Protection de l'enfance - Signalement des enfants en danger : une proposition de loi pour protéger les médecins
Alors que le Sénat devrait présenter cet été sa proposition de loi sur l'adoption et la protection de l'enfance - issue pour partie du projet de loi Famille, finalement abandonné par le gouvernement -, Colette Giudicelli, sénatrice (UMP) des Alpes-Maritimes et vice-présidente du conseil général de ce département, prend les devants en déposant une proposition visant à modifier l'article 11 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance.
Deux cents médecins poursuivis depuis 1997
Dans sa rédaction actuelle, cet article précise que l'article 226-13 du Code pénal - qui sanctionne "la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession" - n'est pas applicable "au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est mineure, son accord n'est pas nécessaire".
Le problème est que cette disposition "n'a malheureusement pas été suffisante pour protéger les victimes mineures et encourager les médecins à signaler les violences". Lors du colloque national sur les violences faites aux enfants, organisé au Sénat le 14 juin 2013, il a ainsi été rappelé que les médecins ne seraient à l'origine que de 5% des signalements, alors que tous les enfants maltraités passent un jour ou l'autre par le système de santé.
Par ailleurs, l'exposé des motifs rappelle que "depuis 1997, environ deux cents médecins (qu'ils soient psychiatres d'enfants, médecins généralistes, pédiatres ou encore gynécologues) ont fait l'objet de poursuites pénales et/ou de sanctions disciplinaires à l'initiative du ou des auteurs présumés des agressions", ce qui a créé "un climat de stress et un malaise profond au sein du monde médical". Et la loi de 2004 n'a pas suffi à inverser la tendance.
Obligation de signalement et protection du médecin
Plusieurs pays européens - Suède, Norvège, Finlande, Danemark, Espagne, Italie, Autriche... - ont surmonté la difficulté en instaurant une obligation de signalement, assortie d'une protection de responsabilité juridique pour le médecin. C'est également la position du Conseil de l'Europe. Cette obligation existe d'ailleurs en France, mais uniquement pour les médecins fonctionnaires.
Son extension aux médecins libéraux et hospitaliers libérerait les praticiens du dilemme entre le devoir moral de signaler, le respect du secret médical et la crainte des poursuites, qui peut se poser dans certains cas particuliers (notamment lorsque la suspicion de maltraitance se révèle infondée).
La proposition de loi suggère donc une nouvelle rédaction de l'article 226-14 du Code pénal. Ainsi, l'article 226-13 du même code ne s'appliquerait pas "au médecin tenu, sans avoir à recueillir l'accord de quiconque, de porter sans délai à la connaissance du procureur de la République les constatations personnellement effectuées dans l'exercice de sa profession, quand elles lui ont permis de présumer, sans même avoir à caractériser une infraction, que des violences physiques, sexuelles ou psychologiques, auraient été imposées à un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique".
Pour protéger le médecin, la proposition de loi prévoit également que "le signalement effectué dans ces conditions ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire, du praticien, à moins que sa mauvaise foi n'ait été judiciairement établie".
S'il est peu probable que le texte soit voté en l'état dans un calendrier parlementaire très chargé, il pourrait néanmoins revenir sous la forme d'un amendement à la future proposition de loi du groupe socialiste sur l'adoption et la protection de l'enfance. Le caractère très consensuel de la mesure proposée - même si la question du secret professionnel reste très sensible chez les médecins - pourrait alors lui valoir d'être adopté.
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : proposition de loi visant à modifier l'article 11 de la loi n°2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance (enregistrée à la présidence du Sénat le 14 mai 2014).