Enfance - Une proposition de loi pour réformer l'adoption
Michèle Tabarot - députée des Alpes-Maritimes, présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée et spécialiste de l'enfance (notamment depuis ses rapports sur les modes de garde et sur les rythmes scolaires) - et une soixantaine de ses collègues de la majorité viennent de déposer une proposition de loi sur l'adoption. Ce texte entend lever la "malédiction" qui pèse, depuis plusieurs années, sur les tentatives législatives de réforme de l'adoption. Présenté en Conseil des ministres le 28 août 2008 (voir notre article ci-contre du même jour), dans la foulée du rapport de Jean-Marie Colombani sur le sujet, un projet de réforme de l'adoption avait pourtant débouché sur le dépôt d'un projet de loi au Sénat en avril 2009 mais, comme l'indique l'exposé des motifs de la proposition de loi de Michèle Tabarot, "ce texte n'a malheureusement pas pu être inscrit à l'ordre du jour de la Haute Assemblée". La procédure demeure donc régie par la loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption.
Le retour du "délaissement parental"
L'Assemblée nationale veut donc reprendre le flambeau, même si le texte s'inspire fortement des projets du gouvernement. La proposition de loi comporte six articles. Si le texte arrive en séance, les deux premiers seront - à coup sûr - les plus discutés. Ils concernent en effet la notion de "délaissement parental". Celle-ci succéderait à la notion de "désintérêt manifeste" qui fonde aujourd'hui la déclaration judiciaire d'abandon, aux termes de l'article 350 du Code civil. Or, c'est précisément ce changement - qui permettrait de conférer à davantage d'enfants le statut de pupille de l'Etat - qui avait suscité une levée de boucliers en 2009 et incité le gouvernement à ne pas pousser davantage son projet de loi (voir nos articles ci-contre du 1er avril et du 9 juin 2009).
La proposition de loi - qui s'inspire d'une préconisation du Conseil supérieur de l'adoption (CSA) - prévoit que "l'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, délaissé par ses parents pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration d'abandon est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance [...]". Ce délaissement parental "est caractérisé par les carences des parents dans l'exercice de leurs responsabilités parentales compromettant le développement psychologique, social ou éducatif de leur enfant". Le texte fait également obligation au service départemental de l'aide sociale à l'enfance (ASE) d'intégrer, dans le rapport annuel sur les enfants confiés au service par décision judiciaire, une appréciation sur "la situation de délaissement parental". Dans le même esprit, il prévoit que "lorsque l'enfant accueilli ou faisant l'objet d'une mesure éducative est âgé de moins de deux ans, ce rapport est élaboré au terme des six premiers mois, puis de la première année de sa prise en charge". L'allusion à la mesure éducative semble curieuse, puisque l'existence d'une telle mesure laisse précisément entendre qu'il n'y a pas délaissement parental.
Une refonte de la procédure d'agrément
La proposition de loi prévoit également de réformer la procédure d'agrément des candidats à l'adoption par les départements. Parmi les innovations proposées - dont certaines s'inspirent des propositions du CSA sur le même sujet (voir notre article ci-contre du 3 décembre 2010) - figure notamment la possibilité, pour le président du conseil général, de prolonger d'une année non renouvelable la durée de l'agrément (au-delà de la période initiale de cinq ans), ainsi que l'obligation pour la personne agréée de "confirmer annuellement qu'elle maintient son projet d'adoption". De même, un changement de situation matrimoniale (séparation du couple, par exemple) entraînerait la caducité de l'agrément et non plus son retrait comme aujourd'hui. Contrairement aux apparences, cette mesure est favorable aux candidats à l'adoption, dans la mesure où la caducité de l'agrément leur permet de déposer immédiatement une nouvelle demande, au lieu du délai de latence de 30 mois imposé en cas de retrait.
Par ailleurs, le texte permet au gouvernement d'autoriser, à titre expérimental, "les conseils généraux volontaires à mettre en œuvre un dispositif visant à renforcer l'information et la préparation des candidats à l'agrément en vue de l'adoption". Cette expérimentation, d'une durée de trois ans, ferait l'objet d'un décret définissant ses modalités de mise en œuvre et "prévoyant un cycle de modules obligatoires préalables à la délivrance de l'agrément".
En matière internationale, la proposition de loi précise les missions de l'Agence française de l'adoption (AFA), en renforçant son rôle d'information et de conseil auprès des candidats. Elle étend également l'habilitation de l'AFA à tous les pays d'origine, signataires ou non, de la convention de La Haye du 29 mai 1993. L'Agence devra toutefois, à la demande du ministère des Affaires étrangères, suspendre ou cesser son activité dans un pays d'origine "si les procédures d'adoption ne peuvent plus être menées dans des conditions garantissant l'intérêt des enfants et des familles". Enfin le texte rend l'adoption simple irrévocable - sauf sur demande du ministère public pour des motifs graves - durant toute la minorité de l'adopté, alors que l'adoptant peut aujourd'hui demander la révocation lorsque le mineur atteint l'âge de 15 ans.
Si la qualité de son auteur et le nombre de signataires laissent supposer une prise en compte rapide de cette proposition de loi, il reste à savoir si elle pourra être examinée en séance avant les présidentielles.
Références : Assemblée nationale, proposition de loi sur l'adoption, déposée par Michèle Tabarot et plusieurs de ses collègues (enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 21 septembre 2011).
Jean-Noël Escudié / PCA