Un maire n'a pas compétence pour interdire la distribution de repas à des migrants
Le tribunal administratif de Lille a annulé deux arrêtés de la maire de Calais interdisant aux associations de distribuer des repas aux migrants dans certains lieux, jugeant que "la police étant étatisée dans la commune de Calais, il n'appartenait qu'au préfet de prendre de telles décisions".
Dans une décision du 16 décembre dernier, le tribunal administratif de Lille annule deux arrêtés des 2 et 6 mars 2017 de la maire de Calais - ville particulièrement concernée par la question des campements de migrants - interdisant aux associations caritatives de procéder à des distributions de repas dans certains lieux du territoire communal. Ces arrêtés, pris quelque mois après le démantèlement de la "jungle" de Calais en octobre 2016, visaient les "occupations abusives, prolongées et répétées de groupes d'individus [...] aux fins de distribution de repas aux migrants de différents lieux de la ville, dont la zone industrielle des Dunes et le Bois Dubrulle".
"Il n'appartenait qu'au préfet de prendre de telles décisions"
Dans ses arrêtés, la maire de Calais faisait valoir notamment que ces rassemblements engendrent des risques de tensions interethniques, de violences, de rixes ou de dégradations. Au lendemain de ces arrêtés, des associations d'aide aux migrants avaient introduit une demande auprès de la commune afin que soient néanmoins autorisées des distributions de repas dans la zone industrielle des Dunes. Devant le refus de la maire de Calais, signifié le 9 mars, les associations concernées avaient déposé un référé-liberté devant le juge administratif. Dans une décision du 27 mars 2017, celui-ci avait alors suspendu les deux arrêtés et la décision de refus, en faisant valoir qu'ils portaient "une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir" et faisaient obstacle "à la satisfaction par les migrants de besoins élémentaires vitaux".
Dans sa décision du 16 décembre 2019 – soit près de trois ans après le référé-liberté – le tribunal administratif de Lille se prononce sur le fond et annule les deux arrêtés. Le jugement ne prend pas véritablement position sur l'existence ou non de risques de troubles à l'ordre public, mais s'en tient à une question strictement juridique. Il considère en effet que "le maire de Calais était incompétent pour prendre les arrêtés attaqués". La décision rappelle ainsi que "la police étant étatisée dans la commune de Calais, il n'appartenait qu'au préfet de prendre de telles décisions afin de prévenir la réitération" d'éventuelles "atteintes à la tranquillité publique". En revanche, les juges administratifs rejettent la demande des associations visant à l'annulation de la décision de la maire en date du 9 mars 2017, par laquelle elle avait refusé, après ses deux arrêtés, la réouverture d'un lieu pour la distribution de repas.
Un impact pratique limité, mais une question récurrente
En pratique, le jugement du tribunal administratif de Lille n'aura qu'un impact limité. D'une part, parce que la situation sur le terrain n'est plus la même qu'en mars 2017, lorsque se multipliaient, au plus fort de la crise migratoire, les tentatives de reconstitution de la "jungle" de Calais. Si les difficultés sont loin d'avoir disparu, elles n'ont plus en effet la même ampleur qu'à l'époque. D'autre part, l'État a repris en main la situation en décidant d'organiser lui-même, en mars 2018, les distributions de repas aux migrants, déléguées en pratique à des associations.
Ce n'est pas la première fois que la justice administrative se prononce ainsi sur la situation des migrants à Calais. En juin 2017 – donc quelques semaines après les arrêtés contestés –, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, après avoir constaté l'état sanitaire déplorable de certaines des personnes sans-abris présentes à Calais, avait enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune concernée, d'une part, de créer dans des lieux facilement accessibles aux migrants, plusieurs points d'eau leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines et, d'autre part, d'organiser un dispositif d'accès à des douches. Une ordonnance de référé confirmée par le Conseil d'État le 31 juillet 2017.