Investissements - Travaux publics : le "retournement", ce n'est pas pour maintenant
La bonne santé affichée par Eiffage mardi 13 mai (+4,5% de son chiffre d'affaires au premier trimestre), n'est que l'arbre qui cache la forêt. Car derrière les géants du BTP (Eiffage, Bouygues, Vinci), une multitude de PME vivent des heures difficiles. "Le retournement n'est pas là", a alerté ce même jour Bruno Cavagné, le président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), lors d'une conférence de presse. Fédération qui, rappelle-t-il, regroupe 8.000 entreprises dont 90% ont moins de 50 salariés. Selon lui, 2014 sera une annus horribilis.
Confirmant ses prévisions de novembre, la fédération s'attend en effet aux plus mauvais résultats obtenus depuis 1997-1998 avec une baisse du chiffre d'affaires de 4% (après -3% en 2013). 12.000 emplois pourraient être détruits cette année.
Depuis le pic de 2007, l'activité n'a cessé de se détériorer. Elle accuse ainsi une baisse de 21% sur sept ans. Malgré un léger regain de forme en 2013 du fait des élections municipales (de nombreux maires ont entrepris des travaux, notamment de voirie), les carnets de commande sont au plus bas. En rythme annuel, les marchés plongent de 8,7%. "Les lots d'appels d'offres sont tous dans le rouge", constate Bruno Cavagné. Un recul qui devrait se poursuivre dans les prochains mois avec le remplacement des équipes municipales (dans une commune sur deux) et de la phase d'audits qui va suivre.
Baisse de 6% de l'investissement local en 2014
Aujourd'hui, les entreprises de travaux publics vivent à 70% de la commande publique et les collectivités pèsent pour 44% dans leur chiffre d'affaires. Deux études récentes reprises par la fédération, l'une de Standard&Poors et l'autre de la Banque postale, convergent vers une baisse de l'investissement local de l'ordre de 6% en 2014.
La situation est particulièrement sensible pour les infrastructures de transport. La suspension de l'écotaxe poids lourd en octobre dernier sous la pression des "bonnets rouges" entraîne aujourd'hui un manque à gagner de 800 millions d'euros de recettes. Conséquence : le budget primitif pour 2014 de l'Agence de financement des infrastructures de transport (Afitf) est inférieur de près de 20% à celui de 2013 : -58,4% en crédits de paiement pour le maritime et le portuaire, -42,5% pour le fluvial, -36,2% pour les transports collectifs, -19,5% pour le ferroviaire. Seule exception, les routes, avec une augmentation de 6%.
Selon Bruno Cavagné, l'Aftif n'a plus que 80 millions d'euros de trésorerie. Ce qui bloquerait les négociations en cours sur les contrats de projets Etat-régions (CPER) 2014-2020 qui devaient démarrer avec le volet mobilité. "Les contrats de projets sont plantés", déclare le président de la FNTP.
Or pour la fédération, il n'y a "pas de soutien à attendre de l'investissement privé" : 331.000 logements ont été mis en chantier en 2013, quand le gouvernement en voulait au moins 500.000 par an.
Des réponses avant l'été
Les perspectives s'assombrissent un peu plus avec les baisses de dotations de l'Etat aux collectivités de 11 milliards d'euros d'ici à 2017. Ainsi, les dépenses d'investissement des collectivités pourraient chuter de 8% à 34% d'ici trois ans, en fonction du scénario plus ou moins optimiste envisagé par une étude de la Banque postale. Dans l'hypothèse "optimiste", 14.200 emplois seraient supprimés. Mais le "scénario noir" table sur une destruction de 58.600 emplois. Un scénario loin d'être exclu par la fédération "si le gouvernement ne prend pas la mesure de ce qui est en train de se passer".
Pour Bruno Cavagné, la situation est tout bonnement " catastrophique". "La baisse des dépenses publiques, tout le monde est d'accord là-dessus, mais on a tout fait en même temps, on est en train de balayer un pan de l'activité", fustige-t-il, tout en mettant en garde contre une dégradation de l'ensemble des réseaux qui faisaient jusqu'ici la force de l'attractivité du pays. Il attend à présent de la "cohérence" et un calendrier. "Depuis dix-huit mois, on ne vit que d'effets d'annonces", dénonce-t-il.
Avenir de l'écotaxe, allongement des concessions d'autoroutes, financement des grands projets annoncés (canal Seine Nord, LGV Lyon-Turin, Bordeaux-Dax), financement du Grand Paris : la liste est longue des sujets pour lesquels la FNTP réclame des "décisions" au gouvernement. Et plus particulièrement à sa ministre de tutelle, Ségolène Royal, qui clôturera jeudi 15 mai le Forum des travaux publics, au lendemain de la remise du rapport Chanteguet de la mission d'information sur l'écotaxe. La FNTP espère que la nouvelle ministre de l'Ecologie saura débloquer auprès de Bruxelles le plan de relance autoroutier qui a fait l'objet d'un accord avec les opérateurs l'automne dernier. "Il faut qu'avant l'été, on ait des réponses à toutes ces questions", demande Bruno Cavagné.
A l'occasion du forum, la fédération proposera par ailleurs à Ségolène Royal un "pacte de responsabilité" avec l'Etat et les partenaires sociaux. En guise de contreparties, "aujourd'hui, pour nous, il s'agit de ne pas créer de chômage supplémentaire", précise Bruno Cavagné, ajoutant que ce sera "extrêmement compliqué". "Il y a des dépôts de bilan. Mais pas des grosses boîtes, beaucoup de petites entreprises en milieu rural."