Sophie Charles - Guyane : "Il faut passer par la simplification des procédures"
Augmentation des actes criminels, développement rendu difficile par manque d'attractivité, multiplication des squats… La commune de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) fait face à de nombreuses crises. Sa maire, Sophie Charles, a obtenu des équipes de police en renfort. Mais le compte n'y est pas pour une ville censée abriter 50.000 habitants qui en compte en réalité quelque 80.000.
Localtis : Braquages, meurtres, tirs sur les gendarmes… Votre ville fait face à une violence très forte. Vous avez demandé au Premier ministre du renfort et des solutions pérennes. Michel Barnier vous a répondu, proposant l'envoi d'un escadron. Que pensez-vous de ses premiers éléments de réponse pour faire face à cette crise sécuritaire ?
Sophie Charles : J'ai fait plusieurs demandes depuis le début de l'année. J'ai envoyé trois courriers, l'un au ministère de l'Intérieur, l'autre au président de la République et un autre au ministère des Outre-mer. Fin octobre, un escadron de 72 gendarmes de la garde républicaine est arrivé. Pour nous, c'est une première réponse. Mais notre ville, qui compte officiellement 50.000 habitants, en a en fait plus de 80.000, les personnes dans les zones informelles n'étant pas comptabilisées par l'Insee. C'est ce différentiel qui nous pose problème. Nous avions demandé un commissariat pour la zone urbaine et un contrôle sur le fleuve Maroni car tous les trafics, d'armes, de drogues, de migrants, viennent de là. C'est la porte d'entrée de tout ce qui est illicite. L'idée n'est pas de mettre un gendarme à chaque mètre carré mais il existe des moyens modernes, comme des drones, pour contrôler la frontière. On comptabilise plus de mille traversées par jour en face de Saint-Laurent-du-Maroni. Il y a eu la création d'une brigade fluviale en avril à la suite de nos demandes mais elle manque de personnel. Les postes restent vacants. Il faut peut-être créer un concours local pour avoir davantage de candidats.
Michel Barnier refuse d'abandonner le poste de contrôle routier à l'entrée de votre ville que vous considérez inefficace car il est censé aussi protéger le reste de la Guyane, qu'en pensez-vous ?
Aujourd'hui, il y a seize gendarmes bloqués sur ce poste de contrôle. On devrait y mettre des policiers et des douaniers et libérer les gendarmes pour le reste de la ville. Plus globalement, on a vu arriver des renforts depuis le début de l'année, avec des patrouilles à pied qui se font aux environs de 18h en ville. Ce qui a permis une baisse de la délinquance et surtout de la criminalité. Les patrouilles arrivent à arrêter des bandes armées de jeunes, des personnes qui sont armées, qui braquent et tuent. En réaction, la population s'autocensure. Je n'ai pas instauré de couvre-feu mais à 21h30 il n'y a pratiquement plus personne dehors. C'est dommage car c'est un manque à gagner pour les restaurateurs.
Au-delà des aspects sécuritaires, la Guyane, où 53% de la population vit sous le seuil de pauvreté, souffre d'une crise économique, avec une explosion des demandes sociales, des salaires insuffisants et une précarité de l'emploi. Quelle est la situation dans votre ville et comment souhaitez-vous vous y attaquer ?
Nous avons 40% de chômage et une véritable augmentation de la paupérisation. Au centre communal d'action sociale, les demandes sont passées de 3.000 en 2022 à 10.000 en 2023. Nous n'avons pas encore le chiffre pour 2024, mais cela ne va pas diminuer. Aujourd'hui, il y a beaucoup de petits boulots mais ce n'est pas suffisant pour le développement d'une grande ville comme la nôtre.
Il faut que les entreprises puissent venir s'installer pour créer de l'activité économique et des emplois. Il y a quelques semaines, une concession automobile a ainsi été créée dans notre territoire avec quinze emplois à la clé. Mais avec une démographie en forte croissance - plus de 3.000 naissances chaque année -, il faut améliorer les aspects sécurité et logements. Nous avons un grand déficit de logements notamment. Or, quand une entreprise vient, elle a besoin de terrains, de logements. Nous sommes inscrits dans le Nouveau Programme national de renouvellement urbain (NPNRU).
Côté commerce, nous sommes bénéficiaires du programme Action cœur de ville (ACV). Nous travaillons dans ce cadre sur la devanture et la réfection des bâtiments. Cela avance bien. Nous avons deux zones d'activités économiques qui ont été créées et qui commencent à fonctionner, avec des entreprises du BTP et des entreprises de services liées au médical ou au paramédical. Il s'agit d'améliorer l'attractivité du territoire.
Et en matière de transports, quelle est la situation ? Quels sont les besoins ?
La ville n'a pas de transport urbain. Nous sommes en train de mettre en place trois lignes de bus pour desservir la ville. Nous prévoyons aussi des mobilités douces avec des pistes cyclables notamment. Nous essayons d'agir sur plusieurs zones en même temps. Et pour cela, nous sollicitons les financements envisageables, la Banque des Territoires pour certaines études, les fonds européens… On essaie de trouver des financements mais ce n'est pas simple. Et face aux baisses prévues dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, nous sommes très inquiets. Si on perd de la dotation c'est autant qu'on ne mettra pas sur la table pour des projets d'investissement auxquels on participe. Je suis inquiète pour les trois ans à venir. Les questions qui se posent sur l'octroi de mer nous inquiètent aussi. C'est pratiquement 50% de nos recettes de fonctionnement. Nous avons beaucoup d'incertitudes.
Côté logement, vous demandez la destruction des quartiers informels, environ 60% des logements, qui sont aussi habités par des familles pauvres. La préfecture a donné son accord pour la démolition des bâtiments dans des squats, des foyers de délinquance et des lieux de stockage d'armes. Qu'en est-il ?
Il est important que ces squats, qui servent de repli à des brigands, soient détruits. Il n'est pas question de ne pas respecter la loi et nous effectuons les enquêtes sociales nécessaires. Mais les personnes en situation irrégulière doivent rentrer chez elles. La police doit agir sur ce sujet, chacun a son rôle à jouer. Mais comme elle est en sous-effectif, elle a du mal. J'ai transmis les informations pour la démolition d'un squat qui se situe entre plusieurs écoles. C'est à la discrétion du préfet qui doit gérer cette question. Il est d'accord, j''attends de voir.
Les mesures envisagées dans le cadre du comité interministériel des villes sont-elles suffisantes pour votre commune ?
Il y a des choses qui peuvent être intéressantes mais on a tellement de spécificités que c'est difficile de rentrer dans le droit commun. Sur une commune dans l'hexagone, vous avez par exemple le train. Aujourd'hui, dans notre ville, nous sommes obligés de prendre la voiture. Il y a aussi des zones qui n'ont pas l'eau ou l'assainissement. Partout on a des retards structurels. J'ai par exemple une seule piscine municipale ! Tout cela n'est pas facile à combler par des infrastructures. En métropole, on ferme des classes scolaires. Depuis 2020, j'ai quant à moi ouvert 83 classes. Il y a à Saint-Laurent-du-Maroni 11.000 enfants à l'école maternelle et élémentaire, si on y ajoute les collégiens et lycéens, on arrive à 22.000 élèves, c'est énorme ! Outre le coût d'investissement, il y a le coût de fonctionnement. Les mesures envisagées dans le comité peuvent convenir à certaines communes mais elles ne sont pas adaptées pour des territoires comme le mien.
Ce que je souhaite surtout, c'est de nous permettre de faire autrement. Les normes françaises et européennes parfois ne nous conviennent pas. Aujourd'hui par exemple, notre territoire est très impacté par le réchauffement climatique. Une simplification des procédures, pour la construction des bâtiments, comme par exemple en matière de fouilles archéologiques, nous permettrait d'aller plus vite et de commencer les travaux avant les périodes de pluie. La simplification des procédures avait été évoquée dans le cadre du comité interministériel des outre-mer (Ciom), Il faut qu'on en passe par là !