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Proposition de loi jeunes majeurs : l'obligation cède la place à la contractualisation

L'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi portée par Brigitte Bourguignon sur les jeunes majeurs. Finalement, la prise en charge de ces jeunes par les services de l'aide sociale à l'enfance ne sera plus automatique. L'opposition a jugé que le texte était de ce fait dénaturé par rapport à sa rédaction initiale.

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 7 mai, la proposition de loi - déposée par Brigitte Bourguignon, la présidente (LREM) de la commission des affaires sociales, Olivier Véran, son rapporteur général (LREM), et environ 130 députés du groupe majoritaire - "visant à renforcer l'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l'autonomie". Malgré un large consensus sur la nécessité d'améliorer la prise en charge des jeunes majeurs, cette adoption a donné lieu à de vives critiques de la part de l'opposition, qui juge le texte très largement dénaturé par rapport à sa rédaction initiale, pourtant adoptée à une très forte majorité il y a dix mois par la commission des affaires sociales (voir notre article ci-dessous du 12 juillet 2018 sur cette adoption et sur le contenu initial du texte).

Une contradiction évidente

Le gouvernement et la majorité auraient pu s'épargner cette contestation sur un sujet pourtant consensuel, en retirant la proposition de loi de l'ordre du jour. Il était en effet devenu évident (voir notre article ci-dessous du 19 mars 2018) que la proposition de loi - très contraignante, avec une obligation de prise en charge systématique des jeunes majeurs par les départements - était devenue incompatible avec l'approche contractuelle lancée entre-temps par Adrien Taquet, le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, et Frédéric Bierry, le président de la commission Solidarité et affaires sociales de l'Assemblée des départements de France (ADF) et président du conseil départemental du Bas-Rhin (voir notre article ci-dessous du 27 mars 2019). Cette concertation, qui s'appuie sur plusieurs groupes de travail, doit déboucher sur un "pacte national pour la protection de l'enfance", annoncé pour le mois de juillet.

En outre, la question de l'accompagnement des jeunes majeurs entre désormais dans le périmètre de la contractualisation avec les départements, lancée par le Premier ministre dans le cadre du plan Pauvreté. Elle en est même l'un des trois axes majeurs (voir notre article ci-dessous du 15 février 2019).

Moins d'obligations, mais plus de précisions

Dans sa rédaction initiale, l'article Ier de la proposition de loi rendait la prise en charge des jeunes majeurs par les services de l'aide sociale à l'enfance des départements "obligatoire pour les mineurs émancipés et les majeurs de moins de vingt et un ans lorsqu'ils ont à la fois bénéficié d'une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, qu'ils sont en situation de rupture familiale ou ne bénéficient pas d'un soutien matériel et moral de la famille, et qu'ils ne disposent ni de ressources financières, ni d'un logement ou d'un hébergement sécurisant".

Mais deux amendements identiques du gouvernement et de Brigitte Bourguignon, qui rapportait son texte, ont profondément transformé cet article. Dans la version adoptée par l'Assemblée "les jeunes majeurs ou émancipés ayant été confiés à l'aide sociale à l'enfance [...] pendant une durée cumulée d'au moins dix-huit mois au cours des vingt-quatre mois précédant leur émancipation ou l'atteinte de leur majorité bénéficient, jusqu'à l'âge de vingt et un ans bénéficient, s'ils en font la demande, d'un contrat d'accès à l'autonomie, dès lors qu'ils sont confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre [...]".

La prise en charge n'est donc plus automatique et les conditions pour y accéder sont durcies (18 mois de prise en charge ASE dans les 24 mois précédent, ce qui est au demeurant le cas le plus fréquent pour les jeunes majeurs). En revanche, s'ils sont pris en charge au titre de jeunes majeurs, la nouvelle rédaction est beaucoup plus précise sur les obligations du département, qui doit alors orienter le jeune vers le ou les dispositifs de droit commun correspondant à ses besoins, garantir son accès à un logement ou un hébergement correspondant à ses besoins, l'accompagner dans ses démarches d'accès aux droits et aux soins et assurer, le cas échéant, un accompagnement éducatif. En contrepartie, "le jeune s'engage à entreprendre toute démarche ou action visant à lui permettre d'accéder à l'autonomie et, le cas échéant, à suivre les études ou la formation définie dans le contrat" d'accès à l'autonomie.

Des obligations allégées

Le texte adopté encadre également plus strictement la possibilité de prolonger un contrat jeune majeur au-delà de 21 ans. De même, il ne prévoit qu'un seul entretien obligatoire un an après la sortie du dispositif d'ASE, au lieu d'un tous les six mois comme prévu initialement, dans la mesure où, selon l'exposé des motifs, "deux entretiens à six mois d'intervalle peuvent apparaître comme une obligation lourde à porter pour les conseils départementaux, et probablement peu adaptée pour des jeunes qui ne sont pas forcément volontaires". Les jeunes concernés gardent toutefois la possibilité de solliciter et d'obtenir un tel entretien à tout moment avant leurs 21 ans, voire leurs 25 ans.

Les autres amendements votés par les députés n'apportent pas de modifications significatives au texte adopté par la commission des affaires sociales (voir notre article ci-dessous du 12 juillet 2018)

Espoir déçu ou "avancée considérable" ?

La proposition de loi a été adoptée, dans un hémicycle quasi vide, par 46 voix pour, 6 contre et une abstention. Ce qui n'a pas empêché de vives réactions. Pour Mathilde Panot, députée (LFI) du Val-de-Marne, les "dix-huit mois cumulés dans les vingt-quatre mois précédant l'atteinte de leur majorité" vont écarter de nombreux jeunes et "les premiers recalés seront les mineurs non accompagnés, car nombre d'entre eux arrivent dans notre pays vers 16 ans".

Pour Elsa Faucillon, députée (PC) des Hauts-de-Seine, "nous avions l'occasion de faire un pas important, et de le faire ensemble dans un consensus et une unanimité complète, ce qui est plutôt rare. Vous avez décidé de rompre ce consensus, mais aussi de tourner le dos aux jeunes que vous aviez écouté et qui sont aujourd'hui écœurés".

Plus mesuré, Stéphane Viry, député (LR) des Vosges, a estimé que le texte contient des mesures qui vont "dans le bon sens", mais s'est inquiété du financement des contrats autonomie, qui va peser sur les départements. Il a été rejoint par Agnès Firmin-Le Bodo, députée (UDI-Agir) de Seine-Maritime, qui a alerté le gouvernement sur un risque d'"étranglement des collectivités". Le gouvernement annonce en effet un quintuplement de l'appui au financement des contrats jeunes majeurs, qui passerait de 12 à 60 millions d'euros, mais les départements estiment le coût réel à 300 millions d'euros.

Pour sa part, Adrien Taquet a salué un texte qui constitue "une avancée considérable" pour mettre fin à "un gâchis humain, social et économique", tandis que Brigitte Bourguignon a expliqué que le texte adopté doit faire en sorte "que la protection de l'enfance devienne un véritable tremplin vers l'autonomie et non plus ce 'sécateur à rêves' auquel elle s'assimile trop souvent".

Références : proposition de loi visant à renforcer l'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l'autonomie (adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 7 mai 2019)
 

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