Archives

Habitat - Les aides au logement des ménages modestes sont-elles efficaces ?

Pourquoi les ménages modestes ont-ils de plus en plus de mal à se loger, alors que la puissance publique dépense de plus en plus pour les y aider ? C'est le mystère que tente de résoudre la dernière note du Centre d'analyse stratégique (CAS), consacrée aux aides au logement des ménages modestes, présentée ce 15 février. Cette étude complète une série de travaux originaux et stimulants du CAS sur le thème du logement (voir nos articles ci-contre).
Le constat est simple en apparence : depuis 25 ans, "les ménages modestes ont [...] de plus en plus tendance à être logés dans le parc locatif en général, et dans le parc locatif social en particulier". Ces ménages ne se sont pas appauvris en termes de revenus, mais ils n'arrivent pas à suivre la progression - plus rapide - du coût du logement. Conséquence : leur taux d'effort augmente nettement plus vite que celui des ménages les plus aisés, surtout dans le parc privé. Entre 1988 et 2006, le taux d'effort des ménages appartenant au premier quintile (soit 4,5% du total en 2006, étudiants exclus) est ainsi passé, dans le secteur libre, de 25% à 41% du revenu (aides au logement comprises). En dépit de cet effort considérable, le parc de logements abordables financièrement par les ménages les plus modestes ne cesse de se réduire. Sur la base d'un taux d'effort inférieur à 33%, le CAS estime en effet que la part des logements financièrement accessibles aux 25% de ménages ayant les plus faibles revenus disponibles est passée de 80% du parc total en 1988 à 60% en 2006. Tout en soulignant l'existence de fortes disparités locales, le CAS juge que cette "raréfaction des logements accessibles aux ménages locataires modestes est due essentiellement à une hausse des loyers de 1988 à 1996".

Le logement social : 10 milliards d'euros de loyer en moins

Face à ce phénomène, quel est l'impact des 37 milliards d'euros d'aides publiques au logement (chiffre 2009) ? La réponse du CAS est nuancée. L'étude montre ainsi qu'après avoir diminué depuis le milieu des années 1980, la part des aides au logement dans le PIB s'est nettement redressée depuis 2004, notamment sous l'effet de la montée en puissance du programme national de rénovation urbaine. Mais le volume ne garantit pas nécessairement la qualité.
S'il reconnaît leur impact positif sur la création d'une offre nouvelle de logements, le CAS estime ainsi que les aides à la pierre présentent également un certain nombre d'inconvénients : effets d'aubaine importants, substitution partielle de l'offre sociale à l'offre privée... Malgré ce dernier effet - qui nuit à la production de logements dans le secteur libre -, l'étude estime que "le logement social permet d'offrir des baisses de loyer par rapport aux loyers de marché qu'on peut évaluer globalement à environ 10 milliards d'euros par an". En revanche, le CAS relève aussi que "le droit au maintien dans les lieux crée des rentes de situation, qui sont autant de subventions implicites à des ménages dont les revenus ne les justifient plus". Autrement dit, une fois entré dans le parc social, le locataire voit son loyer déconnecté progressivement du niveau de son revenu. Cet effet de rente ne doit toutefois pas être exagéré, l'étude reconnaissant d'ailleurs que "la tendance est cependant bien [...] que les HLM logent de plus en plus les ménages modestes". Ainsi, la part des ménages logés en HLM et se situant dans la partie haute de la distribution des revenus ne cesse de diminuer : 43% en 1984, 35% en 2001 et 30% en 2006.

Aide à la pierre versus aide à la personne : match nul

Mieux ciblées que les aides à la pierre et évitant toute stigmatisation des bénéficiaires, les aides à la personne ne sont pas non plus exemptes d'inconvénients. Le principal est sans nul doute "leur effet potentiellement inflationniste sur les loyers, au moins à court-moyen terme dans le parc privé". L'ampleur de ce phénomène reste toutefois difficile à quantifier. Le second inconvénient des aides à la personne réside dans la possible constitution de "trappes à pauvreté", l'augmentation des revenus professionnels étant pour partie annulée par la baisse de l'aide au logement.
Dans le débat sans fin entre partisans des aides à la pierre et soutiens des aides à la personne, le CAS choisit... de ne pas trancher : "Il est [...] difficile, in fine, de se faire une opinion sur l'opportunité de développer davantage tel type d'intervention plutôt que tel autre". Seule certitude : il est nécessaire "de développer des outils permettant d'évaluer, mieux qu'on ne le fait aujourd'hui, le rapport coût-efficacité des interventions publiques, au regard de leurs divers objectifs".
Comme il est d'usage dans ses notes d'analyse, le CAS formule en effet un certain nombre de propositions "pour des aides plus efficaces et plus justes". Celles-ci sont au nombre de quatre. La première rejoint le récent rapport public de la Cour des comptes (voir notre article ci-contre du 8 février 2012), en demandant d'affiner les zonages relatifs aux plafonds de loyers, afin de mieux les indexer sur les loyers réels des marchés locaux.

Un premier pas vers une modulation intégrale des loyers HLM ?

La seconde proposition ne plaira sans doute pas aux représentants du mouvement HLM. Elle consisterait en effet à indiquer explicitement, dans les plans de financement des nouveaux projets de logements sociaux, "la valeur actualisée des réductions anticipées de loyer par rapport aux loyers du marché". Outre les enseignements tirés d'un suivi dans le temps, ceci permettrait, par exemple, de comparer le rapport coût-efficacité d'une opération de construction neuve vis-à-vis d'une opération d'acquisition-réhabilitation, mais aussi de mieux cibler "l'avantage HLM" sur les personnes défavorisées. Avec une évolution possible - pour laquelle le CAS ne se prononce toutefois pas formellement - vers une modulation intégrale des loyers du parc social.
Dans un esprit assez voisin, le CAS préconise également de fixer les plafonds de revenu pour chaque logement social à cinq fois le loyer du logement (hors aides dédiées), sous réserve du respect de la norme d'occupation. Ceci rendrait toutefois nécessaire de renforcer les dispositifs de péréquation comme le supplément de loyer de solidarité. Enfin, le CAS suggère de proposer à certains bailleurs sociaux d'expérimenter un nouveau mode de financement. Celui-ci remplacerait les actuelles aides directes de l'Etat par une augmentation des loyers plafonds, associée à la mise en place d'une "prime d'allocation logement" pour laisser aux locataires modestes un reste à charge constant. La principale conséquence d'une telle mesure serait de lier la subvention finale non plus à l'existence des murs, mais à l'occupation effective du parc.
Si le CAS ne tranche pas entre aides à la personne et aides à la pierre, il n'échappera en revanche à personne que ses propositions ciblent beaucoup plus le parc locatif social que le secteur libre.