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Commande publique - L'Autorité de la concurrence sanctionne un cartel dans le secteur de la signalisation routière

L'Autorité de la concurrence vient de prononcer de lourdes sanctions à l’encontre de huit entreprises du secteur des panneaux de signalisation routière. Ces entreprises, dont des acteurs majeurs du secteur, se sont entendues entre 1997 et 2006 sur la répartition et sur les offres de prix de la quasi-totalité des marchés lancés par les collectivités publiques françaises. Au total, les membres du cartel on été sanctionnés à hauteur de 52,7 millions d'euros. Deux autres entreprises ont été condamnées à une amende de 2.229.000 euros pour abus de position dominante sur le marché des équipements de sécurité et de balisage en plastique et sur celui des films plastiques rétroréfléchissants.

Une entente sophistiquée

En 2007, le Conseil de la concurrence s'est saisi d’office de pratiques de concertation organisées sur les marchés de signalisation routière passés par l'Etat, les collectivités territoriales et les services chargés de la gestion d'autoroutes. Cette décision est particulièrement intéressante pour les acheteurs car une perquisition menée en mars 2006 lors d'une réunion du "club" avait révélé que les entreprises membres se réunissaient très régulièrement et se répartissaient les marchés publics selon des règles préétablies figurant dans un document intitulé "Règles". Cette "Bible", reproduite dans la décision de l’Autorité de la concurrence, fixait les prix et les remises tarifaires qui pouvaient être accordées aux acheteurs et établissait une "liste noire" destinée à exclure certains revendeurs jugés indésirables. D'autres documents, intitulés "Patrimoines", répartissaient les marchés à bons de commande qui devaient revenir à chaque entreprise de l'entente. En cas de non-respect des règles de fonctionnement, les contrevenants se voyaient infliger des pénalités financières. Des compensations étaient également prévues en cas de "dysfonctionnement" de l'entente, c'est-à-dire lorsque la collectivité qui avait lancé l'appel à concurrence n’attribuait pas le marché à l’entreprise désignée.

Quelles réparations pour les personnes publiques ?

Les sanctions pécuniaires prononcées par l’Autorité de la concurrence sont versées au Trésor public et non aux victimes d'une pratique anticoncurrentielle. Les collectivités publiques peuvent toutefois demander réparation du préjudice qu'elles ont subi auprès du juge administratif. Il est possible d’agir sur le fondement du dol - manoeuvre destinée à tromper une personne et à l'amener à conclure un contrat à des conditions désavantageuses - afin d’obtenir des dommages et intérêts (voir l'arrêt du Conseil d’Etat du 19 mars 2008, n°269134). Mais il est également possible de demander au juge de constater la nullité du contrat (voir l'arrêt du tribunal administratif de Bastia du 6 février 2003, SARL Autocars Mariani C/ département de la Haute-Corse). Dans cette hypothèse, la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) recommande d’attendre que le contrat ait été entièrement exécuté. En effet, "le contrat déclaré nul ne pourra plus faire naître d'obligation à la charge des parties. En conséquence, les parties ne seront pas tenues d'en faire application et ne pourront plus en demander l'exécution. S'il s'agit de travaux, la déclaration de nullité avant l'achèvement total de la prestation aura de lourdes conséquences". Si le juge administratif prononce l’annulation, la personne publique peut obtenir le remboursement de toutes les sommes déboursées pour l'exécution du contrat. Le cocontractant peut néanmoins demander une indemnisation basée sur la théorie de l'enrichissement sans cause, à condition de prouver l’existence d’un accord de la personne publique sur les prestations réalisées et de démontrer l'utilité des prestations fournies pour la personne publique.

Un conseil général partie civile

Le délai de prescription pour agir est celui de droit commun (cinq ans à compter de la signature du contrat). Il est toutefois conseillé d'agir "dès que la décision de l'Autorité de la concurrence est devenue définitive (c'est-à-dire après un éventuel recours devant la cour d'appel de Paris ou un pourvoi en cassation) ou dès que l'acheteur public dispose d'informations lui permettant d'engager une action en nullité devant le juge administratif".
Il est à noter que suite à une décision du Conseil de la concurrence condamnant une entente dans le cadre de plusieurs marchés publics routiers (décision n°05-D-69 du 15 décembre 2005), le tribunal de grande instance (TGI) de Rouen a accepté, par un jugement du 11 septembre 2008, qu’un conseil général se porte partie civile à l'occasion d'une action pénale engagée par le procureur de la République. Le TGI a en outre statué sur la demande d’indemnisation du conseil général de Seine-Maritime qui a obtenu 4,95 millions d’euros d’indemnités. Cette affaire constitue une première en matière de marchés publics mais pourrait se généraliser.

L’Apasp

Références : communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence ; décision 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale ; guide de la DGCCRF destiné aux acheteurs publics et aux élus locaux : "L'Action civile en réparation des pratiques anticoncurrentielles".
 

Entente illicite et abus de position dominante

Les pratiques anticoncurrentielles sont définies aux articles L.420-1 et L.420-2 du Code de commerce. Lorsqu'il présume l'existence d'une pratique anticoncurrentielle, l'acheteur public a la possibilité d'éliminer les offres illicites des entreprises soupçonnées. Mais attention : tant que la preuve de la pratique anticoncurrentielle n'est pas apportée, les candidats bénéficient d'une présomption de comportement licite. Hormis les cas où la pratique anticoncurrentielle paraît évidente, le pouvoir adjudicateur aura tout intérêt à saisir la direction départementale de la concurrence et à surseoir à toute décision en attendant la décision des juges ou de l'Autorité de la concurrence.