Finances publiques - La chasse aux niches touchera-t-elle la fiscalité locale ?
Les ministres Valérie Pécresse et François Baroin présentaient ce 31 août en Conseil des ministres - puis devant la commission des finances de l'Assemblée - la lettre rectificative au projet de collectif budgétaire 2011. Il s'agit de la demi-douzaine de mesures applicables dès cette année parmi celles dévoilées la semaine dernière par le Premier ministre. Députés et sénateurs sont invités à les voter en séance la semaine prochaine : modification du régime d'abattement des plus-values immobilières et de l'impôt sur les sociétés, augmentation de la TVA sur les parcs à thème, taxe sur les mutuelles, hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine... Ce mercredi à l'Assemblée, le débat a largement débordé sur l'ensemble du plan de rigueur. Le tout avec, en arrière-plan, le fameux rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les niches fiscales et sociales publié deux jours plus tôt par Bercy. Un rapport de 6.000 pages qui, selon certains, prépare le terrain à de nouveaux coups de rabot, même si François Baroin souligne que le gouvernement n'est "pas lié par toutes ses conclusions".
Commandé en avril 2010, l'analyse porte sur 538 mesures fiscales et sociales, qui représentent près de 104 milliards d'euros. Emploi, logement, politique de la ville, écologie, social, outre-mer... dans tous ces domaines, les niches fiscales et sociales sont examinées à l'aune de leurs objectifs, de leur coût et... de leurs résultats. Pour, au final, juger que près de 53 milliards d'euros de dépenses sont totalement inefficaces ou peu efficientes. Parmi les nombreux dispositifs épinglés : l'abattement sur le montant des pensions et des retraites pour l'impôt sur le revenu, certaines aides relatives aux services à la personne, celles sur l'outre-mer et la Corse, la défiscalisation des heures supplémentaires, certaines mesures fiscales "vertes"... Très globalement, les inspecteurs des finances estiment que les niches fiscales et sociales ne constituent pas toujours les dispositifs les mieux adaptés à un objectif de redistribution. Et donc que le maquis des exonérations en tous genres pourrait être largement élagué.
Le secteur local est évidemment concerné par une partie de ces analyses. Y compris le paysage de la fiscalité locale. La mission relève en effet que les 45 exonérations de fiscalité directe locale qu'elle a examinées, qui représentent en 2011 un coût de 1,645 milliard d'euros pour le budget de l'Etat, sont très peu efficientes.
Fiscalité locale : peu efficace... mais pas très cher
Sur une échelle de notes allant de 0 à 3 (0 étant la moins bonne note et 3 la meilleure), près de la moitié des dépenses liées aux impôts locaux obtiennent la note 0. La grosse majorité des autres obtiennent la note 1, quelques-unes seulement ayant la note 2. Résultat : en nombre de mesures inefficaces, les dépenses de l'Etat liées à la fiscalité directe locale se classent à l'avant-dernière place, juste devant les dépenses liées à la taxe intérieure de consommation des produits pétroliers. A l'opposé, les dépenses qui présentent le plus grand nombre de mesures efficaces sont celles qui concernent la TVA, l'impôt sur la fortune et les mesures communes à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés.
Cependant, lorsqu'on rapporte les dépenses liées à la fiscalité directe locale à leur enjeu financier, le tableau est beaucoup moins sombre. En effet, toutes les mesures considérées comme les moins efficaces sont relativement peu onéreuses pour le budget de l'Etat. De plus, les exonérations de taxe d'habitation et de taxe sur le foncier bâti au profit des personnes âgées de plus de 60 ans de condition modeste, représentent le plus gros du coût des dépenses fiscales liées aux impôts locaux. Et ces dépenses obtiennent le score de 1 – qui certes est peu glorieux, mais qui n'est pas nul.
En 2011, ces mesures d'exonération coûtent 1,32 milliard d'euros au budget de l'Etat (1 milliard pour l'exonération de taxe d'habitation et 319 millions d'euros pour l'exonération et le dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties). En effet, les exonérations sont à la charge de l'Etat, qui compense leur impact sur le budget des collectivités locales. De toutes les niches fiscales en faveur des retraités et des personnes âgées, c'est la seconde niche la plus coûteuse.
A son égard, le comité n'est pas tendre (voir le rapport de l'annexe A). Définie par un critère d'âge, cette dépense soulève un "problème d'équité intergénérationnelle". Pire, elle ne paraît plus justifiée. Ces dispositifs avaient, en effet, été créés à la fin des années 1960, en raison du faible niveau de revenu des personnes âgées. Or, aujourd'hui, le niveau de vie des retraités est équivalent à celui des actifs. "Le recours à la dépense budgétaire serait plus approprié pour résoudre des facteurs de vulnérabilité spécifiques", considère le comité, qui cite en exemple l'APA ou la prestation du minimum vieillesse.
L'Etat aura-t-il intérêt à supprimer l'exonération de taxe d'habitation bénéficiant aux personnes âgées de condition modeste ? En fin de compte, peut-être pas. Car, dans ce cas, les bénéficiaires de la mesure deviendraient éligibles au plafonnement de taxe d'habitation en fonction du revenu fiscal de référence, dégrèvement qui est entièrement compensé par l'Etat. Il en coûterait "quelques millions d'euros" à celui-ci.
"Effet d'aubaine"
Les experts de l'Etat rendent compte dans l'annexe J de leur analyse des divers dispositifs fiscaux liés à la fiscalité directe locale. S'agissant des dépenses fiscales en faveur du logement social, on relèvera le bon score (2) de l'exonération de plein droit de taxe foncière sur les propriétés bâties. L'IGF salue un dispositif "largement connu et utilisé par les bailleurs sociaux", mais dont cependant "l'impact est difficile à estimer".
Concernant les niches fiscales destinées aux territoires défavorisés classés en zones franches urbaines ou en zone de revitalisation rurale, les exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties apparaissent trop peu significatives pour être véritablement efficaces. Quant aux exonérations de taxe professionnelle, qui montraient "des effets positifs sur l'investissement, l'emploi et l'activité économique", elles ont disparu du fait de la réforme de la fiscalité locale.
Pour les exonérations de taxe sur le foncier non-bâti en faveur des zones humides et des espaces naturels sensibles, elles sont peu ou pas utilisées et sont donc "inadaptées".
Toutes les mesures en faveur du secteur agricole sont loin d'être efficaces, mais les plus coûteuses ne sont pas trop égratignées. Par exemple, l'exonération de 20% de la taxe foncière sur les propriétés non-bâties des exploitants agricoles, qui allège les charges du secteur de 175 millions d'euros en 2011, n'est pas critiquée.
Quelles suites le gouvernement donnera-t-il au rapport ? S'il a d'ores et déjà affirmé qu'il ne toucherait pas à certaines mesures en faveur du pouvoir d'achat des retraités ou de l'emploi à domicile, rien ne dit qu'il ne se saisira pas de telle ou telle mesure d'ici la présentation dans la seconde quinzaine du mois de septembre du projet de loi de finances pour 2012, voire lors du débat parlementaire.
Thomas Beurey / Projets publics
QUELQUES autres champs passés au crible par l'IGF
Le logement
Ville et logement est la mission du budget de l'Etat à laquelle est rattaché le plus grand nombre de dépenses fiscales : pas moins de 56 dispositifs pour un enjeu financier total de 12 milliards d'euros. Ainsi, sur cette sphère de l'action publique, l'Etat intervient beaucoup plus fréquemment par des aides fiscales (12 milliards) que par des aides directes (7 milliards).
Sur le logement, certains dispositifs s'en sortent bien, d'autres beaucoup moins. Côté premiers de la classe, on citera le nouveau prêt à taux zéro (PTZ +). Il est, selon l'IGF, "très efficient" pour déclencher l'achat de biens immobiliers y compris pour les ménages modestes. Rien à voir avec une autre mesure en faveur de l'accession, le crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunts de la loi Tepa. Cette dépense est condamnée sans appel par les inspecteurs des finances qui saluent la suppression au 1er janvier 2011, de cet "effet d'aubaine" en lui attribuant un zéro pointé. Une mesure qui coûte, en 2011, 1,9 milliard d'euros. En effet, bien que supprimée, elle continue à peser sur les finances publiques le temps de son extinction.
Le jugement est plus mesuré sur les dépenses fiscales en faveur de l'investissement locatif (voir rapport p.78 à 80). Les dix niches étudiées, dont le poids est de l'ordre d'un milliard d'euros en 2011, sont saluées comme "permettant un réel soutien conjoncturel à l'investissement et à l'activité du bâtiment". Cependant, ces aides ne permettent pas de bien répondre aux besoins en logement dans les grandes agglomérations et sur le littoral. Le zonage Scellier a certes constitué un progrès pour les inspecteurs, mais il reste insuffisant. Le rapport rappelle également la menace juridique qui plane sur le Scellier : la Commission européenne a en effet condamné il y a peu les dispositifs Robien/ Borloo avec des arguments qui pourraient s'appliquer au Scellier. Enfin, les inspecteurs soulignent que ces aides fiscales restent des outils utilisés principalement par les classes aisées.
Sans surprise, l'IGF condamne également les aides au logement en outre-mer. Ce "sont plus des produits de défiscalisation pour les contribuables que des instruments de pilotage de la politique du logement outre-mer". Seule la défiscalisation en faveur des logements sociaux ultramarins, trouve grâce aux yeux de Bercy : "même si elles sont perfectibles", ces mesures pour les HLM outre-mer "permettent la relance de l'effort de construction en l'absence de crédits budgétaires suffisants".
Les services à la personne
Le gouvernement assure qu'il va préserver les niches fiscales sur les services à la personne, dont l'efficacité est pourtant épinglée par le rapport de l'IGF. "La niche fiscale sur les emplois à domicile, derrière, il y a des centaines de milliers d'emplois. Nous ne la supprimerons pas", a ainsi déclaré la ministre du Budget, Valérie Pécresse. Le secrétaire d'Etat chargé du Commerce et des PME, Frédéric Lefebvre, a de même souligné que ces exonérations fiscales et de charges sociales "ont fortement dynamisé, depuis 2006, le développement de ce secteur", où "300.000 emplois nouveaux ont été créés" depuis 2005, et "correspondent à une demande sociale forte, permettant d'apporter une réponse à la fois au vieillissement de la population, au dynamisme de notre natalité et au développement de nouveaux modes de vie".
L'IGF, qui a recensé neuf dépenses fiscales et cinq niches sociales dans ce secteur, parle d'une "stratification des aides", d'un ensemble répondant à "des logiques et finalités diverses" : aide aux familles en difficulté, lutte contre le travail au noir, création d'emploi… Le tout pour un montant de plus de 6 milliards d'euros en 2009, soit deux fois plus que six ans plus tôt. Certes, l'impact sur "l'emploi déclaré" a été réel. Mais sachant qu'il s'agit en partie de régularisations de travail au noir, l'impact sur "l'emploi effectif" a été moindre. Le rapport relève aussi que le champ des services éligibles aux diverses aides s'est élargi à "des activités ne correspondant pas à des besoins sociaux spécifiques". D'où une préconisation : réduire ce périmètre. Autre grief : la nature inégalitaire de dépenses fiscales qui bénéficient en fait aux 20% de foyers ayant le niveau de vie le plus élevé (la consommation de services augmente fortement avec le revenu…). L'IGF évoque aussi un "effet d'aubaine" pour les exonérations liées au Cesu préfinancé par les entreprises (celui-ci n'aurait pas réellement d'effet incitatif pour les salariés). S'agissant plus spécifiquement des personnes âgées et/ou dépendantes, le rapport estime que l'exonération dont bénéficient certaines personnes de plus de 70 ans n'est pas justifiée dans la mesure où "l'âge n'est pas un critère de dépendance en soit". Et surtout, il constate que les aides fiscales "conduisent parfois à neutraliser en large partie la dégressivité des aides plus spécifiques existantes", à savoir principalement l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Et y voit, donc, un bel exemple de "contradiction"…
Territoires
50% des mesures évaluées correspondant aux missions budgétaires politiques territoriales, à l'outre-mer et au travail ont été considérées comme "inefficaces". Un résultat qui tient en partie, souligne l'IGF, aux mauvais scores obtenus par les dispositifs dérogatoires mis en place en Corse et aux zones de revitalisation rurale (ZRR).
Concernant les exonérations de cotisations sociales prévues depuis 2005 pour les fondations, associations et organismes d'intérêt général oeuvrant en ZRR, elles donnent lieu à des "effets d'aubaine", estime l'inspection. De fait, le dispositif rate sa cible, comme l'avait déjà montré un rapport interministériel remis au gouvernement fin 2009. Chiffré à 170 millions d'euros en 2011, il a bénéficié à des organismes de taille importante : hôpitaux, maisons de retraite... Et il se concentre dans un nombre limité de départements (Lozère, Lot, Corrèze, Aveyron, Creuse) qui ont perçu 41% des exonérations. "Si les avantages étaient plus fréquemment conditionnés, ils seraient probablement plus efficients", conclut le rapport. Le gouvernement avait déjà tenté de s'attaquer à ces exonérations dans le budget 2011, en les limitant aux structures de moins de 10 salariés mais, fait rare, il s'était vu désavoué par les députés.
L'IFG constate en revanche que les zones franches urbaines (ZFU), qui relèvent elles de la mission Ville et logement, obtiennent de meilleurs résultats, alors que la décision de les reconduire après 2011 n'a toujours pas été prise.
Critique avec la Corse, l'IGF ne l'est pas moins à l'égard de toutes les mesures mises en place outre-mer : 55 dépenses fiscales et sociales dont le montant s'élève à plus de 4 milliards d'euros par an. L'IGF dénonce une "addition de mesures éclatées" et conclut à une absence de réelle politique publique". Concernant les mesures de défiscalisation des entreprises, l'objectif de maintien ou de création d'emplois "n'est atteint qu'à la marge". Quant aux dépenses liées au logement, elles sont "peu efficaces et peu efficientes".
Entreprises
Supprimer le CIR (crédit impôt recherche) aurait un effet négatif sur l'activité et l'emploi, juge l'IGF, pour qui le dispositif a montré son efficacité pour la recherche et le développement des entreprises. Ce qui vient conforter la décision prise par le gouvernement de conforter le dispositif. Le CIR, qui permet aux entreprises de déduire 30% de leur dépense en R&D, s'est élevé à 4,3 milliards. La réforme de 2008 "pourrait engendrer d'ici à 15 ans une hausse du PIB de 0,3 point", estiment les rapporteurs.
L'IGF est en revanche beaucoup plus nuancée concernant les dépenses relatives au capital-investissement dans les PME. Elle relève un paradoxe : "Celui d'une architecture à la fois très favorable (12,7 milliards d'euros de fonds levés en 2008 par les fonds d'investissement, plaçant la France juste derrière le Royaume-Uni au niveau européen) mais un manque de lisibilité et d'efficacité."
Elus locaux
Une partie des maires des villes de plus de 20.000 habitants et de leurs adjoints ayant délégation de signature, de même qu'une partie des présidents de conseils généraux et régionaux et de leurs vice-présidents ayant délégation de signature, ne sont pas affiliés à la Sécurité sociale et donc ne cotisent pas. Ce sont ceux qui n'ont pas cessé toute activité professionnelle par ailleurs, ou ceux qui relèvent d'un régime obligatoire de Sécurité sociale. De plus, les conseillers généraux et régionaux n'acquittent pas de cotisations sur les sommes perçues au titre de leur mandat. Outre qu'elle génère une perte de recettes de 140 millions d'euros, la situation est source d'iniquités entre les élus et les salariés, considère l'IGF.
H.L. / C.M. / M.T.