le lien entre les citoyens et leurs élus".

 

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