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Assises des villes moyennes - Bruno Bourg-Broc : "Le maire, un chef d'orchestre qui ne peut rien tout seul"

En préambule aux Assises des villes moyennes et intercommunalités qui s'ouvrent ce 4 juin, Localtis a donné chaque jour dans ses dernières éditions la parole à un maire de ville moyenne. En point d'orgue, Bruno Bourg-Broc, le président de la Fédération des maires des villes moyennes, maire de Châlons-en-Champagne, témoigne à son tour des défis aujourd'hui posés à ces villes et des réformes qui risquent de les toucher.

Localtis - A travers la série de témoignages de maires de villes moyennes que nous avons recueillis, on perçoit clairement la priorité donnée à la question de l'emploi, avec une connaissance très fine des données économiques du territoire et une certaine "créativité" dans les réponses apportées - y compris en allant au-delà des prérogatives généralement dévolues au maire. Percevez-vous également qu'aujourd'hui, pour un maire de ville moyenne, l'emploi est la toute première préoccupation ?

Bruno Bourg-Broc - Le rôle du maire a considérablement évolué au fil des trente dernières années. Du notable qu'il était parfois à l'époque, il est devenu un manager d'équipe directement en prise avec différents problèmes : l'emploi, la sécurité... Et dans le même temps, plus qu'hier, le maire se doit d'avoir une vision sur le long terme, une vision prospective. Il est donc constamment à la fois sur une gestion quotidienne et sur une projection dans le futur. Le tout en travaillant évidemment plus que jamais avec de multiples partenaires, que ce soit au niveau du département ou de la région, de l'Etat ou de l'Europe.
Il est clair que dans ce contexte, l'emploi représente l'un des tout premiers enjeux. Face à l'emploi, le maire ou président d'intercommunalité se trouve dans une position parfois ambiguë : il a bien la capacité à agir sur toute une série de leviers... mais est dans le même temps désarmé face à certains facteurs. Si une entreprise veut par exemple délocaliser une unité de production, supprimer un certain nombre d'emplois... il ne peut rien. En revanche, il est en première ligne pour attirer les entreprises dans sa ville en créant des conditions économiques favorables - par la création de zones d'activité évidemment, par la fiscalité, par des liaisons de transports optimales... Mais aussi, aujourd'hui, en assurant une offre de qualité en matière de santé, des débouchés pertinents en termes de formation, des commerces...

Cette nécessité d'offrir un environnement propice aux entreprises est-elle particulièrement forte pour une ville moyenne ?

En effet, c'est encore plus vrai pour une ville moyenne que pour les grands centres urbains, dans la mesure où il peut être plus difficile d'attirer à nous les entreprises et les compétences. Nous nous devons aussi d'être particulièrement performants en termes de services à la population sur le plan de la culture, des loisirs, etc. En notant en revanche que notre taille nous permet d'être beaucoup plus innovants et de garantir une cohésion sociale qu'on ne trouvera pas forcément ailleurs. Il est clair que, même lorsqu'on parle de complémentarité, il y a bien une concurrence entre territoires. Certes, nous avons tous de bonnes idées ! Mais il faut bien reconnaître que la compétition est là.

Les villes moyennes ne sont-elles pas également nombreuses à devoir répondre à un défi spécifique, celui d'un centre-ville en quête d'attractivité ?

La plupart des villes moyennes ont la chance de disposer d'un centre historique. Elles cherchent effectivement à le mettre en valeur. Et à le redensifier. Il est vrai que nombre de centres ont, au fil des années, subi d'importants départs, jusqu'à devenir vétustes. Il y a aussi le problème des petits commerces, de leurs fermetures et des locaux qui avaient pu être occupés en étage par les commerçants. Donc oui, l'heure est aux opérations de reconquête des cœurs de ville.

La question n'est-elle pas finalement, dans tous les cas, celle de la démographie ? Ou comment, pour une ville moyenne, gagner de nouveaux habitants ?

Il est vrai que l'enjeu démographique est essentiel. Nous avons tous une certaine volonté d'expansion... même si dans les faits, il s'agit dans un premier temps de stabiliser nos chiffres de population. Prenez le cas des personnes âgées qui, après avoir vécu en milieu rural, viennent souvent s'installer en ville parce qu'elles y trouvent les services dont elles ont besoin, notamment en matière d'accès aux soins. Jusqu'à présent, on constatait qu'elles étaient nombreuses à venir habiter en ville moyenne. Or, les chiffres semblent indiquer qu'elles ont aujourd'hui tendance à partir directement vers la grande ville. C'est un exemple. La tendance du "big is beautiful" est devenue très prégnante, y compris dans les politiques d'aménagement du territoire. Si tant est qu'il y ait aujourd'hui une vraie politique d'aménagement du territoire... Et ce, alors même que la qualité de vie propre aux villes moyennes est indéniable.

La plupart des maires de villes moyennes que nous avons interrogés mettent l'accent sur la problématique de l'enseignement supérieur. Ce dossier est-il en effet important, selon vous ? Et comment considérez-vous ce qui semble se dessiner aujourd'hui dans ce domaine ?

Il ne s'agit pas de faire en sorte, précisons-le, que chaque ville moyenne ait son université ! En tout cas, une ville moyenne peut parfaitement accueillir des formations professionnelles et autres cycles courts, ainsi que des formations plus longues très pointues. Pour la ville elle-même, l'intérêt est évident : ces formations permettent de retenir et attirer des populations, et la présence de jeunes est naturellement une source de dynamisme pour faire vivre nos lieux culturels et de loisirs, nos cafés et commerces... Nous percevons en effet un risque face au mouvement de renforcement du pouvoir des universités, dans la mesure où leurs dirigeants n'ont pas forcément la culture de la décentralisation, peuvent avoir tendance à préférer la concentration sur un seul site que la gestion de plusieurs sites délocalisés. Nous avons d'ailleurs récemment rencontré la Conférence des présidents d'université, qui perçoit que la concentration n'est pas forcément la bonne réponse aujourd'hui, notamment en termes de démocratisation. On voit que les effectifs étudiants continuent à augmenter en ville moyenne. Et que les taux de réussite y sont plus élevés qu'ailleurs, du fait que les jeunes y bénéficient de meilleures conditions d'études. Le risque serait de fermer des premiers cycles généraux. La présence d'antennes universitaires dans nos villes encourage en effet beaucoup de jeunes à poursuivre leurs études, alors qu'une bonne partie d'entre eux y auraient sans doute renoncé s'ils avaient dû rejoindre la capitale régionale et donc, entre autres, payer un logement indépendant. On nous dit que des bourses pourraient leur être proposées. Mais ce ne serait sans doute pas suffisant pour qu'une famille modeste accepte que son enfant parte faire ses études ailleurs. L'enjeu est donc bien, je le redis, celui de la démocratisation de l'enseignement supérieur.

Les maires sont nombreux à faire état de leur manque de visibilité en matière de finances, certains allant jusqu'à dire qu'ils ont de ce fait préféré opter cette année pour un budget de transition. Percevez-vous ce sentiment d'incertitude ?

Oui, il y a clairement une incertitude sur les recettes fiscales. On sait que l'on va supprimer la taxe professionnelle mais on ne sait pas encore bien par quoi on va la remplacer ! Il faudra en tout cas que nous puissions bénéficier de recettes fiscales liées au territoire, à l'économie, et fondées sur le dynamisme local. La taxe professionnelle avait certes beaucoup de défauts mais avait au moins cette qualité là.

Par rapport à vos homologues, la situation de votre ville, Châlons-en-Champagne, connaît-elle des spécificités notables ?

Châlons a en tout cas une problématique spécifique, liée au fait qu'elle est une capitale administrative : notre principale activité, c'est la fonction publique ! Celle-ci représente 50% de l'emploi sur la ville. Or, les administrations rapportent peu en matière de ressources fiscales... Nous sommes en outre fortement marqués par le contexte actuel du Grand Est, celui d'une déprime démographique et économique. Ce qui montre d'ailleurs que nos batailles en faveur de nos territoires doivent se gagner tous les jours, qu'aucune situation n'est jamais acquise. Et ce, plus encore aujourd'hui, où tous les phénomènes s'accélèrent.
Le cas de Châlons me montre aussi en permanence que face aux enjeux qui se posent à lui aujourd'hui, le maire ne peut rien tout seul, qu'il doit concevoir sa fonction comme celle d'un chef d'orchestre. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je pense que la réforme à venir des collectivités territoriales doit nous permettre d'aller vers une simplification du rôle des uns et des autres. Aujourd'hui, le montage de n'importe quel dossier prend des proportions incroyables...

Le fameux problème des financements croisés ?

Un problème délicat pour les communes. Il est souvent synonyme pour elles de tutelle d'une collectivité sur une autre, même si l'on affirme le contraire. Et dans le même temps, s'agissant des petites communes, il est clair qu'elles ne pourraient, pour bon nombre de leurs projets, se passer d'un cofinancement par le département ou la région. L'idée actuellement étudiée, celle de la définition d'un taux minimum de participation de la collectivité maître d'ouvrage, devra d'ailleurs de ce fait tenir compte de la taille de la commune. De sa taille, mais aussi de sa richesse.

La FMVM a été partie prenante dans les discussions concernant la réforme de la dotation de solidarité urbaine (DSU). L'êtes-vous également dans la concertation actuelle visant à réviser la géographie des quartiers prioritaires ?

Au-delà de la question de la DSU, il y a en effet celle de la politique de la ville - et la nécessité de rappeler sans cesse que les problèmes qui se posent dans certaines communes de la banlieue des grandes agglomérations se posent aussi dans certains quartiers de nos villes moyennes. Donc si on limitait cette politique à cinquante ou cent quartiers en France, se serait réellement catastrophique. On peut être une ville de 40.000 habitants et être confrontée à des problèmes vraiment très durs, à des phénomènes de violences urbaines. Songez par exemple à ce qu'ont pu connaître Saint-Dizier ou Vitry-le-François. Nous avons été auditionnés par le sénateur Pierre André, l'un des deux parlementaires récemment missionnés par François Fillon dans le cadre de la révision de la géographie des zones urbaines sensibles et des contrats urbains de cohésion sociale. En plaidant, donc, pour des dispositifs susceptibles d'intervenir dans toutes les villes comprenant des quartiers difficiles et pas seulement dans les grandes villes.

Que représentent pour vous ces Assises des villes moyennes qui vont se tenir dans votre ville ?

Ces Assises sont toujours, tous les deux ans, un moment privilégié de réflexion et d'échanges entre nous, même si nous nous rencontrons bien sûr régulièrement par ailleurs. C'est aussi l'occasion, au-delà des problématiques parfois différentes auxquelles chacun d'entre nous peut être confronté, de faire entendre notre voix. Et d'entendre ce que le gouvernement peut avoir à nous dire, puisque nous accueillerons Alain Marleix et Patrick Devedjian.


Propos recueillis par Claire Mallet

 

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