Octroi de mer : la Cour des comptes prône "une réforme en profondeur"
Dans un rapport, la Cour des comptes juge que cette taxe, dont le produit est essentiel aux communes ultramarines, est "à bout de souffle". N'excluant pas la suppression de ce dispositif d'ici 2027, la Rue Cambon apporte de l'eau au moulin du gouvernement, lequel a décidé de faire évoluer l'octroi de mer au nom de l'amélioration du pouvoir d'achat en outre-mer.
L'octroi de mer, qui est une taxe sur les produits importés spécifique à l'outre-mer "apparaît à bout de souffle", juge la Cour des comptes dans un rapport paru ce 5 mars. Alors que le gouvernement a décidé de réformer ce très ancien système fiscal au plus tard dans le projet de loi de finances pour 2025, les magistrats estiment que ce dernier "est particulièrement complexe et opaque" et qu'il "poursuit trop d'objectifs simultanément".
En progression de 4,64% en moyenne annuelle à partir de 2014, l'octroi de mer a atteint 1,64 milliard d'euros en 2022, représentant en moyenne 32% des produits de gestion des communes des départements et régions d’outre-mer. Les communes perçoivent les trois quarts du produit de la taxe, le reste revenant aux régions. Mais ce sont ces dernières qui déterminent les taux et les exonérations s'appliquant à la taxe. L'autonomie des communes à l'égard de l'octroi de mer est "quasi inexistante", souligne la Cour. La plupart des élus sont pourtant "profondément attachés à la taxe". Les magistrats critiquent aussi l'absence de prévisibilité et l'insuffisante transparence (sur les taux et les exonérations) de cette dernière.
Enjeu de pouvoir d'achat
"La quasi-totalité" des recettes de l’octroi de mer est affectée à la section de fonctionnement des communes, celles qui alimentent les recettes d'investissement étant marginales. Selon la Cour, cette situation est "porteuse (…) d’un risque de désincitation à la recherche d’économies de fonctionnement ou à la maîtrise des dépenses publiques".
Les effets de l'octroi de mer sur la compétitivité des entreprises ultramarines sont "le plus souvent non avérés", ajoute la Cour. Peu d'entreprises auraient été créées grâce à la taxe.
Par ailleurs, l'octroi de mer contribue à la cherté de la vie dans les outre-mer (en augmentant les prix dans une fourchette de 4 à 10%), mais il n'en est pas le seul facteur explicatif, selon la Cour. Qui pointe d'autres motifs, tels que le coût du fret et des assurances, les marges des importateurs et distributeurs, ou encore "les rémunérations complémentaires des agents publics".
Autre difficulté pointée par la Cour des comptes : les services publics ne sont pas exonérés de l’octroi de mer, certaines missions de l’État voyant leur coût renchéri.
Financer davantage l'investissement local
Le statu quo n'est pas possible, estime la Cour. Qui plaide pour une réforme "à court terme" de l'octroi de mer sur la base de 12 recommandations. Dont l'une concerne l'affectation des recettes de la taxe aux collectivités : il convient, estime la Rue Cambon, d'augmenter l'affectation de ces dernières à l’investissement, "en plafonnant la hausse des recettes de l’octroi de mer consacrées au fonctionnement des collectivités". L'institution souhaite que la mesure soit mise en œuvre "d'ici 2025", en concertation avec les collectivités. Elle préconise par ailleurs que l'octroi de mer soit plafonné "durablement" pour des produits "de première nécessité" et que les biens importés pour la mise en œuvre des "missions régaliennes de l'État" et le système de santé publique bénéficient d'une exonération obligatoire.
Ces recommandations font écho à la décision prise en juillet par le gouvernement - dans le cadre du comité interministériel de l’outre-mer - d'engager une réforme de l'octroi de mer. L'objectif étant de parvenir à une baisse du prix des produits de grande consommation. La réforme, dont les modalités seront inscrites au plus tard dans le projet de loi de finances pour 2025, sera progressivement mise en œuvre jusque fin 2027. Elle "garantira le même niveau de recettes des collectivités locales", promet l'exécutif.
"Scénario de rupture"
Mais "à plus long terme, il paraît souhaitable de ne pas éluder un scénario 'de rupture' via une suppression du dispositif d’ici 2027 et la substitution d’une ressource alternative", complète la Cour des comptes. Qui envisage le remplacement de l'octroi de mer par la TVA (en Guyane et à Mayotte), ou par une augmentation du taux normal de la TVA (Guadeloupe, La Réunion, Martinique), dans le cadre d'une TVA additionnelle "régionale". La recette fiscale correspondante serait affectée aux communes ultramarines via une dotation et aux régions par l'élargissement d'une taxe sur le tabac et l'alcool. Mais la Cour n'exclut pas "une option moins ambitieuse", à savoir l’instauration d’une TVA additionnelle pour les régions et le maintien de l’octroi de mer pour les seules communes.
L'existence de l'octroi de mer est conditionnée régulièrement à une décision des instances européennes, la prochaine devant intervenir en 2027.
Notons que le comité des finances locales (CFL) a décidé de se pencher dans les mois à venir sur le "maintien, la modernisation et la transparence" de l'octroi de mer (voir notre article du 5 décembre 2023). Nul doute qu'il réservera un bon accueil aux souhaits exprimés par les élus ultra-marins de conserver la taxe. Souhaits qui les amènent à critiquer vertement les recommandations de la Cour des comptes, dans leurs réponses à celle-ci.