Application de la loi Montagne II : "Il faut secouer le sapin"
Quatre décrets d'application sur dix de la loi Montagne II du 28 décembre 2016 ont été publiés à ce jour, d'après le rapport d’information de la mission de contrôle sur la mise en application de cette loi présenté à l'Assemblée le 20 décembre. Au-delà de ces décrets, c'est la prise en compte de la "spécificité montagne" dans les administrations qui peine encore à s'imposer, a constaté la députée de l'Isère Marie-Noëlle Battistel, co-auteur du rapport et présidente de l'Anem.
Les grands principes de la loi Montagne de 1985 ont été "renforcés" par la loi du 28 décembre 2016 de développement et de protection des territoires de montagne, dite loi Montagne II. Mais "il nous faut secouer le sapin pour que ces références deviennent concrètes", a déploré la députée Marie-Noëlle Battistel (Isère, Nouvelle Gauche), co-rapporteur, avec Jean-Bernard Sempastous (LREM, Hautes-Pyrénées), d’un rapport d’information de la mission de contrôle sur la mise en application de cette loi, présenté à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 20 décembre.
Pour la députée, également présidente de l’Association nationale des élus de montagne (Anem), il reste beaucoup à faire pour "instiller la culture montagne" dans l’administration et dans certaines collectivités. "Il faut remettre le couvert, tout le temps, c’est un peu pénible", a-t-elle regretté, rappelant que l’article 8 de cette loi de 2016 (qui ouvre droit à adaptation des normes et à expérimentation) devrait se suffire à lui-même. Et de citer l’exemple du transfert de la compétence eau aux intercommunalités sans que soit prise en compte la spécificité montagne. Or il faut aujourd’hui dépenser "beaucoup d’énergie" pour corriger le tir. Autre exemple, l’Anem s’était offusquée il y a quelques jours de "l’absence d’attribution d’un siège aux représentants de la montagne au sein de la Conférence nationale des territoires".
Quatre décrets sur dix ont été publiés
Dix articles de cette loi Montagne II nécessitaient un décret d’application. A ce jour, quatre ont été publiés et "six sont à un niveau d’avancement très hétérogène", a pu constater Jean-Bernard Sempastous. Parmi eux, deux sont "au point mort". Et pas des moindres. Il s’agit du décret prévoyant des exonérations fiscales pour la collecte du lait en montagne (article 61 de la loi) et celui prévoyant des adaptations sur les normes de sécurité et d’hygiène concernant les refuges de montagne (article 84). Des retards dus notamment à la compétence de plusieurs ministères sur ces questions. Concernant la collecte du lait, Julien Denormandie, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, s'était engagé lors du dernier congrès de l’Anem de Forcalquier à ce que le décret soit pris avant la fin de l'année.
La gouvernance de la montagne (Conseil national de la montagne et comités de massifs) a été incontestablement "améliorée" par la loi, s'est réjouie Marie-Noëlle Battistel. Elle a cependant fait part de ses "inquiétudes" quant aux modes de désignation des membres. "La neutralité politique semble avoir cessé d’être" au sein du CNM, dont les cinq élus désignés au nom de l’Assemblée nationale sont "tous des députés de la majorité".
Les mesures de la loi en matière d’urbanisme sont le fruit d’un compromis trouvé en commission mixte paritaire. Le sujet avait occupé une large partie des débats au Parlement. Le décret concernant les unités touristiques nouvelles (UTN) est paru le 11 mai, soit dans le délai de six mois imparti et est "conforme à la loi", s’est félicitée Marie-Noëlle Battistel. Seulement, "il manque un document essentiel attendu depuis longtemps par les élus" : une circulaire sur l’urbanisme en montagne censée clarifier de nombreux points délicats. Cette circulaire est "fin prête", mais "toujours pas disponible".
Plan d'action "loup"
Autre sujet sensible : la question du loup. La loi n’a pas prévu de décret, mais elle envisage une approche différenciée selon les massifs (article 60). Or d’après Marie-Noëlle Battistel, cette différenciation n’est pas présente dans l’arrêté du 18 juillet 2017 qui fixe à 40 le nombre de prélèvements de loups cette année. La députée de l’Isère s’est par ailleurs inquiétée des orientations du nouveau plan d’action "loup" 2018-2022 qui va prochainement entrer en vigueur et qui fixe à 500 le nombre de loups d’ici à 2023 (contre 360 aujourd’hui) pour assurer la viabilité de l’espèce en France. "Ce chiffre pose surtout la question de la préservation des activités de pastoralisme." Des activités qui sont "également nécessaires au maintien de la biodiversité", a souligné Marie-Noëlle Battistel, rappelant aussi l’impact de la présence de patous et de chiens d’Anatolie sur les activités de randonnée. "Les attaques de randonneurs engagent la responsabilité des éleveurs et des élus", a-t-elle rappelé, expliquant que dans le Trièves, les élus ont été conduits à interdire certains sentiers de randonnée en proximité des alpages... Jean-Bernard Sempastous a élargi le sujet à la présence de l’ours dans les Pyrénées, moins pour les prédations directes qu’indirectes (chutes d’animaux). Selon lui, 154 bêtes ont ainsi péri en 2016 et "les éleveurs sont aujourd’hui désarmés". Le député des Hautes-Pyrénées a par ailleurs regretté qu’"aucune suite concrète" n’ait été donnée à l’article 16 de la loi prévoyant d’accorder des conditions tarifaires avantageuses en matière de transport pour l’organisation de voyages scolaires (classes vertes, classes de neige).
S’agissant des saisonniers, un décret attendu devrait être pris "très rapidement". Il s’agit d’étendre le régime de l’activité partielle aux stations gérées en régie, à titre expérimental pour une durée de trois ans (article 45).
Que ce soit enfin pour l'accessibilité des services publics (volet absent du projet de loi initial), de la présence médicale ou de la couverture numérique, il faudra un peu plus de temps pour évaluer l'efficacité de cette loi Montagne.