Politique de la ville / Citoyenneté - Comment aider les jeunes des quartiers à devenir "des acteurs à part entière" ?
Alors qu'une centaine de contrats de ville doivent encore être signés (voir ci-contre notre article du 14 septembre 2015), l'association Profession Banlieue a organisé le 21 septembre une journée d'échange sur la place des jeunes dans les quartiers prioritaires.
C'était ainsi l'occasion de rappeler que la jeunesse constitue l'une des trois "priorités transversales" des contrats de ville, dotée d'un cadre de référence (téléchargeable ci-contre). Parmi les différentes préconisations, il s'agit de "penser la jeunesse non pas en termes de dispositifs juxtaposés mais en termes de parcours", a précisé Carole Condat, responsable du service politique de la ville, jeunesse et éducation populaire à la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) Ile-de-France.
Des dispositifs nombreux, mais mal coordonnés et mal répartis
Pour cette dernière, la jeunesse a jusque là été prise en compte "de façon extrêmement inégale" dans les contrats de ville franciliens (90% des 74 contrats prévus ont été signés). Il y a encore "un travail à faire pour penser le parcours des jeunes". Malgré l'"accumulation de dispositifs", les efforts des différentes collectivités et de l'Etat seraient mal coordonnés et mal répartis : "tout se concentre très fortement sur le temps scolaire et périscolaire", au détriment de certains enjeux – l'accès au droit ou encore la santé et, en particulier, la santé mentale – et de la tranche d'âge 18-25 ans.
Autre difficulté soulignée par Carole Condat : certaines tensions liées au fait que la jeunesse reste largement une compétence municipale, alors que le contrat de ville est devenu une affaire intercommunale. La représentante de l'Etat a insisté sur la nécessité de se saisir de l'"exercice du contrat de ville" pour s'interroger sur "ce qu'est un projet jeunesse territorialisé".
Selon Joëlle Bordet, chercheur psycho-sociologue au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), si la notion de politique jeunesse est peu formalisée du fait de l'absence de compétence – globale – obligatoire, il est possible de mener localement un "vrai travail" caractérisé par une "stratégie" connue du maire, une "capacité de transformation", une "évaluation"… Et une démarche volontaire d'écoute des jeunes eux-mêmes.
Des jeunes qui aspirent à aider, créer, entreprendre
Pour sensibiliser les acteurs nationaux et locaux à ce dernier enjeu, la Fédération des centres sociaux et socio-culturels de France (FCSF) et Question de ville (association des directeurs des centres de ressources de la politique de la ville) ont publié fin 2014 un rapport rendant compte de la parole de jeunes de quartiers populaires. 350 jeunes fréquentant des centres sociaux, issus de 22 quartiers et d'une dizaine de régions, se sont exprimés dans ce cadre sur leur vie, leurs difficultés, leurs espoirs.
On y apprend notamment que ces jeunes sont caractérisés par une forte aspiration au "service des autres" – "entraide dans la famille ou le voisinage, associations", "accueil des migrants"… - à laquelle "le service civique répond partiellement", témoigne Catherine Foret, sociologue et rédactrice de l'ouvrage. Nombreux sont ceux qui rêvent de "créer" – danse, musique, artisanat, cuisine… - et d'entreprendre ; contrairement aux générations précédentes, aucun n'aspire à devenir fonctionnaire.
Pour lever les freins auxquels ces jeunes se heurtent dans leur parcours - l'"auto-censure" en étant un parmi d'autres - et les aider à devenir "des acteurs à part entière", le soutien local peut prendre différents visages. Ainsi à Montreuil, c'est le centre social municipal qui a, dans l'un des quartiers les plus durs de la ville, donné l'occasion à des jeunes filles de s'impliquer dans un "comité jeunes", puis d'écrire et de réaliser un court-métrage sur les relations mères-filles.
Demander leur avis ou leur confier des responsabilités
A Bobigny et Drancy, l'association de prévention spécialisée Vie et Cité s'est saisie de l'obligation d'évaluer son action pour demander, pour la première fois, l'avis des jeunes accompagnés sur le suivi dont ils faisaient l'objet, dans le cadre d'un groupe d'expression. Malgré les appréhensions de départ des éducateurs, la démarche s'est révélée positive pour ces derniers comme pour les jeunes concernés, qui se sont par la suite impliqués spontanément dans une démarche régionale intitulée le "parlement libre des jeunes".
A Epinay-sur-Seine, une association culturelle et sportive créée il y a 12 ans par un jeune éducateur sportif est aujourd'hui gérée de façon autonome par une dizaine de jeunes du quartier. "Il suffit de leur donner leur chance, de les mettre devant leurs responsabilités, pour qu'ils créent quelque chose", estime Pacôme Signon, fondateur et président de l'association Viv'r. Cette dernière fonctionne sans subvention, pour ne pas avoir à dépendre de la ville. Seul rôle concédé à la municipalité : la remise annuelle d'un prix aux jeunes membres de l'équipe, qui se sentent ainsi "importants dans le quartier et dans la ville".
Dans ces trois exemples, quelle que soit l'origine de l'initiative, citoyenne ou institutionnelle, le facteur de réussite qui est mis en avant est celui de la confiance accordée aux jeunes. Sur un projet bien identifié, ils sont mis en situation de responsabilité - décider, mettre des idées en pratique, présenter le travail réalisé... Des enseignements utiles, alors que les conseils citoyens sont encore en gestation (voir notre encadré ci-dessous) et que 20 "fabriques d'initiatives citoyennes" sont en train d'être identifiées, avant un déploiement du dispositif prévu pour 2016.
Caroline Megglé
des "habitants-relais" pour faire vivre le conseil citoyen
A Tremblay-en-France, la ville est en train de concevoir un conseil citoyen qui permette d'impliquer, à différents niveaux, un maximum d'habitants. Des habitants "membres" du conseil – deux tiers des sièges, dont un quart pour les moins de 30 ans, leur seront réservés – seront désignés par tirage au sort parmi les personnes volontaires, suite à un appel à candidatures qui devrait être largement relayé. Avec les autres membres désignés – acteurs locaux et associatifs -, ces "animateurs-organisateurs" s'appuieront sur l'expertise d'un autre cercle, une centaine d'"habitants-relais" représentatifs de l'ensemble du quartier, régulièrement mobilisés dans des cadres divers et moins formels que l'instance du conseil.
C. Megglé