Logement - Bientôt un décret pour bloquer les loyers à la relocation
Le gouvernement entend bloquer par décret dès la rentrée prochaine les tarifs à la relocation afin de lutter contre "l'emballement" des prix des loyers. C'est ce qu'indique la ministre du Logement, Cécile Duflot, ce lundi 4 juin dans le quotidien Libération. "Il s'agit d'une disposition d'urgence pour répondre à la crise du logement qui pèse sur les ménages." "François Hollande avait promis l'encadrement des loyers et c'est dans cet objectif que s'inscrit ce projet de décret", justifie-t-elle.
Le décret, qui devrait être présenté fin juin en Conseil d'Etat, serait publié mi-juillet pour entrer en vigueur à la rentrée. Il ne gèlera pas les loyers. En revanche, les propriétaires ne pourront plus profiter d'un changement de locataire pour les augmenter à leur guise et le nouvel entrant sera soumis au même tarif que le sortant. Le loyer continuera ensuite d'évoluer selon l'indice de référence (IRL) publié par l'Insee et adossé à l'inflation.
Ce décret doit "permettre que, dans les agglomérations et les zones où les loyers ont atteint des niveaux insupportables, l'accès à la location redevienne possible", explique Cécile Duflot, qui reproche au marché locatif français de s'être "embolisé, avec une logique de spéculation et un emballement des prix des loyers". "A l'inverse d'autres pays européens où les loyers sont régulés, on est en France dans une situation intenable, où il est devenu impossible de se loger pour les jeunes et pour beaucoup de ménages, qui doivent fuir Paris et les grandes agglomérations", dénonce-t-elle.
Selon l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne, les loyers ont progressé de 2,4% en région parisienne en 2011, un niveau supérieur à la valeur moyenne de l'IRL (+1,7%), en raison notamment d'une hausse moyenne de 6% "à la relocation". A Paris, les locations se sont conclues l'an dernier à un loyer moyen de 23,4 euros/m2, soit une progression de 3,5% en un an.
Une grande loi en 2013
Le blocage des loyers par décret est une revendication, notamment, de la Confédération nationale du logement (CNL), la plus importante association de locataires de l'Hexagone, et de la Confédération générale du logement (CGL), à l'origine d'une pétition en ligne signée par plus de 20.000 personnes.
En janvier, François Hollande avait annoncé vouloir "encadrer par la loi" les loyers "dès la première location ou à la relocation" dans les zones où "les prix sont excessifs", autrement dit l'essentiel de l'Ile-de-France, une partie de la région Paca et la côte basque. Il avait ensuite précisé fin avril que ces montants ne devraient "pas dépasser la moyenne des loyers pratiqués dans le quartier pour un logement similaire", avertissant que "dans les zones où les loyers sont manifestement surévalués, ils devront même baisser au moment de la relocation".
Cécile Duflot devrait exploiter une possibilité ouverte par l'article 18 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs (loi Mermaz). Cet article prévoit que "dans la zone géographique où le niveau et l'évolution des loyers comparés à ceux constatés sur l'ensemble du territoire révèlent une situation anormale du marché locatif", un décret peut, dans certains cas, "fixer le montant maximum d'évolution des loyers" des logements vacants et des contrats renouvelés. Selon Libération, l'interprétation extensive de cet article par le cabinet de la ministre pourrait toutefois prêter à des contestations que le Conseil d'Etat serait amené à trancher.
Le décret devrait être un premier pas avant une révision en profondeur de la loi de 1989 dans le cadre d'une grande loi sur le logement, qui ne sera pas prête avant 2013. D'ici là, Cécile Duflot entend collecter "des données très précises" sur les loyers et engager une concertation "avec tous les acteurs" du secteur.
Quels effets, par ricochet, pour cette "première pierre" ?
"Cette décision pourrait permettre de stopper l'envolée spéculative dans le secteur locatif privé lors de la relocation, notamment dans les zones dites tendues, et de redonner du pouvoir d'achat aux locataires", s'est félicité la CNL dans un communiqué. Mais les représentants des locataires n'y voient qu'une première étape. "Même si c'est un progrès, dont on doit se réjouir, cette décision ne va pas assez loin, parce qu'elle prend en compte le niveau actuel des loyers et qu'elle n'agit pas pour que les loyers baissent", a en effet estimé Michel Fréchet, le président de la CGL, interrogé par l'AFP. "On a trop attendu pour le faire et l'encadrement va se faire à un point haut", a pour sa part considéré Thierry Saniez, délégué général de l'association de consommateurs CLCV.
Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre a lui aussi parlé d'"une première pierre", avant une loi permettant une régulation beaucoup plus étoffée des loyers. Matthieu Angotti, de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars), estime que cela pourrait alléger par ricochet la pression sur le logement social et les hébergements d'urgence, aujourd'hui totalement engorgés.
Côté propriétaires, le son de cloche est aux antipodes. Jean Perrin, le président de l'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI), prévoit "des impacts négatifs". "Des propriétaires vont retirer des biens du marché et des investisseurs ne vont plus venir dans le marché, car l'un des attraits de l'immobilier était cette progressivité possible des revenus", dit-il. Ce qui, selon lui, va diminuer l'offre locative "et risque plutôt de faire flamber les prix et rendre difficile l'accès au logement pour les plus modestes". "La solution est de voir plus globalement le rapport locatif", considère le président de l'UNPI, qui préconise de "supprimer les aides à la pierre et d'apporter plutôt des aides à la personne".