Stratégie pauvreté : des hauts commissaires en région et une contractualisation avec les départements
Le gouvernement a officiellement lancé ce 21 février la contractualisation entre l'Etat et les départements sur la mise en oeuvre du plan pauvreté. Edouard Philippe a évoqué les trois principaux axes de ces conventions. 11 départements se sont déjà engagés, l'objectif étant que tous aient signé d'ici la fin juin. Un haut commissaire dédié sera nommé dans chaque région. En matière d'insertion des allocataires du RSA - volet sur lequel Frédéric Bierry avait remis deux jours plus tôt les conclusions de sa mission -, le Premier ministre a insisté sur la nécessité d'"adapter le contenu du contrat d'engagement réciproque". Le futur service public d'insertion donnera lieu à un projet de loi.
Edouard Philippe a clôturé, ce jeudi 21 février, la réunion de lancement de la contractualisation entre l'Etat et les départements sur la mise en œuvre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté annoncée par le chef de l'Etat le 13 septembre dernier (voir notre article ci-dessous du même jour). Durant la matinée, la réunion, qui se tenait au ministère des Solidarités et de la Santé, a rassemblé des représentants des départements, dont Dominique Bussereau, le président de l'ADF, et pas moins de quatre ministres : Agnès Buzyn et ses deux secrétaires d'Etat, Christelle Dubos et Adrien Taquet, ainsi que Jacqueline Gourault.
"Ça n'a pas toujours été un long fleuve tranquille"
Cette démarche de contractualisation - que le communiqué des quatre ministres qualifie un peu rapidement d'"inédite" - a le mérite d'évacuer le débat récurrent sur la recentralisation du RSA et de s'inscrire plus largement dans les négociations financières entre l'Etat et les départements. Elle était au demeurant préconisée dans le rapport de Claire Pitollat et de Mathieu Klein sur l'accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Agnès Buzyn a d'ailleurs reconnu au passage qu'"entre l'Etat et les départements, ça n'a pas toujours été un long fleuve tranquille" et qu'"un peu de vaisselle a pu être brisée parfois", mais qu'"il était évident qu'une stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté aurait été inconcevable sans dialogue étroit avec les départements".
Le modèle de convention a d'ailleurs été négocié avec l'ADF. Il comporte deux parties. Un partie socle commune à tous les départements, avec les objectifs et les résultats à atteindre sur trois axes, et une partie laissée à l'initiative de chaque département et visant "à financer les projets spécifiques, à impact direct pour nos concitoyens et porteurs d'innovation sociale s'inscrivant dans le cadre des objectifs de la stratégie pauvreté".
Compris ou non dans les 1,2% ?
Les deux premiers contrats ont été signés bien avant le lancement officiel, avec le Bas-Rhin et le Nord (voir notre article ci-dessous du 9 janvier 2019). A ce jour, onze départements (*) se sont déjà engagés dans la démarche et l'objectif est de signer avec tous les départements d'ci à la fin du mois de juin 2019.
En termes de financement, la réunion n'a pas apporté d'informations nouvelles, mais a confirmé l'apport, par l'Etat, d'une enveloppe de 135 millions d'euros dès 2019 - sous la forme d'un "fonds de contractualisation" - pour financer les projets des départements signataires (dont 50 millions provenant du fonds d'appui aux politiques d'insertion). Cette enveloppe devrait parvenir à un montant "a minima" de 210 millions d'euros en 2022.
Jacqueline Gourault a précisé que ces recettes nouvelles apportées par l'Etat ne seront pas intégrées dans le plafond de 1,2% fixé pour l'évolution des dépenses des départements. Dominique Bussereau a toutefois indiqué qu'"il faut que les sommes que nous mettrons en face des dépenses nouvelles ne soient pas [non plus] dans le 1,2%". Une demande qu'il a réitérée le jour même lors du déjeuner organisé par Emmanuel Macron à l'Elysée avec les présidents de conseils départementaux.
Sorties sèches de l'ASE et premier accueil social inconditionnel
De son côté, le Premier ministre, qui clôturait la réunion, a expliqué à nouveau que l'objectif de la stratégie mise en œuvre par le gouvernement n'était pas de contenir la pauvreté par une redistribution supplémentaire, mais de transformer en profondeur le système pour éviter la transmission de la pauvreté d'une génération à l'autre. Il a également affirmé que "l'Etat assume sa part", en rappelant certaines mesures récentes ou en cours : programme de création de 30.000 places de crèches, instauration d'un tiers payant pour les modes de garde (qui devrait concerner 100.000 enfants à la rentrée 2019), organisation de petits déjeuners dans les classes REP+, extension de la garantie jeunes à 500.000 jeunes ou encore, dans le projet de loi pour une école de la confiance, la mise en place d'une obligation de formation de 16 à 18 ans (en scolarité, en emploi ou en formation).
Edouard Philippe a surtout exposé les trois sujets prioritaires qui entreront dans l'ensemble des conventions avec les départements. Le premier a déjà été annoncé il y a une semaine, puisqu'il concerne la fin des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance (voir notre article ci-dessous du 15 février 2019). Sur ce point, la contractualisation avec les départements devra notamment permettre aux jeunes sortant de l'ASE de se choisir un référent officiel (famille d'accueil, professionnel, association...).
La seconde priorité des conventions porte sur la "simplification des guichets et des services". Il s'agit en l'occurrence de généraliser le premier accueil social inconditionnel, dans des lieux divers selon les territoires : maisons départementales des solidarités, centres sociaux, CAF, PMI, MDPH... Il s'agit aussi d'instaurer des référents de parcours qui coordonneront l'ensemble des interlocuteurs sur tous les aspects d'une même situation.
Insertion : des CER à revoir de A à Z
Enfin, la troisième priorité des conventions concerne bien entendu la politique d'insertion des bénéficiaires de minima sociaux, et notamment du RSA. Le gouvernement entend faire un "effort massif" pour développer l'insertion par l'activité économique, avec un objectif de 100.000 personnes supplémentaires en 2022. Pour Edouard Philippe, si on veut lutter contre la pauvreté, "il faut personnaliser et adapter le contenu du contrat d'engagement réciproque" (CER).
Le Premier ministre s'est montré critique sur les actuels CER. S'il a cité le chiffre maintes fois évoqué des 50% de bénéficiaires du RSA qui n'ont pas de CER signé au bout de 6 mois, il a également affirmé que "parmi ceux qui sont signés, la dimension concrète du CER est parfois relative" et que "le même CER peut être signé par des personnes dans des situations très différentes".
Alors que la question de la contrepartie des minima sociaux fait à nouveau surface (voir notre article ci-dessous du 18 février 2019), le Premier ministre est resté sur sa position. Il estime ainsi que les bénéficiaires du RSA inscrits à Pole emploi doivent être soumis aux mêmes obligations que les autres demandeurs d'emploi et doivent pouvoir être sanctionnés en cas de refus abusif d'offres raisonnables d'emploi. Edouard Philippe "assume donc parfaitement qu'il existe des devoirs en face des droits, dès lors que ces devoirs sont personnalisés et adaptés à chaque situation".
Des hauts commissaires en région et une loi sur l'insertion en 2020
En termes de méthode, le Premier ministre a surtout annoncé que des "hauts commissaires entièrement dédiés à la mise en œuvre de la stratégie pauvreté" seront désignés dès le mois d'avril. Ils seront présents dans chaque région, afin d'aider notamment les départements à mettre en œuvre la contractualisation.
Le Premier ministre attend également beaucoup de la concertation, qui doit s'ouvrir au printemps, sur le futur service public d'insertion, "pour un nouveau service public plus efficace, plus équitable et mieux adapté aux besoins de nos concitoyens". Si le principe d'un service public de l'insertion avait déjà été annoncé, Edouard Philippe a indiqué que la démarche devrait déboucher sur un projet de loi "à l'horizon 2020". Même si le Premier ministre n'a rien dit de son contenu, ce texte pourrait être l'occasion, pour l'Etat, d'encadrer davantage les politiques départementales d'insertion pour limiter les écarts observés aujourd'hui entre les territoires.
(*) Bas-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Nord, Pas-de-Calais, Gard, Indre-et-Loire, La Réunion, Loire-Atlantique, Haute-Garonne, métropole de Lyon (qui exerce les compétences sociales du département sur le territoire de la métropole) et Seine-Saint-Denis.
Volet insertion de la contractualisation : les préconisations du rapport Bierry
C'est moins de deux jours avant le lancement officiel de ces conventions, mardi 19 février, que Frédéric Bierry, président du Bas-Rhin et président de la commission Solidarités et Affaires sociales de l'ADF, avait remis à la ministre Muriel Pénicaud et à la secrétaire d'Etat Christelle Dubos (photo ci-dessus) les préconisations de la mission qui lui avait été confiée en novembre dernier pour préparer le volet insertion de cette contractualisation avec les départements prévues par le plan Pauvreté. Le département de Frédéric Bierry avait d'ailleurs été l'un des deux premiers, avec le Nord, à contractualiser.
Le document de 16 pages remis mardi, dont Frédéric Bierry s'est fait l'écho ce jeudi 21 février devant les ministres et ses homologues, rappelait les lignes directrices données par le gouvernement : comment améliorer l'orientation des allocataires du RSA, quels outils mettre à disposition des départements pour "parfaire l'accompagnement tout au long du parcours" des bénéficiaires, quel cadre de référence pour la future "garantie d'activité". Le cœur du sujet est donc bien la réinsertion des allocataires du RSA, y compris de ceux les plus éloignés de l'emploi.
Frédéric Bierry y insiste sur quelques fondamentaux : le rôle de chef de file du département, le "respect strict des missions respectives" de chaque acteur (Etat, département, partenaires associatifs, Pôle emploi, CAF…), la nécessité de décloisonner les politiques de retour à l'emploi et de les déployer localement "à partir des bassins de vie et des bassins d’emploi", la meilleure association des bénéficiaires… et le fait que la finalité doit bien être "le retour à l’emploi pour tous".
Frédéric Bierry, tout en parlant d'une approche "emploi d'abord", prend soin de préciser ce qu'il entend : "définir un parcours de retour à l’emploi à partir des forces et appétences observées lors de phases d’immersion dans l’activité, lever en parallèle les freins, y compris sociaux qui apparaîtraient", "développer les emplois d'utilité sociétale pour faire face à des besoins non couverts, tout en donnant de la dignité aux personnes concernées", "adapter l’activité aux capacités des personnes les plus éloignées de l’emploi", passer "du dogme du travail pour tous à la nécessité d’une activité temporaire ou pérenne pour tous"… En réalité, l'idée est donc bien plutôt un retour à une activité - aussi minime soit-elle - pour tous. " Il n’y a en effet pas d’emplois marchands pour tous et si chaque individu n’est pas en mesure d’occuper un emploi à temps plein ou de répondre aux besoins de productivité du secteur marchand, chacun est capable d’exprimer à sa mesure des potentiels et des capacités en situation d’activité, dans un parcours de remobilisation, progressif et mixte", peut-on lire.
Le rapport propose la mise en place d'une "offre nouvelle d'accompagnement mixte". Pas totalement nouvelle en fait… puisqu'elle reposerait toujours sur le traditionnel diptyque accompagnement social / accompagnement professionnel, impliquerait en premier lieu Pôle emploi et les départements et prendrait pour modèle la formule de l'"accompagnement global" initié depuis plusieurs années pour les demandeurs d'emploi. La nouveauté étant toutefois, pour les allocataires du RSA éloignés de l'emploi, la "garantie activité", qui doit "combiner accompagnement social renforcé et insertion dans l'emploi" pour 300.000 allocataires par an.
Dans ce cadre, l'utilité du contrat d'engagements réciproques (CER) est réaffirmée. A condition d'en faire un "carnet de bord évolutif" et de simplifier son volet "très administratif" pour "en faire une base d'échange plus vivante et directe". Est également soulignée l'importance d'une prise en charge rapide, l'objectif étant d'"accéder à la réorientation sous un mois".
Le rapport liste les objectifs, actions et indicateurs devant être intégrés à la contractualisation Etat-département. L'indicateur concerne naturellement "la sortie des allocataires du parcours d’accompagnement et du RSA". Les départements se voient en outre plusieurs "scénarios" pour l'organisation des rendez-vous avec les allocataires (entre instruction des droits, diagnostic, orientation...).
C. Mallet