Assises des villes moyennes - Le Creusot : "Continuer à être une cité industrielle"
Les quatrièmes Assises des villes moyennes et intercommunalités, organisées les 4 et 5 juin à Châlons-en-Champagne par la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), vont permettre aux maires de ces villes de 20.000 à 100.000 habitants de débattre des réformes en cours et d'échanger autour des solutions innovantes qu'ils déploient pour faire face à la crise. Quelles sont, dans ce contexte difficile, les stratégies mises en œuvre par les villes moyennes et leurs agglomérations pour accroître leur dynamisme et leur attractivité ? Localtis a recueilli, en partenariat avec la FMVM, les témoignages de quelques-uns de ces élus de terrain.
Aujourd'hui, André Billardon, maire du Creusot (26.700 habitants), explique en quoi sa ville a fait un choix en partie atypique, celui de continuer à miser sur l'industrie. En quoi, aussi, ce choix la préserve pour l'heure des effets de la crise... mais induit un vrai défi en termes de population et donc de services.
Localtis - Dans le contexte actuel de la crise, Le Creusot semble paradoxalement tenir bon grâce à son positionnement de ville industrielle. Est-ce exact ? Est-ce une composante importante de votre stratégie de développement ?
André Billardon - Ma ville mène, depuis 25 ans, une stratégie de reconstruction. Elle a connu une crise économique, sociale, identitaire. C'était une ville-entreprise, qu'il fallait reconstruire. Et l'on reconstruit depuis 25 ans. Sur le plan économique, la reconstruction est largement réalisée. Avec une méthode assez exceptionnelle puisque ce renouveau économique du Creusot se fait en effet sur une base très industrielle, contrairement à ce que l'on constate fréquemment ailleurs, où le renouveau passe avant tout par les PME et le tertiaire. Pour nous, cela passe par l'industrie et par de grands groupes mondiaux, dans les secteurs de l'énergie, des transports avec Alstom, ainsi que par des productions de pointe, avec des PME "à l'allemande", à savoir entre 200 et 1.200 personnes.
Deuxième composante de notre stratégie : il faut restructurer la ville pour l'adapter à son identité nouvelle. En l'occurrence, il s'agissait historiquement d'une ville ouvrière qui est aujourd'hui essentiellement une ville de techniciens, cadres et ingénieurs de la grande industrie. Nous sommes aujourd'hui le bassin de vie en Bourgogne qui a la plus grosse exigence en termes de qualification. D'où la nécessité d'agir sur le logement, les services publics - la population n'est plus la même, il y a une attente de services plus modernes, plus "haut de gamme" - et le cadre de vie.
Troisième élément : le rythme de ces changements étant finalement un rythme rapide, le risque est grand de "perdre des gens en route". D'où l'enjeu majeur de la solidarité.
Le contexte actuel change-t-il les choses ?
Pour nous, la donne nouvelle liée à la crise ne modifie pas cette marche, cette stratégie. Ce qui change, c'est la contrainte financière. Mais même cela ne devrait pas modifier sensiblement, ni le rythme ni le contenu de nos projets. De tradition, la ville est très peu endettée. Nos leviers sont plutôt l'épargne et, depuis toujours, la recherche de l'économie. Ainsi, Le Creusot compte beaucoup moins d'agents aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Nous avons alors la capacité de continuer, parce qu'étant moins affectés par le contexte actuel. Même si c'est compliqué, nous allons profiter de l'opération FCTVA. Avec pour conséquence une augmentation d'environ 50% de nos investissements en 2009 par rapport à ce qu'aurait été notre budget sans cette disposition de remboursement anticipé du FCTVA. Ceci, sans pour autant changer notre stratégie financière.
Et qu'en est-il des réponses immédiates de la collectivité aux impacts de la crise, notamment s'agissant de l'emploi ?
En matière d'emploi, nous subissons évidemment l'effet crise mais celui-ci est à ce jour plus modéré chez nous qu'il ne l'est en moyenne au niveau national. Ainsi, l'évolution du chômage au Creusot est deux fois moins rapide que dans l'ensemble du département de Saône-et-Loire. Cela est lié à notre économie locale : Areva, Alstom, General Electric... Quant au premier employeur du Creusot, Arcelor Mittal, certes, il a supprimé ses intérimaires. Mais, du moins pour l'heure, il n'a pas de plan social, il est lié à Areva et il s'est positionné sur des productions haut de gamme liées à l'énergie - ce qui tient mieux que l'acier pour l'automobile ou l'acier ordinaire pour béton armé... Il s'agit donc de produits de haute technologie, à haute valeur ajoutée, sur des marchés qui, aujourd'hui, résistent mieux que d'autres. Ce sont des industries moins délocalisables immédiatement.
Nous avons fait le pari que l'on pouvait, dans un pays développé comme la France, continuer à être une cité industrielle, à condition de savoir comment aborder l'enjeu des délocalisations. Il y a trente ans déjà, on ne parlait pas de délocalisations, mais on parlait de la "division internationale du travail" - ce qui voulait dire exactement la même chose ! Nous avons pensé qu'il ne fallait pas s'y résigner. Entre autres parce que la solution alternative, c'est le tertiaire. Le tertiaire, pour une large part, qu'il soit public ou privé, est lié à la démographie. Or nous sommes un bassin qui perd de la population. Déjà, globalement, la démographie en Bourgogne est très faible : nous sommes une vaste région... qui a à peine plus d'habitants que l'agglomération de Lille.
Nous continuons d'ailleurs à perdre de la population, c'est un enjeu difficile. Car avec moins d'ouvriers et plus de cadres ou ingénieurs... les ingénieurs habitent moins au Creusot que ne le faisaient les ouvriers. Ils vont habiter dans un rayon de 30 kilomètres, entre Châlons-sur-Saône et Le Creusot.
Quelles sont vos réponses par rapport à ce problème de démographie ?
La baisse démographique, c'est la chose la plus difficile. Et c'est aujourd'hui notre principal problème. C'est très long à corriger. Parce qu'il y a eu un changement de nature des métiers, une partie de la population a effectivement changé. Mais ces nouvelles populations, comme je le disais, implique des adaptations en termes de cadre de vie, de services... et, surtout, de logement. Au Creusot, j'ai dû diminuer de dix points la part des logements sociaux, parce que le type de logements auxquels veulent accéder les nouveaux arrivants, c'est en général du logement individuel. Oui, c'est terrible à dire, mais j'ai cassé des logements.
Propos recueillis par Claire Mallet
Retrouvez dans nos prochaines éditions la suite de notre série d'entretiens avec des maires de villes moyennes. Demain, rendez-vous avec Emile Zuccarelli, maire de Bastia.