Commande publique - "Une épée de Damoclès va désormais peser sur les contrats publics"
La directive Recours : un nouveau référé
Bien plus que l'annonce d'un "toilettage" du Code des marchés publics (CMP), il me semble que le point le plus intéressant pour les acheteurs publics concerne la transposition de la directive recours. Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques de Bercy, a en effet annoncé que la DAJ allait profiter de l'habilitation accordée lors du vote de la loi PPP pour transposer la directive Recours par voie d'ordonnance. La transposition par voie d'ordonnance est semble-t-il dictée par l'obligation d'aller vite afin de respecter les délais de transposition. Mais on peut également souligner le fait qu'en matière de contrats et marchés publics, l'exécutif dispose de la pleine maîtrise des choses, alors que le législatif semble avoir un poids assez réduit.
En ce qui concerne l'ordonnance proprement dite, il est d'ores et déjà possible d'affirmer que les mesures annoncées auront un impact considérable. L'ordonnance doit en effet introduire un nouveau type de référé, le référé contractuel, dont les conséquences pourraient être redoutables pour les acheteurs publics. D'abord parce qu'il s'agit d'un référé, ce qui signifie que le juge devra rendre sa décision rapidement. Ensuite, parce que le délai de recours accordé aux tiers intéressés est fixé à 6 mois à compter de la signature du marché. C'est ce délai qui constitue une réelle nouveauté. Ce délai est "limité" à 2 mois par la jurisprudence Tropic.
Une épée de Damoclès va désormais peser sur les contrats publics pendant un délai extrêmement long, puisqu'un candidat évincé pourra demander et obtenir l'annulation d'un contrat 6 mois après sa signature. Si la portée du référé précontractuel a été considérablement réduite par le Conseil d'Etat, suite à la décision Smirgeomes du 3 octobre 2008, les acheteurs publics devront désormais tenir compte de ce nouveau référé contractuel, dont on n'a pas encore totalement pris conscience et qui pourrait leur poser de sérieuses difficultés dans la pratique quotidienne de leur activité.
La directive Recours : la question des amendes
Le deuxième point important concerne les sanctions prévues par l'ordonnance. La directive interdit aux Etats membres de continuer à exécuter un marché qui contient des illégalités en matière de transparence et de respect de la concurrence. Le juge sera donc tenu de prononcer systématiquement l'annulation du contrat dès lors que la procédure de passation n'aura pas été respectée, sauf en cas de considérations impérieuses d'intérêt général. Ce point a toutefois été anticipé par la jurisprudence Tropic et ne constitue pas en soit une réelle nouveauté pour les pouvoirs adjudicateurs. En revanche, la mise en place de sanctions subsidiaires, c'est-à-dire offrir la possibilité au juge de prononcer des "amendes" financières, est une première en droit des contrats publics. Ce système d'amende est explicitement prévu par la directive, ce qui laisse peu de marge de manœuvre à la Direction des affaires juridiques de Bercy. Mais la question du montant de l'amende reste en suspens. Catherine Bergeal a rappelé que la directive impose que cette sanction financière soit conséquente. Le montant de l'amende devrait donc correspondre, selon la DAJ, à un pourcentage du montant du marché. Mais le taux reste à définir et cela peut donc aller très loin. Il est toutefois possible que l'ordonnance ne définisse pas un pourcentage trop précis afin de laisser une certaine marge d'appréciation aux juges.
Un prochain décret va modifier 28 articles du CMP
Bien qu'utiles et nécessaires sur de nombreux points, les "ajustements" annoncés ne vont pas bouleverser le droit de la commande publique. Même si le décret concerne 28 articles du code, il ne s'agit que d'un "toilettage" destiné, par exemple, à clarifier la question des niveaux minimaux de capacité ou se mettre en conformité avec la réglementation communautaire en ce qui concerne les marchés à bons de commande.
Délais de paiement : trop de responsabilités
Une réduction des délais de paiement des collectivités locales serait intéressante pour les entreprises, surtout dans le contexte économique actuel. Il me semble toutefois qu'une telle mesure fait peser trop de responsabilité sur les ordonnateurs. Il ne faut pas oublier que nous somme dans un système financier public qui repose sur une séparation des ordonnateurs et des comptables. Or le délai de paiement cumule à la fois le délai de l'ordonnateur et celui du comptable. Dans le système actuel, l'ordonnateur est le seul à être responsabilisé. Si le comptable commet une faute, les intérêts moratoires devront tout de même être payés par l'ordonnateur, à charge pour ce dernier d'engager par la suite une action récursoire contre le comptable, ce qui, en pratique, n'a quasiment jamais lieu.
Révision des prix : une pratique à construire
S'agissant de l'article 18 du Code des marchés publics, le projet d'extension de la révision obligatoire des prix pour tous les types de marchés est également intéressant du point de vue de la protection des entreprises. Sur le principe, cette mesure ne me semble pas critiquable. Néanmoins, les acheteurs éprouvent des difficultés face à cette question du prix et de ses modalités d'évolution. Par conséquent, avant d'étendre la révision obligatoire, il pourrait être intéressant de leur inculquer cette culture de la révision des prix. Renforcer une matière ou une obligation doit s'accompagner de pédagogie et nécessite, en l'occurrence, d'apporter des précisions sur de nombreuses notions comme les formules paramétriques, les indices, la notion de cours mondiaux, la fluctuation...
Une augmentation des seuils pour les marchés de moins de 4.000 euros
Catherine Bergeal a annoncé qu'une augmentation "conséquente" de ce seuil était à l'étude. Que cette augmentation aille au-delà de 10.000 euros me paraît envisageable, 15.000 euros étant, à mon avis, une limite à ne pas dépasser. Quoi qu'il en soit, c'est sur ce point que se posera très clairement la question de la conformité au droit communautaire. Toute la difficulté étant de savoir si une telle mesure ne risque pas d'aller à l'encontre des principes fondamentaux applicables aux contrats publics (non-discrimination) ou de réduire, en droit interne, la concurrence des entreprises. Je ne peux pas apporter de réponse, mais il est certain qu'au regard du droit communautaire, le problème reste entier.
Une dépénalisation des erreurs objectives de procédure
Aller dans le sens de la suppression du caractère objectif du délit de favoritisme est déjà une bonne chose. Cela permet en effet d'écarter les délits pour négligence, erreur matérielle ou maladresse. L'approche, qui consiste à affirmer que le délit n'est constitué que s'il y a une réelle intention, me semble être une évidence. Le Code pénal prévoit en effet qu'un délit ne peut être constitué qu'intentionnellement. Par conséquent, il s'agit simplement de revenir aux sources du Code pénal. De plus, la plupart des condamnations pour délit de favoritisme ont été rendues alors qu'il y avait manifestement une intention de détourner la réglementation pour favoriser un candidat. Il me semble que le fait de supprimer l'objectivité et l'automaticité du délit ne changera pas fondamentalement les choses et on est en droit de se demander si ce n'est pas un effet d'annonce destiné à rassurer les acheteurs publics.
La mise en conformité de l'article 45 b de la loi Sapin avec le droit communautaire
Cet article permet en effet aux collectivités locales de confier, de gré à gré, l'exploitation d'un service à leurs établissements publics, sans respecter les principes communautaires de transparence et de mise en concurrence. Or ce mode d'attribution n'est possible que lorsque les deux conditions cumulatives des contrats " in house" sont réunies. La Commission européenne considère que cette mesure constitue un traitement discriminatoire en faveur des établissements publics des collectivités locales. Par conséquent, un "ajustement " est donc nécessaire pour mettre en conformité la loi Sapin avec le droit communautaire.
Ces nombreuses "réformes" ou "ajustements" peuvent donner une impression de fouillis, mais le gouvernement n'a pas le choix. En matière de contrats et marchés, la France est tenue de faire évoluer sa réglementation afin d'assurer sa conformité avec le droit communautaire et de transposer les directives en respectant les délais.