Transports - Autocars : les élus et opérateurs font un saut dans l'inconnu
Un ministre de l'Economie applaudi par des autocaristes. Le 14 octobre, Emmanuel Macron a ouvert le 23e congrès de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) par un discours soulignant que l'autocar est un vecteur d'emplois mais aussi de mobilité, "le but de la réforme étant d'en créer là où elle n'existe pas". Les attentes sont fortes, les zones de flou aussi : nous sommes encore au stade de la naissance de ce que Gilles Savary, député de Gironde et rapporteur à l'époque du volet transports du projet de loi Macron, dénomme "le chaînon manquant" des transports collectifs.
Revanche de l'autocar
La revanche de l'autocar débute sur les chapeaux de roues : lors de ce congrès, cinq opérateurs ont fait part de leur enthousiasme. Parmi elles, la compagnie allemande FlixBus se dit satisfaite des premiers retours de fréquentation de nouvelles lignes comme celle reliant Paris et Clermont-Ferrand. "Nous n'étions pas sûrs de notre coup mais elle débute très bien", confirme Pierre Gourdain, directeur général de FlixBus France. Même constat pour la transversale Bordeaux-Lyon. "Nous nous intéressons entre autres aux trajets de nuit. Ils plaisent aux clients". Ce que confirme l'autre poids lourd du secteur, Megabus, qui ouvre une quinzaine de liaisons au départ de villes moyennes comme Amiens, Brive-la-Gaillarde, Avignon ou Toulon. Son directeur, Robert Montgomery, croit beaucoup à la pertinence des voyages en autocar effectués de nuit et dans des destinations "où les trains ne vont pas forcément".
Pas non plus un eldorado
Autre opérateur positionné sur cette bataille du bus longue distance, Transdev. La filiale de la Caisse des Dépôts s'est fixé l'objectif de déployer progressivement des centaines de cars "en s'appuyant sur des partenariats avec des opérateurs locaux". Son patron, Jean-Marc Janaillac, estime qu'il ne faut pas trop s'emballer, que "le modèle économique reste à trouver" : "N'y voyons pas un eldorado, plutôt un monde inconnu qui s'ouvre à nous !" L'autre enjeu est d'accueillir correctement ces cars. De lourds travaux doivent ainsi être menés pour agrandir ou rénover les gares routières (voir notre article dans l'édition du mardi 29 septembre). Dans de nombreuses villes, elles se résument pour l'heure à de simples parkings. Une ordonnance du gouvernement est attendue pour déterminer quels en sont les critères. Sa concertation a débuté avec les régions, municipalités et entreprises de transport.
Feu vert de l'autorité de régulation
La SNCF veut aussi marquer son territoire et ouvrir, avec sa filiale Ouibus, une centaine de liaisons l'an prochain afin de relier une quarantaine de villes. Sa stratégie consiste également à développer son offre en s'appuyant sur des autocaristes présents localement. "La loi Macron est une loi B2C (Business to Consumer). Elle ne traite pas de l'articulation entre ces nouvelles offres et les services classiques de transport conventionnés", relève Guillaume Pepy, à la tête du groupe SNCF. "Ce n'est pas une libéralisation sauvage, mais une ouverture régulée. Quand un opérateur souhaitera ouvrir une ligne, il devra obtenir le feu vert de la nouvelle Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières)", ajoute Gilles Savary. Seules les liaisons par autocar de moins de 100 km sont soumises à ce régime déclaratif qui vient d'être précisé par décret. En voyant son rôle s'étendre à la régulation des lignes longue distance par autocar, le gendarme du rail a donc du pain sur la planche.
Doctrine en cours
"Nous allons veiller à ce que ces nouvelles lignes de bus ne portent pas atteinte à l'équilibre des services publics comme le TER (trains régionaux) ou les autocars départementaux", explique son président Pierre Cardo. "Et s'efforcer d'élaborer une doctrine et des règles claires, en tirant des enseignements d'une consultation fraîchement bouclée. Il nous faudra aussi déterminer si des complémentarités peuvent s'installer entre ces nouvelles offres et les services existants." Ce sont les autorités organisatrices de transport comme le département, la région ou l'Etat qui pourront saisir dans un délai de deux mois l'Arafer, afin de limiter ou interdire une nouvelle liaison par autocar. Du moins si elles considèrent que celle-ci déséquilibre économiquement le service public existant, ou déstabilise de manière évidente les transports tels qu'ils ont été organisés. Et ce de façon "substantielle", dit la loi. Reste qu'à partir de quand cette atteinte peut-elle être jugée substantielle ? "Sans doctrine ni jurisprudence, on est pour l'instant dans le flou. Si nous mettons notre veto, ce sera en tout cas pour un avis simple. La décision d'aller plus loin reviendra donc aux autorités organisatrices", répond Pierre Cardo. A vue de nez, l'Arafer estime que sur la soixantaine de lignes déjà lancées par les opérateurs d'autocars, la moitié sont susceptibles d'impacter un service conventionné en place.
Des zones de flou
A l'Association des régions de France (ARF), Jacques Auxiette, président de la commission transports, aimerait que ces nouveaux services soient bien coordonnés, organisés au niveau territorial par les régions. Et que celles-ci pèsent plus en tant qu'arbitres qu'en simples régulatrices. Et Hervé Mariton, député de la Drôme, pour conclure, d'avertir : "Entre les schémas des transports qui leurs sont confiés et cette croissance à tout va du transport par autocar, cela risque de frotter. Nous ne sommes pas à l'abri d'affrontements de légitimité. De même, si d'un côté les régions persistent dans leur manque d'enthousiasme pour l'ouverture à la concurrence sur le plan ferroviaire, et que d'un autre la concurrence soit partout si vive entre opérateurs de cars, le public risque de ne plus rien comprendre et d'y perdre la tête !"