ASE : le rapport sans nuances de l'Assemblée dénonce les "défaillances structurelles du système"
Sur les constats, le rapport de la mission d'information de l'Assemblée sur l'aide sociale à l'enfance est sévère quant aux politiques et pratiques des départements. Sur les propositions, certaines sont assez classiques. Hormis l'idée de nommer un référent "protection de l'enfance" auprès de chaque préfet et de créer une "agence nationale"...
"Dysfonctionnements du système d'accueil", "absence quasi générale de tout soutien psychologique ou de suivi médical régulier", "méconnaissance des droits", "inégalité de traitement"... dans son introduction au rapport de la mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance (ASE), son président Alain Ramadier, député (LR) de la Seine-Saint-Denis, ne voit quasiment aucun point positif dans la politique d'aide sociale à l'enfance mise en œuvre par les départements depuis 1983. Il appelle donc à un grand retour de l'État en ce domaine, sans aller pour autant jusqu'à un retour à l'État, qui supposerait que ce dernier finance une politique à laquelle il a déjà quelque mal à contribuer sur le cas particulier des mineurs non accompagnés (MNA).
"La gravité du sujet"
Bien sûr, ce réquisitoire en règle s'accompagne du traditionnel hommage sur "l'engagement, le désintéressement [des travailleurs sociaux et des assistantes familiales], qui auraient besoin d'un soutien et d'une reconnaissance de leur travail qui fait actuellement cruellement défaut", mais suivi aussitôt d'une remarque sur "la politique de protection de l'enfance qui souffre de l'entre-soi dans lequel elle s'est enlisée depuis de nombreuses années" (ce qui n'est au demeurant pas totalement inexact).
Le lancement de la mission d'information a été décidé par la conférence des présidents et non par la commission des affaires sociales, afin que la démarche "reflète bien l'importance – et pour tout dire la gravité – du sujet" (voir notre article ci-dessous du 6 mars 2019). Après le reportage à charge de France 3 sur les jeunes majeurs, il était même question, dans un climat d'émotion collective, de créer une commission d'enquête (voir notre article ci-dessous du 6 février 2019). Entre-temps, le Premier ministre est opportunément intervenu pour faire retomber un peu la pression, en lançant la contractualisation avec les départements autour du plan Pauvreté, dont un des thèmes porte précisément sur la prise en charge des jeunes majeurs (voir nos articles ci-dessous des 15 et 21 février 2019).
Une mission au contexte particulier
Le rapport se ressent évidemment de ce contexte initial. Il est présenté par sa rapporteure, Perrine Goulet, députée (LREM) de la Nièvre et qui ne fait pas mystère d'avoir été une "enfant de l'ASE", placée en foyer à l'âge de 9 ans (en 1987, il y a donc plus de trente ans). La députée de la Nièvre était d'ailleurs à l'origine de la résolution réclamant la constitution d'une commission d'enquête, cosignée par 130 députés de la majorité.
À ce contexte s'ajoute le fait que les départements ne représentent qu'une petite fraction des personnes auditionnées, même si l'ADF et l'Andass (directeurs d'action sociale) ont bien sûr été entendues. Mais leurs explications ont manifestement pesé peu devant l'émotion, légitime, suscitée par les témoignages souvent poignants d'anciens enfants de l'ASE, qui ont ouvert le cycle des auditions. La mission a également mené deux visites officielles dans le Nord et en Seine-Saint-Denis avec rencontre des conseils départementaux, mais aussi une quinzaine de visites individuelles de membres de la mission dans des départements, qui sont loin d'avoir toutes donné lieu à une rencontre avec le conseil départemental.
Un constat très sombre
Du constat très négatif dressé par la mission, on retiendra principalement les critiques sur les écarts de pratiques et de prises en charge entre départements, avec pour conséquence la remise en cause rétrospective de la décentralisation qui "engendre autant de politiques d'aide sociale à l'enfance qu'il existe de départements", ce qui "doit sans doute amener à une réinterrogation profonde de la manière dont doit être pensée la décentralisation de l'aide sociale à l'enfance".
Autres critiques récurrentes : l'absence d'une "véritable doctrine" sur les modes de placement, les insuffisances du projet pour l'enfant (avec un maximum de 30 à 40% d'enfants couverts dans les départements les plus exemplaires), le manque de contrôle de l'État, ou encore la "judiciarisation" croissante de l'ASE qui conduit à transférer au juge l'essentiel des décisions et dégrade, faute de moyens suffisants, les délais de mise en œuvre des mesures ordonnées par ce dernier.
Des propositions plus modérées…
Face à ce constat très noir, le rapport formule une vingtaine de propositions curieusement plus "modérées" et déjà avancées à plusieurs reprises. Il recommande notamment d'établir un référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes, d'améliorer la visibilité du numéro national d'appel 119 (par exemple en le faisant figurer dans le livret de famille, le carnet de santé et le carnet de liaison des élèves du second degré), de former les personnels de l'Éducation national au repérage des informations préoccupantes, d'améliorer la prise en compte de l'enfant dans la procédure judiciaire, ou encore de généraliser la mise en place des commissions d'évaluation de la situation et du statut des enfants confiés.
Le rapport préconise aussi d'améliorer la prise en charge médicale des enfants placés (une expérimentation est en cours), de développer le recours aux tiers de confiance, de repenser la formation des assistants familiaux et de revoir leur statut (par exemple en les autorisant à exercer une autre activité professionnelle et en revalorisant la rémunération minimale), mais aussi de lutter contre la discrimination scolaire.
... mais un changement radical de gouvernance
En termes de gouvernance, la proposition est plus radicale, puisqu'elle aboutirait à une recentralisation de fait. Le rapport recommande en effet de nommer "auprès de chaque préfet un référent 'protection de l'enfance', sur le modèle des délégués des préfets pour la politique de la ville" (rapprochement surprenant dans la mesure où la politique de la ville n'est pas à proprement parler décentralisée), tandis qu'une "Agence nationale de protection de l'enfance", copilotée par l'État et les départements, regrouperait l'ensemble des organismes impliqués dans la protection de l'enfance (CNPE, ONPE, AFA, Odas et HCFEA pour leurs sections consacrées à l'enfance).
Ce modèle de l'Agence nationale serait ensuite décliné au niveau départemental, avec un copilotage par le président du conseil départemental et le référent "protection de l'enfance" du préfet, "qui réunirait toutes les parties prenantes associatives et institutionnelles (justice, éducation nationale, santé), et comprenant obligatoirement une association d'anciens enfants placés".
Une proposition assez éloignée de celles formulées par Adrien Taquet, le secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance, lors de la présentation de son "plan d'action" pour l'enfance, présenté il y a quelques jours devant les Assises de la protection de l'enfance à Marseille (voir notre article ci-dessous du 4 juillet 2019).