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Commande publique - Trop belle pour être honnête : l'offre anormalement basse

Sur son site internet relooké, la direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l'Economie vient de publier une fiche pratique consacrée à "l'offre anormalement basse". Ce texte en prose devrait vite trouver son public, car les acheteurs connaissent bien le problème : des offres trop belles pour être honnêtes, qu'on hésite à accepter de crainte d'un service défectueux. Mais refuser sans un motif sérieux est l'assurance de se retrouver au tribunal. Et quand par là-dessus, le directeur des affaires financières vous explique qu'il n'y a plus un sou dans les caisses... L'affaire a de quoi décontenancer le plus consciencieux des acheteurs.
La fiche de la DAJ met du droit sur ces états d'âme. Elle rappelle que ni le code ni les directives européennes ne définissent l'offre anormalement basse. Seule une bonne connaissance de la jurisprudence et du marché sur lequel on achète évite de faire trop d'erreurs. Mais la qualification se fait toujours au cas par cas, après – et cela est obligatoire – avoir donné au candidat concerné la possibilité de s'expliquer (article 55 du Code des marchés publics).
Cette qualification est difficile : un prix faible ne suffit pas à exclure une offre. Celui-ci peut s'expliquer par une évaluation différente du temps de travail nécessaire ou par la faible qualification des équipes dédiées. Il n'est pas non plus possible d'exclure automatiquement une offre sur la base d'un seuil fixé en amont (par exemple 30% en dessous de l'évaluation). De plus, la comparaison avec le prix moyen proposé par les autres candidats n'est pas non plus la garantie d'avoir affaire à une offre anormalement basse : l'auteur de l'offre peut être le seul à ne pas avoir participé à une entente. Enfin l'acheteur doit s'assurer que l'entreprise "respecte ses obligations sociales", notamment en matière de rémunération (la DAJ ne précise pas comment...).
Tous ces éléments constituent des indices permettant de déclencher la procédure prévue à l'article 55 du Code des marchés. Il faut en effet, systématiquement, en cas de suspicion d'offre anormalement basse, consulter l'entreprise : le candidat doit pouvoir faire valoir son point de vue et démontrer le sérieux de son offre. Ensuite, soit l'acheteur est convaincu et l'offre redevient "normale", soit pas. Dans ce second cas, la décision de rejet doit être motivée.
Si retenir une offre anormalement basse n'est pas, en soi, une décision illégale, le pouvoir adjudicateur prend cependant des risques en agissant ainsi souligne Bercy : il risque d'abord d'être contraint de conclure plus tard des avenants qui renchérissent le coût total du marché. Il risque ensuite d'avoir un résultat de mauvaise qualité voire d'être obligé de relancer une procédure pour entrepreneur défaillant. Concernant le travail au noir, la DAJ rappelle la nouvelle obligation établie par la loi du 17 mai 2011 de simplification du droit : tout contrat écrit passé par une personne morale de droit public doit désormais prévoir qu'une pénalité peut être infligée aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en ce domaine.
Enfin,  on ne négligera pas le risque juridique à accepter une offre anormalement basse. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé, 18 février 2011, qu'un "pouvoir adjudicateur avait méconnu ses obligations de mise en concurrence et d'égalité d'accès aux marchés publics" en ne permettant pas au candidat évincé de s'expliquer. Ainsi, si on oublie  de demander des explications, la décision d'attribuer le marché à un autre candidat est irrégulière. L'entreprise peut alors obtenir une indemnisation si elle avait des chances sérieuses de remporter le marché.