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Habitat - Logement : pourquoi tant de hausse ?

D'un côté, l'envolée des prix de vente, des prêts de plus en plus longs, l'augmentation de l'endettement immobilier des ménages. De l'autre, une "croissance modérée des loyers", des logements de plus en plus grands et confortables. Une étude des services du Premier ministre se penche sur les paradoxes du logement en France depuis 1985. Et s'interroge sur l'existence d'une bulle immobilière.

La lecture de la dernière "Note d'analyse" du Centre d'analyse stratégique (CAS), publiée le 26 avril, devrait apporter un peu de grain à moudre au conflit - quasiment vieux comme l'humanité - qui oppose locataires et propriétaires. Il est vrai que ses conclusions ne sont pas vraiment dans l'air du temps. Intitulée "L'évolution des prix du logement en France sur 25 ans", la note - remarquable de concision et de clarté - montre en effet qu'au cours de cette période, le prix réel des logements anciens a été multiplié par deux, tandis que les loyers réels progressaient seulement de 30%. D'où un double mouvement dont la logique n'est pas toujours facile à assimiler. D'un côté, des loyers qui - à surface et qualité constantes - ont globalement évolué comme le revenu disponible moyen, ce qui n'a pas empêché la part consacrée à la dépense de logement d'augmenter au cours de la période étudiée. L'explication de ce mystère : la taille et la qualité des logements ont, elles aussi, augmenté (même si ce mouvement d'ensemble n'est pas homogène selon les territoires et les catégories de revenus). De l'autre côté, les prix d'acquisition réels ont doublé sur la même période, sans que cette forte hausse puisse être expliquée - autrement que de façon marginale - par la hausse du coût de la construction ou par "un déficit généralisé de construction".

Une affaire de moeurs

Le CAS estime au contraire que "la croissance relativement modérée des loyers infirme l'hypothèse d'une pénurie généralisée de logements". En revanche, il voit plutôt, dans ce mouvement de hausse irrésistible des prix d'acquisition, la conjonction de plusieurs phénomènes : rareté du foncier dans les zones les plus demandées, amélioration de la capacité d'emprunt des ménages, fiscalité favorable à l'accession qui alimente la demande...
La note du CAS apporte également de nombreuses autres informations. Elle montre ainsi que, sur les 25 dernières années, le nombre de logements a augmenté nettement plus vite que la population. Entre 1984 et 2008, le premier progressait de 30%, quand la seconde n'augmentait que de 13%. L'explication ? : une affaire de moeurs... Si la taille moyenne des logements a augmenté, celle des ménages a, par contre, rétréci. La raison en est notamment l'évolution des pratiques de cohabitation et l'augmentation du nombre de séparations. Le vieillissement de la population, avec la multiplication des personnes isolées, apporte également son écot à ces évolutions. Autre élément qui exerce un impact très direct sur le logement : les effets de concentration et de ségrégation des populations. Pour le CAS, "si, au cours du temps, la population tend à se concentrer sur certains territoires, tout se passe comme si le territoire 'réellement habitable' avait diminué, renforçant du même coup la pression foncière".
Les chiffres sur l'amélioration de la qualité des logements - autre facteur de coût relatif - sont plus connus, même s'ils restent toujours aussi spectaculaires : qui se souvient qu'en 1954, moins de 10% des logements français étaient équipés d'une baignoire ou d'une douche et moins de 30% d'un WC intérieur ? Cette amélioration, qui a bénéficié à tous les logements, a pourtant davantage pesé sur les prix d'acquisition que sur les loyers.

Les locataires qui rient...

Les conséquences de ces évolutions sont multiples. Pour les loyers tout d'abord, le CAS constate que la période s'est traduite par "une croissance modérée". Plus précisément, la note estime qu'"à qualité constante, le prix des loyers rapporté au revenu est resté stable". C'est donc le nombre de mètres carrés loués et non pas le prix du mètre carré qui explique - comme le montre une étude du Credoc - que la proportion des personnes déclarant que leurs dépenses de logement constituent une charge "lourde" ou "très lourde" est passée sur la même période de 34% à 49%. Il est vrai que l'accroissement de la taille des logements loués est loin d'être anecdotique : entre 1970 et 2006, le nombre moyen de mètres carrés par personne dans les logements loués vides est passé de 19,6 à 31,9. Les locataires n'ont donc pas complètement tort dans leur perception de la hausse des loyers, même s'ils n'en perçoivent pas la cause réelle. Entre 1998 et 2006, le taux d'effort net des ménages locataires est en effet passé de 21% à 27% du revenu disponible, tandis que leur taux d'effort net (déduction faite des aides aux logements) passait de 18 à 22%, l'essentiel de la hausse étant intervenu entre 1988 et 1996. Le CAS montre également que le taux d'effort brut est fortement décroissant avec les revenus, mais aussi que "de façon contre-intuitive, il varie peu avec la taille du ménage à revenus donnés (y compris de transfert)". L'étude démonte aussi une autre idée reçue, qui voudrait que les locataires en place soient favorisés par rapport aux nouveaux entrants. Pourtant, même si les logements mis en relocation peuvent faire l'objet d'une hausse, il apparaît que les loyers de relocation et les baux en cours suivent une évolution parallèle.

…et les accédants qui pleurent ?

La situation est tout autre pour les prix d'acquisition. Ceux-ci ont connu une dynamique récente très différente, caractérisée par une croissance très rapide de l'indice du prix des logements depuis son point bas de 1998. Le montant de cet indice a en effet connu, depuis cette date, une multiplication par 2,5, à qualité constante. Cette évolution récente est atypique par rapport aux tendances de long terme : après être resté stable pendant plus de trente ans, le ratio entre l'indice des prix et le revenu disponible moyen des ménages a, depuis le début des années 2000, augmenté de plus de 60% par rapport à son niveau de long terme. Le ratio loyer/revenu n'ayant, pour sa part, pas divergé de son niveau de long terme, la conclusion s'impose : le ratio loyer/prix - autrement dit l'indicateur sommaire utilisé pour évaluer le rendement de l'investissement immobilier - s'est fortement dégradé. A la différence d'autres pays qui ont vécu le même phénomène - comme les Etats-Unis, l'Espagne ou l'Irlande -, la France n'a cependant pas connu de correction brutale. Le ratio n'a que faiblement diminué sous l'effet de la crise de 2008-2009 et est reparti à la hausse dès 2010.
Selon le CAS, cette tendance peut s'expliquer par le rôle des conditions de financement. Celles-ci se caractérisent, en France, par une baisse des taux d'intérêt, une stabilisation des anticipations d'inflation et des mesures publiques favorables à l'accession, comme l'extension du prêt à taux zéro à l'ancien (2005) ou la déductibilité des intérêts d'emprunt dans le cadre de la loi Tepa (2007). Cette amélioration de la capacité d'emprunt des ménages, doublée de l'allongement des durées d'emprunt proposées, a contribué à une forte progression de leur endettement immobilier. Les encours totaux de crédit - restés stables autour de 30% du PIB entre 1980 et 1998 - ont doublé entre 1999 et 2010. Malgré cette forte hausse, la France présente néanmoins l'un des plus faibles taux d'endettement immobilier de l'OCDE. Selon le CAS, l'amélioration des conditions de financement pourrait expliquer 50 à 60% de la hausse des prix dans l'ancien.

Une bulle qui ne fait pas peur

Face à cette demande supplémentaire, l'offre de logements en acquisition s'est révélée peu élastique, ce qui a également contribué à la hausse des prix. Par ailleurs, le coût du logement a également progressé sous l'influence d'autres facteurs, comme le coût ou le rationnement du foncier dans les zones les plus recherchées, le ralentissement des gains de productivité dans la construction (qui connaissent un net ralentissement depuis le début des années 90), la hausse du coût de la construction ou encore "le surcoût cumulé des réglementations (principalement parasismiques, thermiques, acoustiques et électriques)". Selon la note, les réglementations introduites entre 1990 et 2005 seraient à l'origine d'un surcoût égal en moyenne à environ 2,7% du prix des maisons (hors terrain) et à environ 3,8% du prix des bâtiments à usage d'habitat collectif.
Le CAS conclut sa note par des éléments prospectifs, fondés sur le fait que "l'hypothèse d'une surévaluation des biens immobiliers ne peut [...] être exclue". Tout en rappelant qu'"il est par essence impossible de prouver l'existence d'une bulle" tant qu'elle n'a pas éclaté, le CAS ne cache pas soupçonner fortement son existence : "Il est certain qu'un contexte d'offre rigide, comme c'est le cas en France, favorise la persistance des bulles." Pour autant, "dans une telle conjoncture, les bulles opèrent une vaste redistribution en défaveur des nouveaux entrants, mais elles ne conduisent pas à une surproduction massive de logements accaparant inefficacement des ressources productives". Compte tenu de l'endettement immobilier relativement mesuré des ménages, le CAS en conclut que "le système bancaire est donc peu exposé à un retournement brutal du marché immobilier. En revanche, le secteur de la construction pourrait être impacté pendant le temps de l'ajustement".
Cette analyse du CAS devrait être prochainement complétée par d'autres notes, traitant plus spécifiquement du logement social en Europe, de l'efficacité de la production publique de service de logement et de l'accès au logement des ménages à bas et moyens revenus.