Economie sociale et solidaire - Un projet de loi pour consolider le modèle de l'ESS
Article initialement publié le 24 juillet 2013.
Benoît Hamon, ministre délégué en charge de l'économie sociale et solidaire, a présenté le 24 juillet 2013 son projet de loi sur l'ESS en Conseil des ministres. Ou comment faire de l'ESS un secteur à part entière.
L'ESS regroupe actuellement 200.000 structures (associations, mutuelles, coopératives), qui représentent 10% du PIB de la France et 10% des emplois, soit 2,4 millions de salariés. Les entreprises qui constituent ce secteur sont robustes. Sur les dix dernières années, elles ont créé 440.000 emplois nouveaux, soit une croissance de 23%, contre 7% seulement pour le reste du secteur privé. En 2012, malgré la conjoncture difficile, l'emploi dans l'ESS a progressé de 0,3% alors que le reste de l'emploi privé accusait une baisse de 12%.
"Parmi les Scop [sociétés coopératives et participatives] qui existent depuis 2010, 8 sur 10 sont toujours vivantes, un chiffre bien au-dessus de la moyenne des entreprises classiques ; les Scop, c'est plus résistant !", a d'ailleurs réaffirmé Benoît Hamon ce 24 juillet lors de la présentation du projet de loi dans les locaux de la société Tribu, reprise par ses salariés sous forme de Scop en 2009.
D'après les calculs du ministre, les mesures du projet de loi pourraient déboucher sur la création de plus de 100.000 emplois nets. Le potentiel serait même plus important si on considère les choses sur le long terme : il y aurait 600.000 emplois à renouveler d'ici à 2020.
Parmi les mesures phare du texte : pour la première fois, le périmètre de l'ESS va être défini. Ceci en s'appuyant sur quelques grands principes qui permettront de définir les acteurs de l'ESS : un but social autre que le seul partage des bénéfices, une lucrativité encadrée et une gouvernance démocratique et participative. "C'est une satisfaction évidente avec cette loi qui reconnaît l'ESS dans ce qu'elle est et dans son potentiel, car les textes existant jusqu'à maintenant dataient un peu", explique à Localtis Patrick Lenancker, président de la Confédération générale des Scop. Le projet de loi "traduit la reconnaissance officielle de la capacité des entrepreneurs sociaux à placer l'efficacité économique au service de l'intérêt général", a de même jugé le même jour le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves).
Autre changement : la refonte de l'agrément "entreprise solidaire". Cet agrément permet aujourd'hui aux entreprises d'accéder aux fonds d'épargne salariale solidaire. Mais il ne reconnaît que deux catégories d'entreprises : les entreprises d'insertion par l'activité économique (IAE) et les entreprises à statut "économie sociale" traditionnel, qui prévoient un encadrement des écarts salariaux dans une fourchette maximale de 1 à 5. "Cette seconde catégorie, en ne prenant en compte que les statuts de l'entreprise et son échelle de rémunération, ne permet pas de cibler l'agrément sur des entreprises à forte utilité sociale répondant à des besoins sociaux spécifiques", explique le dossier de présentation du projet de loi. D'où l'idée de faire évoluer l'agrément actuel avec des critères d'attribution centrés sur la poursuite d'une mission d'utilité sociale. Avec ce nouvel agrément, rebaptisé "entreprise solidaire d'utilité sociale" (Esus), les structures de l'ESS pourront plus facilement trouver des financements. On sait notamment que 500 millions d'euros issus de la banque publique d'investissement sont déjà fléchés vers ce secteur. "Et c'est bien du concret", a assuré le ministre.
"Le statut de Scop d'amorçage, une avancée majeure"
Le projet de loi tente aussi de développer les coopératives, et plus particulièrement les Scop, l'objectif du gouvernement étant de doubler le nombre d'emplois et de Scop en cinq ans et d'augmenter la taille moyenne des Scop en nombre de salariés et d'associés. Actuellement, on compte 2.000 Scop en France, qui représentent 42.000 salariés, dont 22.000 associés.
Pour faciliter la reprise d'une entreprise saine par ses salariés, le texte propose la création d'un statut de Scop d'amorçage. Ce statut va "permettre aux salariés d'être minoritaires au capital de l'entreprise pendant un délai de sept ans, le temps pour eux de constituer, avec les excédents réalisés, un capital pour devenir majoritaire ; nous avons diminué la prise de risque des salariés", a expliqué le ministre lors de sa visite chez Tribu. Une mesure qui satisfait la Confédération générale des Scop. "Nous sommes très attachés à la préservation des emplois mais aussi des savoir-faire. Il faut maintenir ce qui existe, explique ainsi Patrick Lenancker à Localtis. Le statut de Scop d'amorçage est une avancée majeure et nous souhaitons même que ce délai de 7 ans soit porté à 10 ans !"
Les attentes sont aussi nombreuses, de la part de la confédération et des grandes Scop, vis-à-vis des groupements de coopératives. Le texte de loi permet la création de groupes de Scop, mais "on peut déjà le faire", assure Patrick Lenancker, qui souhaite aller plus loin. Jusqu'à maintenant, les Scop qui veulent grandir ont recours à des filiales qui demeurent hors du statut Scop. Et si la Scop mère souhaite proposer aux salariés de sa filiale de devenir associés au sein d'une Scop, elle perd la gouvernance sur sa filiale, car le cadre juridique actuel interdit la prise de contrôle majoritaire d'une Scop sur une autre… La confédération souhaiterait pouvoir créer des "groupes coopératifs", avec la maison-mère et les filiales sous statut Scop. "Il faudrait que la notion d'appartenance salariale se fasse au niveau du groupe et que ces salariés puissent participer à la gouvernance au niveau du groupe. Sinon, cela va empêcher notre développement, et les Scop seront condamnées à une certaine taille", explique à Localtis Charles-Henri Montaut, qui est lui-même à la tête de l'une des plus grandes Scop de France, UTB, spécialisée dans le bâtiment, établie à Pantin. "De notre côté, nous avons un système un peu schizophrénique, avec une maison-mère Scop et des filiales de droit commun…" Mais les Scop ne désespèrent pas de voir le sujet à nouveau abordé lors des discussions parlementaires.
Un délai "incompréhensible"
Une autre des mesures du texte a fait largement polémique. Il s'agit de la disposition qui consiste à créer un droit d'information préalable des salariés pour favoriser les reprises d'entreprises en bonne santé par les salariés. Ce droit va obliger le cédant à informer ses salariés avant tout projet formalisé de cession pour leur permettre de mettre au point, éventuellement, une offre de rachat de leur entreprise. Les salariés devront être ainsi informés dans un délai de deux mois avant la notification du projet de cession. "Pour les CCI de France, ce délai est incompréhensible car la cession se prépare dans les 3 à 5 ans précédant la période à laquelle la transmission est envisagée", a réagi André Marcon, président de CCI France dans un communiqué publié dès le 23 juillet, mettant en garde contre le risque de "déstabiliser la pérennité de l'entreprise", de "porter atteinte à la confidentialité des affaires" et "finalement décourager les cédants". CCI France demande à ce que le texte soit modifié et qu'un financement particulier soit mis en place, au sein de bpifrance, pour la reprise interne, conditionné à une formation adaptée du salarié. Un peu plus tôt dans la journée, la CGPME avait elle aussi réagi, estimant que "ce texte aura pour conséquence de perturber le processus de cession en cours, au risque, dans certains cas de le faire échouer". La CGPME propose quant à elle de limiter ce droit d'information aux seules TPE/PME contraintes de cesser leur activité faute de repreneur…
Le texte discuté au Sénat à partir d'octobre 2013
Par ailleurs, le texte prévoit de multiplier les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), pour lesquels il donne une définition claire et fixe les modalités d'intervention de l'Etat. Un premier appel à projets, doté de 3 millions d'euros, a été lancé le 15 juillet pour la période 2013-2014. Il devrait déboucher sur la sélection d'une quinzaine de PTCE existant ou en cours de développement. Après évaluation, une nouvelle vague plus importante pourrait être soutenue (voir notre article du 15 juillet).
Enfin, le texte propose de donner une définition législative de la subvention pour sécuriser les relations entre les associations et les acteurs publics, et notamment développer l'usage de la subvention en alternative à la commande publique (lire notamment notre article du 28 juin).
En matière de politique publique, le projet de loi propose de renforcer les missions du Conseil supérieur de l'ESS (CSESS). Il sera ainsi obligatoire de le consulter sur tout projet de dispositions législatives et réglementaires communes à l'ESS. Le Conseil aura la charge de l'évaluation des politiques de l'ESS du niveau territorial au niveau européen. Le réseau des Chambres régionales de l'ESS (CRESS) sera quant à lui structuré pour assurer une coordination territoriale de l'ESS.
Le projet de loi devrait être discuté en séance publique au Sénat à partir du mois d'octobre. Le ministre espère arriver à l'adoption de la loi début 2014.