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Congrès de l'ADF - Au bord de l'asphyxie, les départements font front commun

Le 80e congrès de l'Assemblée des départements de France, ces 20 et 21 octobre en Avignon, aura permis aux présidents de département de dégager de vraies convergences de vues face à ce qui constitue aujourd'hui leur préoccupation essentielle : le financement de leurs dépenses sociales qui, s'il n'est pas rééquilibré, les conduira dans une impasse. Une résolution a été adoptée à l'unanimité.


Ils sont d’accord sur le constat et le diagnostic, sur l’urgente nécessité d’un traitement… et presque d’accord sur les remèdes à apporter. Cela fait longtemps que l’on n’avait pas entendu les présidents de département témoigner d’une telle convergence de vues. A ce titre, le 80e congrès de l’Assemblée des départements de France (ADF) qui a réuni ces élus les 20 et 21 octobre en Avignon, dans un lieu chargé de symboles - la salle du Conclave du palais des Papes -, a été plutôt atypique. Alors qu'il s'agissait du dernier congrès avant les cantonales de mars prochain (lesquelles pourraient de surcroît, conseiller territorial oblige, être les dernières cantonales…), les appartenances politiques des uns et des autres ont en partie été dépassées. Pour, au final, aboutir à l'adoption, à l'unanimité et sous les applaudissements, d'une résolution commune de deux pages. "La fumée blanche est finalement sortie assez vite", s'est félicitée Marie-Françoise Pérol-Dumont, présidente de la Haute-Vienne et porte-parole des 58 départements de gauche.
Cette résolution porte pratiquement sur un seul sujet : le problème du financement des trois allocations de solidarité (APA, PCH et RSA) qui étrangle aujourd'hui totalement les départements. Le congrès lui-même n'a parlé que de cela ou presque. Et ce alors que l'on aurait pu supposer que la réforme des collectivités, dont le point d'orgue est en principe attendu pour le 3 novembre avec la commission mixte paritaire, serait encore au coeur des débats.
Certes, une table ronde a été consacrée jeudi au devenir des politiques optionnelles des départements avec un focus sur le sport, la culture et le tourisme. Où l'on aura compris que même si ces trois champs ont été inscrits dans le projet de loi de réforme des collectivités en tant qu'exception au principe de spécialisation des compétences, ils risquent fort de ne plus pouvoir bénéficier de toutes les interventions départementales actuelles. Cela, notamment, du fait de l'article prévoyant le non-cumul des subventions départementales et régionales. Avignon est à ce titre emblématique : son festival, a rappelé Claude Haut, président du Vaucluse, bénéficie d'une aide de 600.000 euros du conseil général et d'une aide du même montant du conseil régional. Sans ce cofinancement, quid de l'avenir de ce célèbre festival ? Des questions se posent aussi sur la définition des champs concernés. "Le tourisme, c'est aussi de l'économie", a-t-on souligné. Dès lors, comment continuer à oeuvrer en faveur du tourisme si l'on ne peut plus intervenir dans les domaines du développement économique, de l'emploi ou des TIC ? Mais surtout… "ce n'est pas la peine de parler de compétence générale si on n'a plus les moyens de l'exercer", comme l'a relevé Augustin Bonrepaux, président de l'Ariège. Autrement dit, c'est avant tout l'"asphyxie financière qui frappe les départements" qui, si rien n'est fait, les conduira de facto à leur désengagement de ce qui constitue leurs "politiques volontaristes" – culture, sport, jeunesse, emploi, aides aux communes et aux associations… Ces politiques ne représentent que 10% de leurs dépenses, mais certains ont d'ores et déjà commencé à y faire des coupes sérieuses. Pas le choix.
"Maintenir le niveau actuel des dépenses tandis que les recettes se resserrent est impossible", est venue confirmer une étude CNRS/Caisse d'épargne présentée jeudi aux congressistes. Sous l'intitulé "Quels budgets pour les départements à l'horizon 2015 ?", cette étude tend à démontrer que les départements ne pourront sortir de l'"impasse" que si l'on agit en même temps sur tous les leviers possibles : hausse des recettes fiscales (en l'occurrence le foncier bâti), réindexation des dotations de l'Etat aux collectivités, baisse des investissements et des subventions d'équipement par une "sélectivité accrue des projets", économies de gestion, gel des dépenses sociales.

Proposition de loi et QPC

L'essentiel, pourtant, demeure bien la compensation de ces dépenses sociales et, principalement, des trois grandes allocations de solidarité, à l'heure où le différentiel entre les dépenses réelles et ce que verse l'Etat aux départements ne cesse de croître. Sans quoi "nous allons tous dans le mur", ne cesse de prévenir Claudy Lebreton, président de l'ADF. "Nous ne pouvons plus attendre", renchérit Bruno Sido, président de la Haute-Marne et du groupe des 40 départements de droite et du centre. Michel Mercier, ministre de l'Aménagement du territoire, venu représenter le gouvernement en Avignon (en lieu et place de Brice Hortefeux, retenu par le mouvement social lié à la réforme des retraites), reconnaît lui-même le "déséquilibre mécanique" des dépenses sociales des départements et parle de dépenses "qui ont leur croissance propre". Il sait que tout chantier sur la dépendance devra commencer par "soulager financièrement les départements".
La hausse des dépenses d'APA est "inexorable" du simple fait du vieillissement de la population, la PCH continue sa montée en charge et le RSA reflète évidemment la crise de l'emploi. Avec de surcroît une donnée d'actualité évoquée en Avignon : la réforme des retraites pourrait bien avoir un effet sur le RSA-socle dans la mesure où, pour certains bénéficiaires, le report de deux ans de leur accès à une retraite signifiera deux ans de plus de prestation payée par les départements.
C'est dans ce contexte que l'ADF a préparé une proposition de loi "relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements", examinée par le bureau de l'association à la fin de l'été (voir nos articles des 30 et 31 août ci-contre) et actuellement présentée aux parlementaires. Lesquels, assure Claudy Lebreton, lui ont jusqu'ici réservé "une écoute attentive". Ce texte, qui tend à graver dans le marbre le principe d'une compensation "quasi intégrale" des trois allocations, devrait être discuté au Sénat début décembre dans le cadre d'une niche parlementaire.
Parallèlement, les départements de gauche - qui pourraient être suivis par quelques départements de droite - se sont engagés dans une démarche plus frontale, en commençant par adresser individuellement un courrier à François Fillon. A défaut d'une réponse dans les deux mois à venir, ils menacent d'avoir recours à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et donc de saisir le Conseil constitutionnel en mettant en avant le fait que la non-compensation porte atteinte au principe de libre administration des collectivités.
Reste évidemment la question des ressources qui, du côté de l'Etat, permettraient de financer la compensation. Sur ce point, les solutions avancées par les uns et les autres ne sont pas forcément les mêmes. Si d'aucuns continuent d'évoquer la piste d'une deuxième "journée de solidarité" (qui pourrait rapporter 2,4 milliards d'euros) tandis que d'autres proposent que le gouvernement renonce par exemple à la baisse de la TVA dans la restauration, l'idée d'une hausse de la CSG, défendue depuis longtemps par Claudy Lebreton, fait visiblement de plus en plus d'adeptes. Même Bruno Sido semble ne pas s'y opposer. "Le financement passera d'une façon ou d'une autre par la fiscalité, que ce soit la CSG ou une autre ressource fiscale", considère pour sa part Philippe Adnot, président divers droite et sénateur de l'Aube.

Solutions pérennes… et solutions à court terme

Dans un premier temps, les présidents semblent unanimes pour demander que l'ensemble des crédits de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie soit affecté à la dépendance, regrettant qu'une partie de ces crédits serve aujourd'hui à financer l'objectif national des dépenses d'assurance maladie médicosocial. De même, ils souhaitent que les excédents du RSA-chapeau puissent basculer sur le financement du RSA-socle. Deux pistes également évoquées par Michel Mercier et qui semblent par conséquent avoir quelques chances d'aboutir.
L'idée est en tout cas, insiste la résolution des présidents, qu'"une solution de financement pérenne soit trouvée" et soit inscrite dans le projet de loi de finances pour 2011. Autrement dit très vite. Et qu'une solution "à court terme" soit prévue pour 2010, cette fois dans le cadre de la loi de finances rectificative, "notamment en s'appuyant sur un fonds exceptionnel d'urgence".
Les élus départementaux ne semblent donc pas prêts à attendre patiemment que prenne forme la réforme de la dépendance annoncée par le chef de l'Etat. Car si le chantier pourrait démarrer d'ici quelques semaines, plusieurs mois de consultations et discussions sont à prévoir. D'autant plus que Nora Berra, secrétaire d'Etat chargée des Aînés, est venue en Avignon déclarer que cette réforme ne devra pas être "une mesurette pour colmater une brèche" ni "se limiter à la question du financement de l'APA". "Parler du seul financement de l'APA, c'est avoir une approche réductrice du débat et des enjeux", a-t-elle insisté, évoquant pour autres enjeux celui de la "solvabilisation des Français face au reste à charge en cas d'hébergement en établissement", celui des politiques de prévention de la perte d'autonomie, celui du maintien à domicile et celui des gérontotechnologies… Il s'agirait donc d'une "réforme globale" qu'elle souhaiterait intituler "autonomie avenir des aînés".
La secrétaire d'Etat ne s'est en revanche pas prononcée sur l'assise financière d'une telle réforme. Elle n'a pas non plus apporté d'appui particulier à la députée UMP Valérie Rosso-Debord, auteur du rapport parlementaire sur la dépendance présenté en juin dernier (voir notre article du 25 juin ci-contre), également invitée à s'exprimer devant les congressistes. Un rapport dont on aura surtout retenu l'idée d'un recours obligatoire à une assurance dépendance privée.
Les présidents de département, eux, n'ont pas éludé cette question de l'assurance privée. Même François Hollande, en tant que président de la Corrèze, l'a évoquée, tout en se prononçant pour que l'on ait en priorité recours à la CSG et à la CRDS. De même, Yves Daubigny, président PS de l'Aisne, indique que "pour les financements complémentaires, il n'y a pas de tabou par rapport à l'assurance privée". Etant toutefois entendu que le fondement de l'édifice devra bien être la solidarité nationale. L'ancien ministre de la Santé et des Solidarités du gouvernement Villepin, Philippe Bas, présent au congrès, l'a lui aussi assuré : "La base du dispositif devra être une contribution sociale. C'est la piste explorée aujourd'hui."
Là encore, donc, les convergences sont nettes. "Chacun a fait un bout du chemin", s'est félicitée Marie-Françoise Pérol-Dumont. La netteté des desseins du gouvernement quant au contenu précis et aux modalités de la réforme est moins patente. L'unité des élus départementaux devrait en tout cas leur permettre de peser davantage dans les discussions à venir.

 

Claire Mallet