L’outre-mer, objet de toutes les attentions
Alors que les prix flambent outre-mer, et notamment ceux des transports, le gouvernement proposera une réforme de l’octroi de mer ainsi qu’une réforme des dispositifs de Ladom lors du comité interministériel des outre-mer qui devrait se tenir le 3 juillet prochain. L’Assemblée nationale vient, elle, de voter en première lecture le renforcement du principe de continuité territoriale et les députés européens invitent Commission européenne et États membres à mieux prendre en compte les régions ultrapériphériques.
L’outre-mer est décidément l’objet de toutes les attentions ces derniers jours, et sur tous les fronts.
Le gouvernement veut réformer "en profondeur" l’octroi de mer…
En France, l’Assemblée nationale a constitué en mars dernier une commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie en outre-mer. Lors de son audition par cette dernière le 8 juin, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a indiqué qu’il y allait présenter une "réforme en profondeur de l’octroi de mer", cette taxe sur les produits importés outre-mer régulièrement remise en cause, et dont le montant total serait de 1,47 milliard d’euros en 2022. "Je ne suis pas favorable à une suppression, mais je ne suis pas favorable non plus au statu quo", a-t-il précisé. Il a fait part de son intention de procéder "produit par produit", en conservant "un dispositif de protection tarifaire […] pour les produits qui sont réalisés sur ces territoires et lever en revanche toutes les taxes sur les produits qui ne sont pas disponibles sur ces territoires". Le ministre se fait optimiste : "Ce qui est nouveau aujourd'hui c'est que nous avons la possibilité d'un accord avec les collectivités locales, ce qui va permettre pour la première fois la réussite de cette réforme de l'octroi de mer." Ce serait effectivement nouveau, puisque les collectivités étaient naguère unanimement opposées à "toute modification, même à la marge", de ces modalités (voir notre article du 4 mars 2021). Cette réforme sera présentée lors du comité interministériel des outre-mer (Ciom), annoncé pour le 3 juillet prochain.
… et les dispositifs de Ladom
Ce Ciom promet d’être riche, puisque toujours le 8 juin, et toujours à l’Assemblée nationale, mais en séance cette fois, le ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, indiquait qu’y sera également étudiée une révision d’un autre totem, l’aide à la continuité territoriale. "Dans le cadre du Ciom, nous devons réfléchir à faire évoluer l’équilibre des paramètres, notamment le seuil d’éligibilité, le montant et les bénéficiaires. J’y travaille", a-t-il assuré. Le ministre œuvre également à une "réforme profonde" – qualificatif décidément à la mode – des autres dispositifs de Ladom (l’opérateur de l’État pour la mobilité outre-mer). "Nos réflexions portent sur un élargissement des publics concernés – étudiants, actifs en formation, acteurs de la culture, sportifs, doctorants", détaille-t-il.
L’Assemblée vote le renforcement du principe de continuité territoriale
Ces précisions, le ministre les a apportées dans le cadre de l’adoption, en première lecture, d’une proposition de loi visant à renforcer ce principe de continuité territoriale en outre-mer, dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire du groupe Liot. L’objectif du texte est de rendre plus raisonnables les "tarifs des billets historiquement élevés" entre l’Hexagone et l’outre-mer, et qui "atteignent des niveaux inégalés". En cause, sont pointés "la présence de monopoles ou quasi-monopoles sur certaines lignes", le "poids de la saisonnalité" ou encore "des années de politiques publiques peu ambitieuses et sous-dotées" (257 euros/habitant d’accompagnement budgétaire pour la Corse, 223 euros pour les Baléares et les Canaries, 16 euros pour l’outre-mer selon les dépositaires du texte, 90 euros pour ces derniers selon le rapporteur Olivier Serva). En séance, Jean-François Carenco a indiqué qu’en 2022, l’aide à la continuité territoriale, financée par Ladom, à aider à l’achat de 60.545 billets. Elle représente, précise-t-il, 50% du prix moyen du billet (les montants ont été revalorisés par un arrêté du 2 mars dernier).
En l’état, le texte :
- instaure une aide au financement d’une partie des titres de transport aux actifs vivant en France hexagonale dont le centre des intérêts matériels et moraux est outre-mer et pouvant justifier d’une création d’activité ou d’une promesse d’embauche outre-mer dans des secteurs d’activité fixés par décret et d’une aide aux actifs inscrits à un programme de formation continue non disponible outre-mer ;
- instaure un sixième programme prioritaire d’investissement consacré à la continuité territoriale dans le cadre de la loi LOM. Le texte initial déterminait des montants refondus, non retenus car devant être déterminés par arrêté ;
- instaure une dérogation à l’interdiction du cumul de l’allocation journalière de présence parentale avec le complément et la majoration de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé pour les parents résidant dans un TOM ou en Corse, pour "accompagner la mobilité des familles faisant face à la maladie d’un enfant".
Le texte initial prévoyait également d’exonérer de TVA l’achat de produits d’une valeur inférieure à 150 euros. Les députés n’ont finalement pas retenu la mesure, lui préférant la remise d’un rapport du gouvernement dans les six mois sur des pistes de réformes "visant à améliorer la continuité postale pour les envois de correspondance à l’unité", notamment "les modalités et les impacts d’un alignement de la péréquation tarifaire postale en vigueur sur le territoire métropolitain" ;
On relèvera au passage qu’un amendement de Caroline Parmentier (Pas-de-Calais, RN) réformant l’octroi de mer – pour ne l’appliquer qu’aux produits entrant en concurrence avec ceux fabriqués outre-mer ainsi qu’aux produits importés des pays non-membres de l’Union européenne – a été rejeté. "Nous sommes favorables à une réforme mais dans le cadre d’une réforme globale de la fiscalité", a indiqué le ministre pour justifier son avis défavorable, non sans contredire ainsi la position son collègue de Bercy exprimée le même jour, dans les mêmes lieux (voir supra).
Les députés européens pas en reste
De leur côté, les députés européens ont adopté le 13 juin leur position sur la stratégie de la Commission européenne pour ce qu’il est convenu d’appeler à Bruxelles les "régions ultrapériphériques", présentée l’an passé (voir notre article du 5 mai 2022). Les parlementaires y déplorent notamment que Commission et Conseil n’aient toujours pas adopté "un réflexe RUP", c'est-à-dire une prise en compte systématique des spécificités des RUP dans les propositions législatives et lors des négociations interinstitutionnelles. Ils recommandent en conséquence la mise en place d’un mécanisme de test similaire à celui proposé par ailleurs pour les zones rurales (voir notre article du 12 juillet 2021). Ils réaffirment par ailleurs la nécessité que les caractéristiques propres des RUP soient prises en compte dans les recommandations par pays du Semestre européen (voir notre article du 23 mai), ou encore pour que les collectivités locales de ces régions soient pleinement associées à l’élaboration des politiques de l’Union.
Ils regrettent également que la Commission, dans sa stratégie, "ne réponde que partiellement à certaines préoccupations de ces régions" et l’invite à doter cette dernière d’un plan d’action et de moyens financiers "particuliers et suffisants". Les parlementaires lui demandent également du sur-mesure, avec un plan d’action pour chaque RUP, si elles le demandent.
Ils invitent également la DG Regio à prendre en compte, lors de ses contrôles, des difficultés particulièrement que connaissent les RUP, notamment dans les appels d’offres ou les délais pour obtenir des informations des bénéficiaires des fonds structurels. Ils réclament de même une adaptation des règles en matière d’aides d’État, appelant notamment à une augmentation notable des seuils du règlement de minimis et du règlement général d’exemption par catégorie. Excipant de leur insularité et de leur éloignement, ils invitent encore la Commission à ne pas comptabiliser comme aides d’État les compensations prévues pour y faire face, notamment dans le domaine des transports (infrastructures aéroportuaires, portuaires et routières). Contrairement à leurs homologues français (v. supra), les députés européens estiment d’ailleurs que "la seule logique de concurrence est inapplicable au secteur du transport maritime et aérien des RUP". Une conviction semble-t-il mal affirmée, puisqu’ils indiquent également que "le manque de concurrence dans le secteur des transports des RUP […] engendrent des contraintes pour leur secteur agricole".
Alors que Bercy entend réformer l’octroi de mer (v. supra), on relèvera également qu’ils soulignent l’importance "d’assurer la continuité de tous les régimes fiscaux existants dans les RUP". Dans cette fort longue résolution, les députés européens consacrent des développements spécifiques :
- au développement social et humain. Ils plaident notamment pour la création de zones "priorité emploi", sous la forme de zones franches, ou encore pour une dotation supplémentaire du FSE+, non sans déplorer également que les dotations du FSE pour la période 2014-2020 n’ont pas été pleinement utilisées ;
- à la gouvernance des océans et au potentiel de l’économie bleue et à l’agriculture, en demandant entre autres le maintien du POSEI – programme de soutien lié à la PAC –, et invitent la Commission à faire essaimer ce modèle dans d’autres secteurs, en priorité ceux de la pêche, des transports, de la connectivité, de l’énergie et de la transition numérique. Ils demandent également le rétablissement des taux de cofinancement du Feader à 85% pour les RUP ;
- aux mobilités, transports et tourisme, soulignant le "rôle" crucial du tourisme durable et suggérant la création d’une Agence européenne du tourisme, "avec des antennes dans chacun des bassins géographiques des RUP". Ils proposent d’étudier l’opportunité de créer une allocation spécifique aux RUP dans le cadre du mécanisme pour l’interconnexion en Europe et soulignent la nécessité de garantir le principe de continuité territoriale (voir supra) ;
- à l’action en faveur du climat, de la biodiversité, de l’indépendance énergétique et des énergies renouvelables, Ils suggèrent à nouveau "une étude l’éventuelle création d’un fonds européen d’adaptation au changement climatique dans la prochaine programmation", afin d’aider singulièrement les RUP compte tenu de leur vulnérabilité particulière aux effets des changements climatiques et géologiques ;
- ou encore aux numérique, à la santé, à la course à l’espace et à une meilleure utilisation des fonds, partenariats et accords commerciaux européens. Là encore, ils invitent la Commission et les autorités nationales et régionales "à trouver un point d’équilibre entre le contrôle indispensable de l’utilisation des fonds européens et la simplification et flexibilisation des règles administratives nécessaires à leur optimisation, et ce afin d’encourager les initiatives locales".
Le ministre de l’Intérieur et son ministre délégué chargé des outre-mer ont fait savoir ce 15 juin que l'État allait renforcer son aide à certaines communes ultramarines, à travers les contrats de redressement outre-mer (Corom). Ce dispositif créé en 2021 à titre expérimental consiste pour une commune en difficulté financière à s'engager sur "une trajectoire de redressement de ses finances et d'amélioration de sa gestion, notamment par une réduction de ses délais de paiement aux entreprises", l'État s’engageant pour sa part à "accompagner ces collectivités en mettant à leur disposition une assistance technique et une subvention exceptionnelle de fonctionnement, sous condition que la commune atteigne les objectifs définis dans son contrat". Neuf communes sont actuellement concernées par un Corom : Basse-Terre, Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose, Fort-de-France, Saint-Pierre, Cayenne, Iracoubo, Saint-Benoît, Sada. |