Réforme de la protection de l'enfance : pas de révolution mais des adaptations
Le secrétaire d'État Adrien Taquet a présenté ce 4 juillet les grandes lignes de son "plan d'action" sur la protection de l'enfance. Parmi les mesures ou perspectives énoncées : la "co-saisine de deux juges des enfants pour les décisions les plus complexes", une mission sur les délais d'exécution des mesures de justice, des moyens supplémentaires pour la pédopsychiatrie, une modernisation du métier d'assistant familial, une amélioration de la gouvernance... Le paysage de l'aide sociale à l'enfance ne devrait pas être bouleversé, pas plus que le rôle des départements.
Intervenant le 4 juillet devant les Assises de la protection de l'enfance à Marseille, Adrien Taquet a présenté les grandes lignes des mesures envisagées sur le sujet. Devant constituer à l'origine un "Pacte pour l'enfance" – mais le terme ne figure plus dans le discours du secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance, remplacé par celui de "plan d'action" –, ces mesures s'inspirent des préconisations des groupes de travail installés le 27 mars dernier par Adrien Taquet et l'Assemblée des départements de France (voir notre article ci-dessous du 27 mars 2019), afin de dénouer la crise apparue autour de la question de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et plus particulièrement de la prise en charge des jeunes majeurs (voir nos articles ci-dessous).
Une co-saisine de juges des enfants sur les situations complexes
Les mesures annoncées ne vont pas bouleverser l'aide sociale à l'enfance et sont même assez loin des apports de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfance. Elles s'apparentent plutôt à des améliorations et à des ajustements ponctuels, répondant à certains points faibles du dispositif actuel. Adrien Taquet a d'ailleurs reconnu que "la loi de 2016 est allée suffisamment loin, et il ne servirait à rien d'en rajouter, même si des modifications peuvent être pertinentes sur tel ou tel point". Cette approche devrait plutôt satisfaire les départements – qui coprésidaient les groupes de travail –, après les reportages à charge et les propos peu amènes tenus ces derniers temps sur l'aide sociale à l'enfance, y compris au sein du Parlement (voir nos articles ci-dessous).
La principale mesure annoncée par Adrien Taquet est sans doute celle qui se révélera la plus difficile à mettre en œuvre. Le secrétaire d'État a en effet indiqué travailler "avec la ministre de la Justice à permettre la co-saisine de deux juges des enfants pour les décisions les plus complexes et lourdes de conséquences". Or, les juges des enfants sont déjà débordés – en particulier avec la montée des prises en charges judiciaires – et, au demeurant, peu familiers de la co-saisine, contrairement à d'autres de leurs collègues. Aucune création de postes n'étant a priori annoncée, on peut donc s'attendre à des réactions de la part de leurs représentants. Tout dépendra en fait de la définition donnée à la notion de "décisions complexes et lourdes de conséquences".
Cette question des moyens pourrait aussi resurgir, mais côté départements, avec une autre mesure annoncée : la mission confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l'Inspection générale de la justice sur les délais d'exécution des mesures de justice. Lors de son intervention, Adrien Taquet a indiqué que "les premiers constats montrent l'importance des partenariats entre justice et départements et des outils informatiques communs de gestion des places". Il attend de ce rapport "des préconisations pour nous permettre de généraliser rapidement à l'ensemble du territoire les bonnes pratiques et les protocoles de coopération entre l'ensemble des acteurs de la chaîne".
L'accès aux soins, "priorité absolue"
En matière d'accès aux soins, qualifié de "priorité absolue pour les enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance", Adrien Taquet reprend certaines des mesures récemment annoncées par Agnès Buzyn pour mettre un terme aux mouvements sociaux dans les établissements psychiatriques, dont la création de dix postes de chefs de clinique en pédopsychiatrie. Aux 100 millions d'euros de crédits pérennes promis par la ministre de la Santé, devrait s'ajouter, d'ici à la fin de l'année, une délégation complémentaire de 20 millions d'euros pour financer notamment la création d'une offre de psychiatrie infanto-juvénile dans les territoires aujourd'hui dépourvus. Adrien Taquet est également revenu sur le récent lancement de l'expérimentation de parcours de soin coordonnés pour les enfants de l'ASE (voir notre article ci-dessous du 18 juin 2019).
En matière d'éducation, le plan d'action prévoit de développer des dispositifs comme "Devoirs faits" (temps d'étude accompagnés), de réserver des places en internats scolaires et de mobiliser des outils numériques d'enseignement à distance, à l'image de ce qui se fait déjà pour les enfants hospitalisés.
Assistantes familiales et jeunes majeurs
Parmi les autres pistes évoquées figurent notamment la systématisation des mesures d'accompagnement au retour au domicile après une mesure de placement, ou encore un état de la situation sur les changements de lieux que doit subir un enfant protégé. De même, Adrien Taquet entend "rendre plus attractif le métier d'assistant familial en modernisant ses conditions d'exercice". Rien de précis n'est toutefois annoncé pour l'instant, car "cela doit passer par un dialogue avec les représentants des professionnels et les départements pour une réforme en 2020".
La question des jeunes majeurs a également été évoquée, mais de façon assez cursive, à travers la mission confiée par Édouard Philippe à Brigitte Bourguignon, la présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, sur les jeunes majeurs, en vue de dresser un état des lieux de l'existant et de faire des propositions d'extension des bonnes pratiques existantes. Pour Adrien Taquet, "nous verrons alors comme prolonger la dynamique déjà engagée par le plan de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes".
Gouvernance : vers un lieu ressources
Enfin, le secrétaire d'État a également évoqué la réforme de la gouvernance et du pilotage de la protection de l'enfance. Sur ce sujet particulièrement sensible pour les départements, il est resté assez vague, mais a néanmoins regretté le manque d'un "lieu de structuration de gouvernance efficace et légitimé par l'ensemble des acteurs". Il souhaite donc engager une réflexion sur la création d'un tel lieu, qui serait en fait plutôt "un organisme d'appui technique", avec pour missions de "créer de la transparence pour pouvoir faire des comparaisons", de "créer des outils communs et de référentiels" et de "diffuser les ressources, les connaissances, et les bonnes pratiques". Des missions qui recoupent très largement celles de l'Observatoire national de la protection de l'enfance…
À noter : certaines mesures visent directement les enfants pris en charge davantage que le dispositif. C'est le cas de la création d'indicateurs – dont la nature reste à préciser – "permettant de prendre en compte la parole des enfants dans l'évaluation de la qualité des procédures et des prises en charge liées à la protection de l'enfance". C'est aussi le cas du renforcement de la présence des enfants et des jeunes au sein des observatoires départementaux de la protection de l'enfance ou d'une autre mesure touchant à l'intime : la création d'un "album de vie qui réunira les souvenirs et photos de chaque enfant protégé". Une façon parmi d'autres de permettre aux enfants pris en charge par l'ASE de "vivre une vie quotidienne semblable à celles des autres"...