Aide sociale à l'enfance - Une proposition de loi consensuelle pour "ajuster" la protection de l'enfance
Michelle Meunier, sénatrice (PS) de Loire-Atlantique, et Muguette Dini, sénatrice (UDI) du Rhône, ont déposé une proposition de loi relative à la protection de l'enfance. Ce texte ambitieux (23 articles) entend notamment mettre en œuvre les conclusions du rapport d'information "Protection de l'enfance : améliorer le dispositif dans l'intérêt de l'enfant", que les deux sénatrices ont présenté en juin dernier (voir notre article ci-contre du 25 juin 2014). Le texte s'inspire aussi de certaines des propositions du rapport Gouttenoire, l'un des quatre rapports qui devaient préparer le projet de loi Famille, finalement abandonné par le gouvernement (voir notre article ci-contre du 22 avril 2014). Ce dernier voit d'ailleurs plutôt d'un bon œil la proposition de loi des deux sénatrices, qui permet de reprendre certaines dispositions envisagées dans le projet de loi.
Un conseil national de la protection de l'enfance et un médecin référent de PMI
Le texte ne propose pas "une remise à plat complète du dispositif, mais [...] des ajustements et des évolutions répondant à trois objectifs : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfant ; sécuriser le parcours de l'enfant protégé ; adapter le statut de l'enfant placé sur le long terme".
Parmi les mesures prévues par la proposition de loi figure notamment la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance - qui serait chargé de proposer au gouvernement les grandes orientations nationales en la matière -, ainsi que le renforcement du rôle des observatoires départementaux de la protection de l'enfance, qui se verraient également confier la mission de recenser les besoins de formations des personnels de la protection de l'enfance et d'assurer le suivi de ces formations. De son côté, l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned) serait transformé en Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) et clairement positionné comme tête de réseau des observatoires départementaux.
Plus original : la désignation, dans chaque service de PMI, d'un médecin référent pour la protection de l'enfance, chargé d'assurer le lien entre tous les acteurs médicaux ou à composante médicale : services départementaux (ASE et PMI), cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip), médecins hospitaliers et libéraux, médecins de santé scolaire...
Le projet pour l'enfant soumis chaque année à une "commission pluridisciplinaire"
La proposition de loi renforce également le rôle du "projet pour l'enfant" (PPE), qui doit devenir "un véritable instrument au service de l'intérêt supérieur du mineur, ce qu'il n'est pas suffisamment aujourd'hui".
Autre mesure intéressante, mais dont la mise en œuvre risque de se révéler très lourde : la présentation annuelle du PPE à une commission pluridisciplinaire, sur le modèle du conseil de famille. Dans le même esprit, le texte précise le contenu du rapport annuel établi par le service de l'ASE pour chaque enfant accueilli ou bénéficiant d'une mesure éducative. De même, le texte prévoit que toute modification du lieu d'accueil d'un enfant confié depuis plus de trois ans à la même famille ou au même établissement sera conditionnée à l'avis du juge des enfants, alors que la décision est prise aujourd'hui de façon discrétionnaire par les services de l'ASE.
Toujours dans le souci de limiter le risque de non révision d'une situation, la proposition de loi prévoit la fixation d'une durée maximale pour le renouvellement de la mesure d'assistance éducative. Cette durée - au-delà de laquelle une solution de vie stable devra avoir été trouvée - sera fixée par décret selon l'âge de l'enfant.
Plusieurs mesures sur l'adoption
En matière d'adoption, le texte prévoit diverses mesures, comme une simplificiation de l'adoption simple, "qui mérite d'être davantage utilisée comme mesure de protection de l'enfance". Il propose aussi un accompagnement à la mère de naissance, qui se rétracte après avoir accouché dans le secret, étend les cas de ré-adoptabilité aux enfants adoptés et admis en qualité de pupille de l'Etat et prévoit une prise en compte de l'avis de l'enfant capable de discernement. Toujours en matière d'adoption, la proposition de loi réforme la procédure de la déclaration judiciaire d'abandon. Elle remplace notamment la notion - jugée trop floue - de "désintérêt manifeste" des parents par celle de "délaissement parental manifeste", définie par le fait qu'"un enfant est considéré comme délaissé lorsque ses parents n'ont contribué par aucun acte à son éducation ou à son développement pendant une durée d'un an". En outre, le texte donne au procureur de la République la possibilité de saisir d'office le juge d'une demande en déclaration judiciaire de délaissement manifeste. Le tribunal de grande instance doit alors statuer sur cette demande dans un délai de six mois. Il prévoit aussi le retrait automatique de l'autorité parentale pour le parent condamné pour des crimes ou délits commis contre son enfant, et à l'encontre du parent qui s'est rendu coupable d'un crime sur la personne de l'autre parent.
Au final, la proposition de loi apparaît plutôt raisonnable dans ce domaine ultrasensible, même si elle penche nettement du côté de la primauté des droits de l'enfant, au détriment de la reconstruction de la cellule familiale qui reste l'objectif de la plupart des services de l'ASE. On peut donc s'attendre à quelques réactions du côté des travailleurs sociaux.
En outre, le choix d'une proposition au-delà des clivages politiques (une sénatrice PS et une sénatrice UDI), devrait faciliter grandement l'examen, voire l'adoption, de ce texte... y compris en cas de basculement de la majorité sénatoriale.
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : proposition de loi relative à la protection de l'enfance (enregistrée à la présidence du Sénat le 11 septembre 2014).