Politique de la ville - Clichy-Montfermeil : photographie d'une banlieue "emblématique"
Intervenant devant la Conférences des villes, la semaine dernière, Claude Dilain, le maire PS de Clichy-sous-Bois, et Xavier Lemoine, le maire UMP de Montfermeil, alertaient une nouvelle fois sur la situation de leur commune (toutes deux situées en Seine-Saint-Denis). Le premier s'inquiétait de la "territorialisation" de la pauvreté et de la situation sanitaire de Clichy qui connaît une épidémie de tuberculose. Le second fixait les conditions nécessaires au dialogue avec l'islam : "La laïcité, l'égale dignité de l'homme et de la femme et la liberté de conscience." Les deux élus se retrouvent au centre d'une étude menée par le politologue Gilles Kepel pour l'Institut Montaigne : c'est sur leur agglomération, d'où sont parties les émeutes de 2005, que les 5 auteurs ont choisi d'enquêter. Une agglomération pas représentative mais "emblématique", car s'y manifestent "une collection de symptômes sociaux", prévient d'emblée Gilles Kepel, spécialiste de l'islam. Un an de travail, plus de deux mille pages d'entretiens menés "en français pour la plupart – mais aussi en arabe, en turc, en cambodgien, en anglais, en peulh, en soninké", ont abouti à ce constat : "La relation du territoire de Clichy-Montfermeil à l'islam est marquée par une piété qui semble exacerbée par les circonstances particulières que connaît l'agglomération, allant de l'enclavement géographique à l'adversité sociale."
L'emploi, coeur du problème
Pourtant, l'enquête tranche avec l'image de territoires abandonnés : le programme de rénovation urbaine a mobilisé 600 millions d'euros (sur 40 milliards au total). C'est le plus gros chantier de rénovation en France. "Les habitants que nous avons interrogés à ce propos sont pour la plupart satisfaits de cette évolution", constate M. Kepel.
Mais les auteurs relèvent ce contre quoi tous les élus des quartiers en rénovation mettent en garde aujourd'hui : "Sans insertion sociale par l'emploi, les opérations de rénovation urbaine n'ont au mieux que des effets transitoires sur des territoires en situation de forte relégation." "Le coeur du problème de Clichy-Montfermeil est l'emploi", souligne en effet M. Kepel. Le taux de chômage est de 22,7% à Clichy et de 17% à Montfermeil, loin des 11% en moyenne pour la région (le taux de chômage atteint 43% pour les jeunes actifs en ZUS rappelle l'étude). Clichy-Montfermeil souffre "d'un fort enclavement géographique qui l'empêche de bénéficier du dynamisme des pôles économiques existant en Seine-Saint-Denis", soulignent encore les auteurs, constatant au passage que l'agglomération ne comporte pas d'agence de Pôle emploi. Cet enclavement se traduit aussi par des transports défaillants : plus d'une heure pour rejoindre le quartier de la Défense. Face à la précarité, de nombreux jeunes se tournent vers des "conduites déviantes" ou vers le repli identitaire et religieux. A l'opposé, il y a aussi ceux qui s'en sortent, "grâce à un soutien familial fort" et par le développement de l'entreprenariat. Mais l'étude pointe un échec criant pour l'éducation prioritaire et rappelle que 20% d'une classe d'âge quitte le système scolaire sans diplôme. L'école est ainsi l'objet de profondes crispations. La cantine, qui aurait pu servir de lieu de socialisation, est évitée tant pour des raisons économiques que culturelles. Quant à la loi sur le voile à l'école, elles est acceptée mais "pas comprise". Au bout de la chaîne, le sentiment de rejet se cristallise sur la figure du conseiller d'orientation en fin de collège, "loin devant les policiers". Un constat proche de celui que Claude Dilain avait formulé devant le Conseil national des villes en décembre dernier, à Gonesse. "Il y a un malentendu très grave : le discours des jeunes sur la police est extrêmement gentil comparé au discours des jeunes sur l'éducation", avait alors alerté l'élu.
Vote ethnique
Paradoxalement, la plupart des personnes interrogées demandent plus de police, et insistent sur son rôle de prévention et de dissuasion. "L'ouverture du commissariat à Clichy-Montfermeil a suscité des attentes importantes chez les habitants, qui y ont vu l'un des éléments du retour à la normalité", constate l'étude.
Dans ce contexte, l'islam apparaît comme une force structurante aux yeux des habitants. Une sorte de valeur refuge. Bien au-delà d'une République qui paraît lointaine. Or, l'enquête révèle une imbrication de plus en plus forte du politique et du religieux. La construction d'une grande mosquée a ainsi constitué un "enjeu électoral majeur". Mais les auteurs invitent les élus à ne pas se laisser instrumentaliser par le "vote ethnique". "Il semblerait dès lors pertinent que les grands partis favorisent l'accès à des positions éligibles de premier plan pour ces jeunes issus des vagues d'immigration récentes", conseillent-ils.