Annie Genevard : "La montagne a des contraintes particulières" qui appellent "des politiques différenciées"
Le 35e congrès de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem) s'est tenu les 17 et 18 octobre à Ispoure, au Pays basque. Au menu des travaux : des tables rondes sur le numérique, le tourisme et l'agropastoralisme, ainsi qu'une intervention de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités. Annie Genevard, présidente de l'Anem, revient sur les moments forts de ce rendez-vous.
Propos recueillis en conférence de presse.
Quel bilan tirez-vous de votre congrès ?
Nous avons eu trois tables rondes tout à fait passionnantes. La première a porté sur le numérique et a été très tranquille, alors qu'elle était dans le passé très animée. C'est sans doute l'expression d'une situation qui s'améliore, je veux le croire. Je suis très satisfaite de la table ronde sur le tourisme, qui a été très vivante et active. Elle a bien montré que la montagne est un espace économique qui veut se protéger des désordres que peut amener un développement non maîtrisé. Le "surtourisme", cela ne nous intéresse pas, au contraire du bon tourisme, respectueux de nos territoires et de ce que nous sommes, et qui apporte des retombées économiques. Enfin, il y a eu la table ronde sur l'agropastoralisme (lire notre autre article du jour, ndlr). Lorsque nous avons préparé ce congrès, nous savions qu'elle était indispensable ici, au cœur de ces problématiques. Je tiens à remercier les préfets présents. Nous avons pu nous exprimer dans le respect même si c'est un sujet qui suscite de l'émotion et de la passion. Mais il fallait que cette émotion puisse s'exprimer. Et je regrette que nous n'ayons pas eu de ministre autour de cette table ronde, malgré les efforts que nous avons déployés en ce sens. Il fallait qu'un ministre entende au-delà d'un compte-rendu de congrès car l'émotion, quand on la vit, est irremplaçable. Au nom de la défense d'espèces menacées, on a oublié qu'il y en a une qui est aussi menacée, c'est le berger dans son existence professionnelle et personnelle. On a entendu la désespérance de ces éleveurs. Je ne peux pas ne pas faire de ce combat notre combat.
Lors de votre discours d'ouverture, vous avez plaidé pour le droit à la différenciation, fustigeant la "résistance" de ceux qui "ont du mal à admettre que la loi puisse être dédiée à certaines parties du territoire ou appliquée de façon adaptée". Sur ce point, l'intervention de Jacqueline Gourault, qui a fait valoir que son futur projet de loi, prévu pour le premier semestre 2020, permettra de "rendre plus souple et plus lisible les outils permettant aux collectivités de différencier leurs modalités d’action", vous a-t-elle satisfaite ?
Nous avons une ministre qui est une bonne connaisseuse des territoires et qui est animée du souci réel que la montagne soit prise en compte. Je reste cependant sur ma faim en matière de droit à la différenciation. C'est une de nos demandes fortes que de voir reconnu ce droit pour la montagne. Il est inscrit dans la loi Montagne de 1985 et dans son acte II de 2016. Ce droit à la différenciation, le président de la République en parle, il a l'opportunité d'en donner l'application avec la montagne, puisqu'il s'agit d'un espace différent qui appelle des politiques différenciées. Nous allons donc prendre le président au mot et mettre à l'épreuve l'expression de cette volonté avec la réalité dont l'Anem est le porteur. En outre, nous avons une demande forte en matière de différenciation budgétaire territoriale. La montagne a des contraintes particulières qui font qu'en matière de construction, d'entretien, tout est plus difficile et plus coûteux. À quand une DGF adaptée à la montagne ? Car les politiques c'est bien, mais le nerf de la guerre, cela reste tout de même les dotations. Et pourquoi pas une dotation de solidarité montagne (DSM) ? Dans le principe, nous la demandons depuis longtemps.
Un autre sujet qui préoccupe les élus de la montagne est la réforme de la géographie prioritaire, et notamment des ZRR (zones de revitalisation rurale), annoncée en septembre dernier par le Premier ministre pour l'après-2020. Quelle est votre position sur le sujet ?
Ce que Jacqueline Gourault a très bien exprimé, c'est qu'il y a deux philosophies qui s'affrontent. Met-on des espaces ruraux sous aides de l'État au motif que ce sont des zones défavorisées ou bien les aide-t-on à travers des politiques sectorielles ? C'est un choix politique que le gouvernement doit arbitrer. En tout état de cause, on ne peut pas laisser des zones qui se sont développées en comptant sur les aides produites par les ZRR en déshérence du jour au lendemain. On voit bien les conséquences que cela peut avoir. L'exemple des Ehpad est tout à fait éclairant. Si demain ils n'ont plus les aides que leur apporte le classement en ZRR, ils ne peuvent plus fonctionner car ils ont appris à fonctionner, ils se sont calibrés avec ce budget. Nous sommes donc très vigilants sur cette question.
Annulation du décret sur les UTN : Jacqueline Gourault s'emploie à rassurer les élus de montagne
Dans une décision du 26 juin dernier, le Conseil d'État a annulé le décret du 10 mai 2017 relatif à la procédure de création ou d'extension des unités touristiques nouvelles (UTN) "en tant qu'il ne soumet pas à évaluation environnementale la création ou l'extension d'unités touristiques nouvelles soumises à autorisation de l'autorité administrative", autrement dit les UTN dites "résiduelles" prises par le préfet (voir notre article du 2 juillet 2019). Par la même occasion, il a également annulé le refus du ministre de la Transition écologique et solidaire et de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités de prendre les mesures réglementaires pour soumettre ces unités touristiques nouvelles à évaluation environnementale. Un coup dur porté à la nouvelle formule des UTN, lancée par le décret annulé en application de l'article 71 de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne (voir nos articles ci-dessous). Le régime d'origine, avant cette réforme, remontait à la loi Montagne du 9 janvier 1985.
Intervenant, le 17 octobre, en ouverture du 35e congrès de l'Anem, Jacqueline Gourault est revenue sur une situation qui complique sérieusement les dossiers en cours ou en projet. La ministre a tout d'abord rappelé que "les UTN incluses dans les documents d'urbanisme (Scot et PLU) sont, quant à elles, bien soumises à évaluation environnementale" et ne sont donc pas concernées. Les UTN résiduelles "sont délivrées pour certains projets liés au tourisme en l'absence de document d'urbanisme. Elles ne sont pas particulièrement nombreuses, mais concernent parfois des projets d'une certaine ampleur économique".
Au-delà de ce constat, Jacqueline Gourault a tenu à rassurer les élus de la montagne en indiquant que les services de son ministère sont en train de compléter les textes en vigueur "pour soumettre expressément les autorisations UTN 'résiduelles' à évaluation environnementale". L'Anem sera associée à ce chantier réglementaire. Précision importante : la décision du Conseil d'État s'appliquant immédiatement, les UTN en cours ou à venir doivent être soumises à évaluation environnementale, même si l'ajustement réglementaire n'a pas encore eu lieu. La ministre va donc adresser, "dans les semaines à venir, une instruction aux préfets et aux DDT pour qu'ils vous accompagnent dans la conduite de vos projets, dès lors que ceux-ci sont concernés par cette jurisprudence". Elle invite également les élus à lui communiquer toutes les difficultés qu'ils pourraient rencontrer sur ce sujet.
Jean-Noël Escudié, P2C pour Localtis