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Revitalisation rurale - ZRR : un régime à deux vitesses

Oubli ou souci d'économies : la carte des zones de revitalisation rurale n'a pas été révisée en 2011. De nombreuses communes qui ont intégré une intercommunalité ne seront donc pas éligibles aux exonérations alors que leurs voisines le sont. Pire, certaines communes qui auraient dû sortir du zonage en raison de leur regain démographique continuent, elles, de bénéficier des aides.

En installant son atelier d'ébéniste à Montréal, une commune de 1.200 habitants dans le Gers, début 2011, Ludovic Polosello pensait pouvoir bénéficier d'exonérations fiscales. En effet, Montréal a intégré la communauté de communes de la Ténarèze l'an dernier, ce qui aurait dû conduire à son classement en ZRR (zone de revitalisation rurale). Mais comme une dizaine d'artisans, médecins ou gérants de gîte et de résidence de tourisme, Ludovic Polosello a eu "la mauvaise surprise" de constater que la commune ne figurait pas sur la nouvelle carte. "L'affaire est redevenue d'actualité, car on nous demande aujourd'hui de faire notre déclaration de revenus. On en a discuté avec d'autres artisans et on est un peu dans l'interrogation", s'inquiète l'artisan, même s'il remplit aujourd'hui son carnet de commandes.
La carte des ZRR fait l'objet d'une actualisation annuelle. Pour pouvoir être éligibles, les communes doivent remplir certains critères : faible densité démographique, difficultés socio-économiques (déclin de la population, déclin de la population active, forte proportion d'emplois agricoles). La loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a ajouté une condition supplémentaire : faire partie d'une intercommunalité. Or l'arrêté du 28 décembre 2011 "constatant le classement de communes en ZRR" n'est en réalité qu'une coquille vide ! Aucun nouveau classement n'est intervenu. Ce problème touche donc toute la France et pas uniquement la communauté de la Ténarèze.

Double injustice

Incitées par la loi de 2005 ou bien pour anticiper la refonte de la carte intercommunale, de nombreuses communes ont rejoint des intercommunalités l'an dernier. Le sujet a été relayé par la députée du Gers Gisèle Biemouret. "Cet oubli pénalise fortement l'installation d'entreprises dans les territoires ruraux, qui plus est dans des communes qui ont fait le choix de rejoindre des EPCI", dénonce-t-elle dans une question écrite adressée au Premier ministre le 2 février, restée depuis sans réponse.
C'est Olivier Paul, directeur de la communauté de communes de la Ténarèze, qui a soulevé le problème. Selon lui, cette situation crée un "régime à deux vitesses" avec, au sein d'une même intercommunalité, des communes éligibles et d'autres qui ne le sont pas. "Quatre communes ont rejoint la communauté de la Ténarèze en 2011 et deux devraient le faire en 2012. On aura donc six communes sur vingt-sept qui ne seront pas éligibles au sein du même territoire", décrit le directeur. "De nombreuses entreprises qui comptaient sur ces exonérations m'ont appelé. Aujourd'hui, elles se trouvent pénalisées alors que leur commune remplit toutes les conditions pour être en ZRR", poursuit-il.
Mais l'injustice est double, car parmi les communes actuellement éligibles, certaines ne devraient plus l'être. En effet, au regard des derniers recensements, de nombreuses communes sont sur la voie d'un regain démographique. "Lorsque les services de la Datar ont fait une simulation, ils ont découvert que plus de mille communes étaient supposées sortir du zonage, indique-t-on à l'Association nationale des élus de montagne (Anem). Depuis, il est urgent d'attendre." D'autant que l'idée d'une réforme des ZRR est un vieux serpent de mer qui refait surface à intervalles réguliers. En plein débat sur la chasse aux niches fiscales, un rapport interministériel remis au gouvernement fin 2009 concluait à l'inefficacité des aides ZRR et recommandait leur suppression. En août dernier, l'Inspection générale des finances enfonçait le clou en parlant "d'effets d'aubaine"... La menace la plus sérieuse est venue au moment du débat sur le budget 2011. Une tentative de supprimer les exonérations pour les entreprises et organismes de plus de dix salariés a été écartée de justesse.

Statu quo

Sentant le risque se rapprocher, l'Anem a tenté en 2009 de mesurer l'impact réel des ZRR sur le développement territorial, sur la base d'un questionnaire envoyé à une quarantaine de départements. Les réponses ont toutes mis en évidence le rôle crucial des exonérations sur le secteur social et médicosocial. "La suppression de ce dispositif pour les établissements médicosociaux conduirait, d'une part à une augmentation substantielle du coût des prestations pour les usagers des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes [...]. Elle conduirait, d'autre part, à une hausse importante des dépenses d'aide sociale du département", indiquait ainsi le conseil général de la Haute-Loire dans sa réponse.
Face à ces arguments, le gouvernement a privilégié le statu quo. A la suite d'une réunion avec une trentaine de parlementaires, le ministre de l'Aménagement du territoire Michel Mercier s'est engagé en 2010 à maintenir le dispositif mais à condition de réviser le zonage. A l'été 2011, son successeur Bruno Le Maire a, à son tour, installé un groupe de travail piloté par la Datar. Mais après trois réunions, plus rien ! "Si on modifie les critères, on n'aboutira qu'à une chose, c'est à exclure des communes rurales de ces avantages fiscaux, ça leur ferait courir un risque énorme", avait fait valoir le ministre auditionné par les députés en octobre dernier.
Depuis, quelques modifications ont été apportées à la marge. Le député Michel Bouvard a fait adopter un amendement au budget 2012 qui revoit le critère démographique. Celui-ci pourra être désormais calculé sur l'ensemble de l'arrondissement ou du canton. Ce qui aurait pour effet d'atténuer les effets d'un regain démographique dans certaines vallées. Par ailleurs, le dispositif a été étendu en 2011 aux transmissions et reprises d’entreprises, pour une durée de huit ans. Pour sortir de l'impasse, le député Pierre Morel-A-L'Huissier remet en selle, dans un rapport remis au chef de l'Etat fin mars, l'idée de transformer les ZRR en véritables "zones franches rurales", à l'instar de leurs homologues des villes, les zones franches urbaines (ZFU), jugées plus attractives. Mais leur avenir réside dans l'issue des prochaines élections. "Les ZRR sont très importantes pour les communes de montagne. On parle de 300 à 400 millions d'euros, ce ne sont pas des sommes énormes au regard des enjeux. Nous sommes très inquiets car on ne sait pas ce qui va se passer après les élections", insiste-t-on à l'Anem.
L'affaire relance le débat sur l'opposition entre villes et campagnes. Pour Olivier Paul, elle crée une "dissymétrie" avec les ZFU. "Il est certain que si l'on avait supprimé des exonérations en zones franches urbaines, cela ne se serait pas passé comme cela", souligne-t-il, alors que les ZFU viennent d'être prolongées pour trois ans.