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Elus - Ce que gagnent vraiment les élus locaux

Alors que l'on attend le vote du projet de loi sur la transparence de la vie publique - qui prévoit notamment une déclaration de patrimoine et d'intérêts pour les "grands" élus - et alors que sera examiné début juillet le projet sur le cumul des mandats... la question du revenu des élus est sous les projecteurs. Mais avec, souvent, pas mal d'idées fausses. Il est vrai que le système des indemnités des élus locaux, de leur cumul et de leur plafonnement "peut donner la migraine même à un spécialiste", reconnaît un avocat. Alors, au final, que gagnent vraiment les élus locaux ?

Si, en Allemagne, les élus locaux ont quasiment le statut de fonctionnaires, ils sont, en France, considérés un peu comme des bénévoles. Ils assurent leurs fonctions "à titre gratuit". Le législateur n'entend pas que l'on puisse assimiler les élus locaux à des professionnels de la politique, même si les intéressés parviennent, dans bien des cas, malgré les revers liés au suffrage universel, à effectuer de véritables carrières. De fait, bien que certains le jugent inadapté, ce principe reste pour l'instant intangible, tant il fait encore consensus chez les parlementaires.
Par conséquent, les élus ne perçoivent ni salaire ni traitement, mais une ou des indemnités, qui visent à compenser, du fait de l'exercice de leur mandat, les frais qu'ils engagent et le temps qu'ils ne peuvent consacrer à des activités professionnelles ou personnelles. Mais ce n'est pas le cas de figure le plus courant.
On n'oublie pas, en effet, que 80% des 550.000 élus locaux ne perçoivent aucune indemnité. Ces "simples" conseillers municipaux peuvent seulement être remboursés de leurs frais de déplacement, lorsqu'ils ont à se rendre à une réunion à l'extérieur de la commune. Lorsque la collectivité l'a décidé, ceux qui ont des enfants peuvent obtenir le remboursement des frais de garde pour la durée des réunions auxquelles ils doivent participer. Très limités en nombre, les conseillers municipaux des villes de plus de 100.000 habitants touchent automatiquement une indemnité de 228,09 euros bruts mensuels.
Parce que l'engagement de ces personnes ne coûte (pratiquement) rien à la République, il ne faut surtout pas réduire leur nombre, avancent leurs défenseurs – l'actuel chef de l'Etat en tête – pour répondre à ceux qui appellent, au contraire, à la constitution d'équipes municipales plus resserrées.

646 euros bruts par mois pour le maire d'un petit village

Les autres élus perçoivent des indemnités dont le montant varie suivant la taille de la collectivité. Les quelque 20.250 maires des communes de moins de 500 habitants doivent se contenter d'une indemnité brute mensuelle de 646,25 euros (qui est réduite à 250,90 euros bruts mensuels pour leurs adjoints). Cette somme est calculée au plus juste, en sachant que les dépenses de carburant peuvent représenter près de la moitié de cette indemnité, comme l'indiquait récemment le président de l'Association des maires ruraux de France, Vanik Berberian.
Les maires des quelque 15.490 communes comprises entre 500 et 10.000 habitants bénéficient, quant à eux, d'indemnités allant de 1.178,46 à 2.090,81 euros bruts mensuels (entre 313,62 et 836,32 euros pour les adjoints). Ces montants sont des plafonds : certains maires de petites communes, qui ne sont pas si rares, perçoivent en réalité des indemnités inférieures.
Le montant des indemnités de fonction passe à 2.470,95 euros dans le cas des maires des villes de 10.000 à 20.000 habitants. "A partir de ce seuil, les maires consacrent généralement à leur mandat les deux tiers, voire les trois quarts de leur temps", précise Philippe Doucet, président de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le statut de l'élu, qui a remis son rapport le 19 juin (lire ci-contre notre article publié ce jour-là). "Celui, ou celle, qui est enseignant obtient une réduction de son volume horaire de cours ; celui, ou celle, qui exerce une profession libérale ne reçoit plus que la moitié de sa clientèle. S'agissant d'un salarié, en revanche, quel sera l'employeur qui acceptera de réduire sa durée de travail à un jour par semaine ?", poursuit-il. Conclusion du député : dans ces strates-là, les indemnités sont indispensables, il faudrait même les revaloriser (de 10%).
Au-delà de 50.000 habitants, l'indemnité des maires atteint 4.181,62 euros bruts mensuels (5.512,13 euros pour les maires des villes de plus de 100.000 habitants). "C'est moins que ce qu'ils pourraient probablement gagner dans le privé et moins que le salaire du directeur général des services", commente Philippe Doucet.

Des indemnités majorées dans de nombreuses communes

On retrouve la même graduation en fonction de la population pour les indemnités des responsables des intercommunalités. Le président d'une communauté de communes d'environ 12.000 habitants perçoit 1.853,22 euros bruts mensuels, quand son homologue d'une communauté d'agglomération de 120.000 habitants bénéficie de 5.512,13 euros.
Pour les conseils généraux et régionaux, c'est encore le même principe qui prévaut. Une indemnité de 1.520,59 euros bruts mensuels est prévue pour les conseillers des départements et régions les moins peuplés. Elle atteint 2.661,03 euros dans les territoires les plus denses. En revanche, les présidents des conseils généraux et régionaux sont tous logés à la même enseigne (5.512,13 euros bruts mensuels).
S'il existe, sur le plan des indemnités des élus, des situations identiques dans toutes les collectivités, de nombreuses différences potentielles se font toutefois jour. Des différences qui tiennent à la liberté assez importante qui est laissée aux conseils élus pour répartir ces indemnités - à la condition de respecter, d'une part, la limite de l'enveloppe globale définie par la loi et, d'autre part, la règle selon laquelle les indemnités d'un adjoint ou d'un vice-président ne dépassent pas celles du maire ou du président.
En outre, les conseils municipaux peuvent décider de majorer les indemnités de leurs membres, lorsque ces communes sont des chefs-lieux de département, d'arrondissement, ou de canton, ou bien encore si elles ont été classées stations de tourisme. Cette possibilité existe aussi pour les communes urbaines pauvres et les communes sinistrées.

Des avantages en nature, aussi

Bien que n'étant pas assimilables à des salaires, les indemnités sont soumises à l'impôt. Avec deux possibilités pour l'élu : soit l'impôt sur le revenu, soit une retenue à la source. Elles sont également assujetties au paiement de la CSG et de la CRDS.
A ces indemnités s'ajoutent des avantages en nature, dont l'attribution n’est possible que si ces avantages apparaissent strictement nécessaires à l’exercice des fonctions occupées, rappelle Aloïs Ramel, avocat au sein du cabinet Seban & associés. Ce principe exclut par exemple la mise à disposition d'un véhicule de fonction, dont l'élu aurait le loisir de se servir même pour ses déplacements personnels. En revanche, il autorise l'utilisation par l'élu, dans le cadre de son mandat, d'un véhicule de service, y compris avec chauffeur.
Pour ce qui est du logement de fonction, seuls les présidents de conseils généraux et régionaux peuvent réellement en disposer, à condition que leur résidence personnelle soit située "en dehors de l’agglomération comprenant la commune chef-lieu du département ou de la région”.
Parmi les autres avantages les plus significatifs, on notera que le conseil municipal peut allouer au maire une indemnité de représentation afin de couvrir les dépenses que celui-ci est amené à engager dans le cadre de ses fonctions, telles que l'organisation de réceptions ou de réunions publiques. Les autres élus peuvent bénéficier, eux, d'une aide de la collectivité pour financer des chèques emploi-service universels (qu'ils utiliseront pour régler des frais de garde d'enfant, etc).

Pas plus de 8 272 euros bruts par mois

Les élus qui exercent plusieurs mandats voient leurs indemnités s'additionner. C'est évidemment la conséquence du cumul. Mais aussi, parfois, l'un des objectifs de cette pratique politique très ancrée dans notre pays. Les élus des petites communes trouvent là le moyen de pallier la faiblesse de leurs indemnités et l'insuffisance du statut de l'élu, affirment par exemple les sénateurs Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet dans un rapport remis en janvier 2012.
Certains vont plus loin, voyant dans cette faiblesse des indemnités l'une des explications à la multiplication des postes de vice-présidents dans les communautés. Un phénomène que le député René Dosière, spécialiste du financement des institutions, n'hésite pas à qualifier de "dérive". Après avoir augmenté de 27,9% entre 2007 et 2009, le total des indemnités des présidents et vice-présidents de communautés ont encore augmenté de 5,3% en 2009, pour atteindre 218,6 millions d'euros, dénonce-t-il sur son blog. D'autres veulent y voir autre chose. "En multipliant les élus et les fonctions, certains présidents d'agglomération s'allouent ainsi un soutien politique et une majorité au-delà de leur propre camp", analysait l'hebdomadaire Le Point dans son édition du 13 septembre 2012.
Alors que les députés vont examiner, début juillet, les deux projets de loi interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec un mandat parlementaire, des sénateurs affirment que ce qu'attendent les citoyens, ce n'est pas véritablement la limitation du cumul des mandats, mais celle des indemnités. Ils étaient plusieurs à le répéter lors d'une réunion, le 26 février dernier. L'un d'eux indiquant, en outre, que "les deux tiers" des Français ignorent que ces indemnités sont plafonnées depuis 1992.
Ceux qui exercent plusieurs fonctions électives (y compris dans les intercommunalités) et les responsabilités qui leur sont attachées (au sein d'une société d'économie mixte par exemple) voient en effet leur indemnité plafonnée à une fois et demie le montant brut de l'indemnité parlementaire de base, soit 8.272,02 euros bruts. "Ce plafond s'entend déduction faite des cotisations sociales obligatoires", précise la réglementation. Beaucoup d'élus jugent ce plafond pertinent. Mais le consensus n'est pas parfait : certains, comme le sénateur PS Yves Krattinger, ou René Dosière, le considèrent comme trop élevé.

"De nombreux petits litiges"

Au-delà du montant lui-même, les modalités du plafonnement restent perfectibles. "Ne sont pas prises en compte certaines fonctions conduites dans des associations, ou certains mandats dans des organismes consultatifs nationaux. Mais c'est très marginal et la plupart des structures en question sont en réalité du vrai bénévolat", indique l'avocat Eric Landot. Lequel, en revanche, critique le mode de calcul du plafonnement : "Il peut donner la migraine même à un spécialiste !".
Le bénéfice des indemnités est conditionné à "l'exercice effectif" des responsabilités locales. Mais, dans les faits, seuls les conseils généraux et régionaux ont la faculté de réduire partiellement les indemnités de leurs membres si ceux-ci manquent d'assiduité.
Comme les autres, les élus locaux ne sont pas totalement irréprochables... "C'est sur les notes de frais qu'il y a parfois des dérapages", assure Eric Landot. Mais les abus sont globalement limités. Et l'avocat de poursuivre : "Il y a d'assez nombreux petits litiges en matière d'indemnités des élus, mais qui portent sur des points annexes comme les indemnités pour 'mandats spéciaux' - missions ponctuelles qui peuvent donner lieu à indemnité ou à remboursement de frais selon les cas -, les règles de fiscalisation, les mécanismes, complexes, de plafonnement ou de reversements de parts dites 'écrêtées'. Mais rien, ou presque rien, qui aille jusqu'à un vrai contentieux".

Thomas Beurey / Projets publics

Vers plus de transparence ?
Peut-on savoir combien gagne tel ou tel élu de sa région, même lorsque la presse locale ne s'y intéresse pas et lorsque l'élu, contrairement à certains de ses collègues (comme Vincent Feltesse à gauche ou Laurent Wauquiez à droite), n'a pas rendu public son patrimoine ? Oui. En consultant les délibérations de sa collectivité, en particulier celles qui sont prises après le renouvellement de l'assemblée. Seule difficulté : leur lecture n'est vraiment pas simple. Il est plus aisé de consulter le tableau récapitulatif des indemnités, qui doit être joint à toute délibération concernant l'indemnisation d'un ou de plusieurs élus. Un document qui "est souvent difficile à obtenir, bien que ce soit légalement obligatoire", déplore Jean-Luc Trotignon, conseiller d'opposition à Rambouillet et délégué national de l'association Anticor, qui milite pour une plus grande "éthique" en politique.
Bientôt, il sera également peut-être possible de consulter en préfecture les déclarations de patrimoine des grands élus (maires des villes de plus de 20.000 habitants, maires adjoints de celles de plus de 100.000 habitants, présidents de conseil général, régional ou d’intercommunalité). C'est en effet ce qu'ont prévu les députés au cours de l'examen, ces derniers jours, du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique. Une mesure issue d'un compromis, beaucoup d'élus ne voulant pas d'un grand "déballage".
L'encadrement de l'écrêtement des indemnités des élus figurant dans la loi du 17 mai 2013, autre "avancée" en faveur de la transparence, n'a pas fait tant de vagues. Les quelque 2.000 élus dont les indemnités sont plafonnées ne pourront plus déterminer qui, parmi leurs collègues, bénéficiera de la part écrêtée. Des "dérives" seront évitées, selon René Dosière.
T.B.

 

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