Logement social - Vers une érosion du livret A ?

Alors que les associations d'élus viennent de publier un communiqué intitulé : "Les risques de la réforme du livret A", le débat parlementaire sur le projet de loi de modernisation de l'économie débute le 2 juin. Les points de discorde.

L'Assemblée nationale débute le 2 juin l'examen du projet de loi de modernisation de l'économie. Les articles 39 et 40 du texte gouvernemental s'attachent à réformer le livret A : généralisation de sa distribution à toutes les banques, mécanisme flexible de centralisation de la ressource, rémunération des banques en contrepartie de la centralisation fixée en fonction de l'encours centralisé. Déposé fin avril au Conseil des ministres, ce projet trouve sa source dans une lettre de mise en demeure de la Commission européenne de juin 2006. Bruxelles considère alors anticoncurrentiel le fait que seules la Banque Postale et les Caisses d'Epargne puissent proposer à leur clientèle ce produit d'épargne. Très vite, le débat prend de l'ampleur débordant des seuls bureaux des experts européens : l'Union sociale pour l'habitat (USH) se saisit du dossier rappelant que l'épargne collectée par le livret A, affectée à la Caisse des Dépôts, permettait de financer le logement social à des prêts inférieurs à ceux du marché (Voir article de Localtis : "La remise en cause des droits spéciaux du livret A : une présomption d'instabilité, 03 octobre 2006"). Ouvrir la distribution du livret A peut banaliser le produit et faire glisser l'épargne vers des placements plus avantageux. Durant une année, jusqu'au rappel à l'ordre de la Commission européenne en mai 2007, l'incertitude est de mise (voir article de Localtis : "La Commission européenne donne neuf mois à la France pour supprimer les droits spéciaux de distribution des livrets A", 10 mai 2007).
En juillet 2007, le gouvernement français se décide à contre-attaquer en déposant un recours devant la CJCE, estimant notamment que les droits spéciaux des deux organismes bancaires n'étaient pas une entrave à la liberté d'établissement (Voir article de Localtis : "Livret A : la France dépose son recours", 23 juillet 2007). Mais en décembre 2007, le président de la République prend la main en se déclarant favorable à l'élargissement de la distribution du livret A (Voir article de Localtis : Nicolas Sarkozy "assouplit" la position française sur la distribution du livret A, 11 décembre 2007). Quelques jours plus tard, Michel Camdessus, ancien gouverneur de la Banque de France, rend public un rapport  dans lequel il déroule son argumentaire en cascade pour aboutir... à une remise en cause de la centralisation totale des encours de livret A par la Caisse des Dépôts.

 

Accessibilité bancaire ?

Pour l'ouverture du débat parlementaire, les associations d'élus  (Assemblée des communautés de France, Association des communautés urbaines de France, Association des maires des grandes villes de France, Association des petites villes de France, Fédération des maires des villes moyennes et Association des maires de France) et l'Union sociale pour l'habitat donnent à nouveau leur position commune dans un communiqué : "Le projet de loi va bien au-delà de la demande de la Commission européenne  et peut mettre en danger deux services d'intérêt général reconnus par Bruxelles : l'accessibilité bancaire et le financement du logement social."
La distribution du livret A se ferait avec deux niveaux : si la Banque Postale garde l'obligation d'ouvrir un livret A à toute personne qui le demande, ce ne serait pas le cas pour les autres banques. De plus, alors que pour la première, le montant minimum d'une opération serait de 1,50 euro, pour les autres organismes bancaires, ce montant s'élèverait à 10 euros. "Ce n'est pas la signature d'une charte d'accessibilité visant à renforcer le droit au compte qui devrait vraiment changer la donne, estime Dominique Dujols, directrice des relations institutionnelles et du partenariat de l'USH. Les banques qui refuseront d'ouvrir un compte pourront se retourner vers la Banque de France qui, en général, désigne la Banque Postale ! A cela s'ajoute le fait que, pour la Banque Postale, le livret A devrait être distribué dans les bureaux où il y a un guichet affecté à ce produit."
 

Financement du logement social ?

"Le dispositif actuel a permis en 2007 de produire plus de 54.000 logements en apportant 6,5 milliards d'euros de financement contre 5 milliards en 2006", déclare, en janvier dernier, Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des Dépôts, lors d'une audition de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Or, le projet de loi ne définit pas le taux de centralisation de la collecte du livret A par la Caisse des Dépôts. Il devrait être défini par décret tandis que la loi devrait acter un plancher. Le député Nicolas Forissier, rapporteur de la commission des Finances, dans son avis  déposé le 21 mai, explique les nouvelles règles du jeu : "Les ressources centralisées à la Caisse des Dépôts au titre du livret A et du livret de développement durable devront être au moins égales au montant des prêts consentis par la Caisse des Dépôts au bénéficie du logement social affecté d'un coefficient multiplicateur de 1,25. L'encours des prêts au 21 décembre étant de 85 milliards, précise le rapporteur de la commission des finances, l'application du plancher donne un montant de 106,25 milliards d'euros, soit un taux de centralisation d'environ 52% puisque la collecte du livret A et du livret bleu est de 137 milliards d'euros et celle du livret de développement durable est de 62 milliards d'euros." Les associations d'élus et l'USH estiment que le texte en l'état crée "un risque de confrontation entre les intérêts des banques et ceux du logement social si au-delà d'une période de hausse, la collecte subit des fluctuations". Elles demandent, en conséquence, que "le principe d'une centralisation complète de la collecte ou à défaut de 70% soit inscrit dans la loi".

Enfin, troisième affluent de la réforme, la rémunération des banques. En avril, lors d'une rencontre consacrée au financement du logement social, Benjamin Dubertret, le directeur des prêts et de l'habitat de la Caisse des Dépôts, estimait que si la baisse du commissionnement des banques était élevée et si elle impactait sur les taux des prêts de la CDC, alors la gamme des produits pourrait être revisitée et les taux de sortie des prêts pourraient baisser (Voir article de Localtis : "Des pistes pour optimiser un financement qui s'essouffle !" 07 avril 2008). La réforme apporte-t-elle sur ce point une réponse satisfaisante ? Pour le député Nicolas Forissier, sans conteste, oui. "Fixée par décret, la rémunération devrait être égale à 0,6% de l'encours centralisé par la Caisse des Dépôts et donc beaucoup moins élevée que celle qui est versée aux opérateurs actuels, à 1,12% en moyenne, cela permettrait de diminuer le coût du financement du logement social."

 

Clémence Villedieu