Assises des villes moyennes - Fécamp : "Ne pas être en agglomération, un sérieux handicap au vu des dotations de l'Etat"
Les quatrièmes Assises des villes moyennes et intercommunalités, organisées les 4 et 5 juin à Châlons-en-Champagne par la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), vont permettre aux maires de ces villes de 20.000 à 100.000 habitants de débattre des réformes en cours et d'échanger autour des solutions innovantes qu'ils déploient pour faire face à la crise. Quelles sont, dans ce contexte difficile, les stratégies mises en œuvre par les villes moyennes et leurs agglomérations pour accroître leur dynamisme et leur attractivité ? Localtis a recueilli, en partenariat avec la FMVM, les témoignages de quelques-uns de ces élus de terrain.
Aujourd'hui, Patrick Jeanne, maire de Fécamp (20.000 habitants) et vice-président de la communauté de communes (31.000 habitants) montre comment un réseau de PME bien ancrées sur le territoire peut être un rempart contre la crise. Mais la ville, qui se voit au coeur d'une future agglomération, multiplie les projets, que ce soit le nouveau musée des Pêcheries ou la création d'une ferme d'éoliennes en pleine mer...
Localtis - Quand on regarde la carte de la Haute Normandie, le bassin d'emploi de Fécamp est aujourd'hui l'un des moins touchés par la crise. Quelle est la situation exacte ? Et à quoi tient cette particularité ?
Patrick Jeanne - Nous restons en effet relativement épargnés. Depuis janvier 2008, une centaine de nouveaux demandeurs d'emplois ont été enregistrés. Mais de janvier à octobre 2008, on a surtout constaté des pertes dans l'intérim. Les heures supplémentaires n'y sont pas étrangères. De plus, les entreprises ont anticipé la crise et n'ont pas renouvelé les contrats d'intérim. En revanche, depuis octobre 2008, l'emploi s'est stabilisé. Les menaces se concentrent aujourd'hui sur le grand bassin d'emploi voisin du Havre, notamment sur le site de Renault Sandouville. Nous restons donc très vigilants sur ce qui peut s'y passer.
Cette situation tient en particulier aux efforts de restructuration que nous avons entrepris autour de PME de l'artisanat qui ont encore toujours leur carnet de commandes rempli. Heureusement ou malheureusement, nous avons déjà connu plusieurs crises locales à partir des années 1980, dans le secteur de la pêche. Il y a eu en particulier la crise de 1999 suivie de celle de 2002-2003 où nous avons perdu 450 emplois en deux ans. Nous avons donc une certaine habitude de ce type de difficultés. Nous avons beaucoup travaillé avec les chambres de commerce en aidant notamment les PME à s'ancrer dans le territoire de manière à pouvoir se redynamiser. On a favorisé le transfert d'entreprises du centre vers la périphérie, vers des zones d'activité où elles ont pu se développer. Elles ne sont plus en milieu urbain, ont moins de contraintes concernant les livraisons, le transport, elles se sont confortées dans leur dynamisme et ont pris place dans la compétitivité.
Vous n'avez donc pas de grands comptes sur votre territoire ?
Les entreprises dont les centres de décision ne sont pas à Fécamp restent peu nombreuses et, pour le moment, nous n'avons pas eu de signaux d'alerte. Le fait que nous ayons un réseau de petites PME est un gros atout. Cela montre que nous avons eu raison de concentrer nos efforts sur ce type d'entreprises. Ce sont des patrons entrepreneurs qui mettent leur patrimoine en jeu. Nous avons par exemple des entreprises de l'agroalimentaire traditionnelles à travers le traitement du poisson ou autour des produits surgelés, il y a un fort savoir-faire dans ce domaine. Quelques entreprises dépendent toutefois de grands groupes comme l'italien Iveco qui construit des groupes électrogènes. On a toujours quelques inquiétudes à partir du moment où les décisions sont prises de loin.
La filière du froid est donc au coeur de vos activités. Quels axes de développement envisagez-vous pour l'avenir ?
La communauté de communes, qui a compétence en matière de développement économique sur tout le territoire, souhaite mettre en place un hôtel d'entreprises pour accueillir des sociétés dans le secteur du froid. On a déjà une entreprise spécialisée dans le stockage du froid sur Fécamp, c'est une plus-value. Nous souhaitons également promouvoir le développement durable avec un partenariat très fort entre l'université du Havre et le lycée de Fécamp sur une plateforme technologique liée aux énergies renouvelables. C'est pour nous une image d'avenir. On a un gros projet d'éolienne off shore sur lequel on travaille depuis un an et que l'on espère faire aboutir prochainement. C'est un investissement de plus de 800 millions d'euros qui donnerait, là encore, beaucoup de travail dans la région.
L'activité portuaire est aussi un axe de développement pour Fécamp, avec ses trois composantes : la pêche, le commerce et la plaisance. En ce qui concerne la pêche, nous essayons de maintenir à tout prix cette activité traditionnelle essentielle mais qui traverse les difficultés que vous connaissez. Le commerce est lui aussi dans une période difficile, le port a du mal à réaliser ses tonnages. En revanche, on a un fort appel sur la plaisance. On essaie de développer avec la chambre de commerce un port à sec pour augmenter le nombre d'anneaux et développer autour de cette dynamique une activité de réparation navale pour la plaisance, à partir de petites PME.
Comment vous y prenez-vous pour accueillir ces nouvelles entreprises ?
La communauté de communes est en train de travailler avec la Safer pour une extension de la zone d'activités, ce qui n'est pas simple car les agriculteurs sont parfois un peu gourmands. C'est un impératif pour nous : à peu près cinq ou six entreprises souhaitent s'implanter dans le parc d'activités. Autour du port, nous avons travaillé avec la chambre de commerce pour libérer un certain nombre d'espaces. Le département de la Seine-Maritime est prêt à investir 7 millions d'euros pour retrouver des mètres carrés et faire un pôle d'excellence autour du nautique et de la réparation navale.
Par ailleurs, nous sommes en train d'élaborer un guichet unique. L'objectif est de réunir la communauté de communes, la chambre de commerce, le Medef pour permettre à toute entreprise désireuse de s'implanter d'avoir un interlocuteur unique. Une charte a été signée en ce sens. Cette volonté s'inscrit dans ce qui avait été fait suite à la crise de 2002-2003 ; l'Etat avait alors créé une cellule de réindustrialisation. Trois ans après, les 450 emplois supprimés avaient été retrouvés.
Ce projet d'éoliennes en pleine mer, comment s'inscrit-il dans le territoire ?
C'est un projet de longue haleine qui a nécessité une importante concertation en amont, notamment pour prendre en compte les réticences des marins pêcheurs, des plaisanciers et des maires des communes qui sont en covisibilité. Depuis un an, on a créé un comité technique avec les marins pêcheurs, les plaisanciers, les associations écologiques et les maires, ce qui nous a permis de dégager dans le consensus une zone qui serait le moins susceptible de recours. Il a par exemple fallu prendre en compte la proximité d'Etretat. Le site doit être suffisamment éloigné pour ne pas entraver son développement touristique. Aujourd'hui, le projet est de nature à aboutir, il est prévu pour 2014. On va entrer en phase opérationnelle avec l'Etat car notre littoral est classé Natura 2000. Le projet doit par exemple démontrer qu'il n'aura pas d'influence sur le déplacement des oiseaux. Mais dans le même temps, le gouvernement a aussi la contrainte de développer l'éolien off shore. Il est en train de déterminer des zonages et on espère bien en faire partie car on a beaucoup travaillé sur ce dossier. C'est notre vie future, l'avenir de nos 20.000 habitants qui est en jeu. C'est une capitalisation sur le développement durable.
Vous avez évoqué la plaisance. Est-ce que, de manière plus générale, le tourisme fait partie de vos priorités ?
C'est en effet une carte à jouer en profitant de la proximité d'Etretat. On est un département très industrialisé avec Le Havre, la vallée de la Seine, Rouen. Mais aussi bien au niveau de la côte que de l'arrière-pays, le département a de gros atouts. Il reste pourtant très en retard par rapport à la Basse-Normandie.
Quelles mesures avez-vous mises en place sur le front du chômage ?
Nous avons débloqué une enveloppe de 20.000 euros sous forme de prime de fin d'année pour 150 salariés de Renault qui habitent à Fécamp. Ces salariés ne travaillent pas sur notre bassin d'emploi mais nous considérons que, par le biais du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, nous touchons plus de 200.000 euros grâce aux salariés de Renault. Il était donc logique de faire un geste vers ceux qui étaient au chômage partiel depuis plusieurs mois. Aujourd'hui, le gouvernement met un peu en place ce type de mesures de compensation du chômage partiel, mais à ma connaissance, on est l'une des rares villes à l'avoir fait.
L'idée de profiter des périodes de chômage partiel pour former les salariés est en vogue. Qu'en pensez-vous ?
Ce sont des personnes qui ont un bon bagage professionnel qui ont toujours travaillé, mais qui se retrouvent au chômage. On est plutôt alertés sur le fait que socialement, ils ne peuvent pas bénéficier des minima sociaux, ils n'ont pas les Assédic. Ce sont des situations très difficiles. Nous réfléchissons actuellement à une nouvelle mesure de traitement social : quand il y a urgence sociale, il s'agit de confier aux jeunes une semaine de vacation de travail dans nos services en fonction de leurs besoins, afin qu'à la fin de la semaine, ils aient de 200 à 300 euros, tout de suite. C'est un coup de pouce à effet immédiat, un échange de services.
Quels sont vos grands programmes d'investissement pour 2009 ?
Dans le cadre du plan de relance, nous avons un important projet de musée des Pêcheries qui démarre. C'est un investissement de 13 millions d'euros fortement soutenu par le ministère de la Culture, la région et le département, une bouffée d'oxygène pour de nombreuses entreprises locales et régionales impliquées. Nous avons par ailleurs lancé de nombreux travaux d'assainissement pour 16 millions d'euros : remises aux normes, ouvrages pour lutter contre les inondations de mer et de rivières, création de bassins tampons, etc. On est vraiment en pleine capacité d'investissement pour cette année. On attend aussi la signature d'un projet Anru de 52 millions d'euros pour la rénovation d'un quartier d'habitat social, plus de 1.000 logements sont concernés. La construction d'un hôpital gériatrique de 120 lits a démarré, c'est un projet de 1,8 million d'euros. Nous avons lancé un appel à projets sur le Grand Quai du port pour le développement d'activités commerciales et touristiques pour un montant de 20 millions d'euros.
Avec ces grands chantiers, avez-vous opté pour le remboursement anticipé de TVA ?
Nous avons en effet opté pour la signature de la convention car, avec le musée, nous avons plus que doublé notre capacité d'investissement cette année. Notre programme d'emprunt s'élève à 5 millions d'euros contre 1,5 million en moyenne les années précédentes.
Quel va être l'impact sur les finances locales ?
Nous avons augmenté la fiscalité contraints et forcés par l'érosion des dotations de l'Etat. On a été au bout de ce que l'on pouvait faire. Le budget est en hausse de 1%. On a été obligés de trouver des recettes complémentaires à hauteur d'un million d'euros, ce qui s'est traduit par un ajustement de la fiscalité de 10%. C'est beaucoup en taux mais peu en produits car nous avons une fiscalité parmi les plus faibles des villes moyennes. Nous restons donc dans des proportions tout à fait raisonnables, d'autant que nous nous sommes engagés à baisser le prix de l'eau de 18%. On a pu le faire en supprimant une surtaxe qui s'avère aujourd'hui moins pertinente. Pour les familles moyennes avec enfant, l'augmentation des impôts sera ainsi la plus neutre possible. La ville a également révisé ses tarifs municipaux, notamment en matière de restauration scolaire, ce qui chaque mois se concrétise par une diminution du montant des factures pour plus de 80% des ménages fécampois.
Je remarque enfin que Fécamp est l'une des rares villes de France de plus de 15.000 habitants qui ne soit pas en agglomération. Cela commence à être un sérieux handicap vu ce que l'on constate au niveau des dotations de l'Etat qui ne sont plus dynamiques. Nous voulons créer une agglomération, c'est pour nous l'un des seuls moyens de progresser par rapport à ces dotations. La communauté de communes représente 31.000 habitants, nous n'en sommes donc pas si loin. Un gros travail va être fait dans le courant de cette année pour essayer de concrétiser cette agglomération.
Propos recueillis par Michel Tendil
Retrouvez dans nos prochaines éditions la suite de notre série d'entretiens avec des maires de villes moyennes. Demain, rendez-vous avec Bernadette Laclais, maire de Chambéry.