Congrès des maires – Vie chère : les élus ultramarins demandent une approche globale et le maintien de l'octoi de mer

Comme chaque année, les Rencontres des élus d'outre-mer se sont tenues en amont du Congrès des maires, le 18 novembre 2024. Très agacés par le manque de considération à leur égard et face à des crises qui se multiplient, ils ont plaidé pour la mise en place d'une stratégie globale pour lutter contre la vie chère, qui puisse fonctionner au-delà des produits alimentaires, et pour le maintien de l'octroi de mer, qui représente en moyenne 35% de leurs ressources.

"Parfois il faut se révolter pour être entendus." A l'image de Madi Madi Souf, maire de Pamandzi, président de l'Association des maires de Mayotte, les élus ultramarins, réunis le 18 novembre au Palais des congrès d'Issy-les-Moulineaux, en amont du Congrès annuel de l'Association des maires de France (AMF), étaient très remontés face à une situation économique et sociale qui ne s'améliore pas, voire éruptive dans certains territoires comme la Martinique. Au-delà des crises (insécurité, immigration, sanitaire), les élus ont abordé la question de la vie chère lors d'une des tables rondes. Les écarts de prix entre les territoires d'outre-mer et l'hexagone sont énormes. D'après une étude de l'Insee publiée en 2023, ils étaient en 2022 plus élevés de 9% à La Réunion, 16% en Guadeloupe, jusqu'à plus de 40% pour les produits alimentaires. Et ces écarts ne font qu'augmenter au fil des années, surtout pour les produits alimentaires, les écarts étant plus faibles pour les services, qui restent toutefois plus chers.

"Une volonté politique à trouver"

Pour tenter de trouver des réponses, une étude de lutte contre la vie chère est actuellement menée par la délégation sénatoriale aux outre-mer (voir notre article du 15 novembre). Elle fait suite à de nombreux travaux, le dernier ayant été mené par le Conseil économique, social et environnemental (voir notre article du 23 octobre). "Il y a une méthode, que je conteste et une volonté politique à trouver", a signalé Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre. Côté méthode, un protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère a en effet été signé en octobre 2024, entre la collectivité territoriale de la Martinique, les parlementaires, les socioprofessionnels et les représentants du monde économique. Dans ce territoire, un bouclier qualité-prix avait déjà été mis en place, dans le cadre de la loi Lurel de 2012, à la suite d'un grand mouvement de protestation, mais sans effet. Objectif du nouveau protocole : faire baisser les prix des produits alimentaires, augmenter la transparence et renforcer les contrôles dans la constitution des prix de l'ensemble des produits consommés en Martinique, et doper la production locale. Le protocole est censé amener à une réduction de 20% en moyenne des prix de vente actuellement pratiqués sur une liste de 54 familles de produits correspondant aux produits alimentaires les plus consommés en Martinique. Trois ans d'expérimentation sont prévus dans le territoire. Mais pour le sénateur de la Guadeloupe, ces "modérations négociées" ne vont pas être durables et les prix réaugmenteront d'ici six mois. Le sénateur critique aussi le manque de vision d'ensemble, la question n'étant pas abordée "de manière globale". "Il y a la question de la vie chère dans l'alimentation, mais aussi dans l'énergie, les soins, l'automobile, a-t-il énuméré, il faut un texte global !"

"Les maires font, même quand ils n'ont pas les compétences ni l'argent"

Face à ce manque de stratégie globale, les maires tentent de répondre aux besoins du quotidien. "Quand les autres n'ont plus le courage, les maires font, même quand ils n'ont pas les compétences, ni l'argent, a ainsi affirmé Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, mais cela ne règle rien." L'ancienne ministre a ainsi mis en place la cantine à un euro pour certaines familles, afin de s'assurer que les enfants concernés mangent au moins une fois par jour. Elle regrette le manque de considération pour les maires d'outre-mer, qui ne sont "jamais invités individuellement" pour discuter des problématiques de leur territoire. "Il serait temps qu'on nous associe sur des sujets aussi importants que la vie chère" s'est-elle exclamée.

"Les négociations permettent d'enlever la soupape de la cocotte, a pour sa part estimé Didier Laguerre, maire de Fort-de-France (Martinique), mais le système économique ultralibéral n'est pas adapté à nos territoires. A l'heure actuelle, il est plus rentable de faire venir des produits du Loir-et-Cher que de favoriser la production locale !" Tous ont critiqué le système monopolistique en place. "Nous sommes toujours dans des colonies, avec un monopole des békés", a même affirmé un des participants, largement applaudi. Auditionné le 14 novembre par la délégation sénatoriale (voir notre article du 15 novembre 2024), Christophe Girardier, président de Bolonyocte Consulting, avait tenu à peu près le même discours, mettant en cause le "bon vieux système de l'économie de comptoir", favorisant les groupes békés. "On est face à la misère, a assuré Didier Laguerre, et pas seulement à des difficultés à se procurer des produits alimentaires."

"Ne touchons pas à notre octroi de mer !"

La question de l'octroi de mer, que le gouvernement souhaite réformer, a également été abordée lors d'une table ronde dédiée. "Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage, c'est ce qu'il se passe avec l'octroi de mer", a expliqué Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) et vice-présidente de l'Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM). Un récent rapport de la Cour des comptes (voir notre article du 5 mars 2024) prône une réforme en profondeur de cette taxe sur les produits importés, appliquée dans les départements de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion, principale ressource des communes ultramarines. Le gouvernement, qui souhaitait s'y atteler dès le projet de loi de finances pour 2025, a décidé de prendre un peu de temps. La refonte n'aura pas lieu en 2025, a en effet assuré le ministre des Outre-mer, François-Noël Buffet, présent lors des Rencontres des élus d'outre-mer. Les élus ultramarins sont très vigilants, cet octroi de mer représentant en moyenne 35% de leurs ressources, voire davantage dans certains territoires. Ils souhaitent démontrer le peu d'impact de la taxe sur les prix des produits. Une étude du cabinet Action publique conseil, commandée par l’ACCD’OM et cofinancée par l’AMF, permet d'en calculer le poids. D'après ces calculs, l'octroi de mer ne représente que 4,4% du prix payé par l'importateur et 7% du prix final. "Vouloir dire que l'octroi de mer augmente les prix des produits, c'est vouloir enfumer nos élus, a indiqué Serge Hoareau, maire de la Petite-Ile, président de l'Association des maires de La Réunion, pour qui la taxe représente 8 millions d'euros de recettes sur un budget de 20 millions d'euros, il va falloir faire preuve de pédagogie pour montrer comment se constituent réellement les prix."

Si la menace d'une refonte s'éloigne un peu, elle reste présente. "Ne touchons pas à notre octroi de mer, a supplié Georges Patient, sénateur de Guyane, ce serait un véritable suicide financier."