Trajectoire de réduction de l’artificialisation : feu vert du Sénat pour un nouveau round d’assouplissements
La proposition de loi "visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux" dite Trace, a été adoptée, en première lecture, après un vote solennel au Sénat ce 18 mars. Sa mesure phare est l’octroi aux collectivités de la possibilité de se fixer elles-mêmes une trajectoire "crédible" pour atteindre la sobriété foncière, avec un premier jalon non chiffré fixé à 2034. En éludant l’accompagnement en financement et en ingénierie réclamé par les élus locaux, le texte pourrait toutefois rater sa cible.

© Capture vidéo Sénat/ François Rebsamen
Le Sénat a largement adopté, par 260 voix pour et 17 contre, en première lecture, ce 18 mars, la proposition de loi "visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux" dite Trace, des sénateurs Guislain Cambier (UC-Nord) et Jean-Baptiste Blanc (LR-Vaucluse), fruit de leur rapport d’étape présenté début octobre 2024. Quatre ans après la loi Climat et Résilience, et en dépit de premiers assouplissements apportés par la loi "ZAN 2" du 20 juillet 2023, la Chambre haute a donc remis le couvert, déterminée à éclipser le terme de "ZAN", synonyme de "repoussoir".
Il s’agit d’inverser la logique "descendante" de territorialisation des objectifs, en permettant aux régions, de fixer leur propre trajectoire de réduction de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf), avec un premier jalon intermédiaire repoussé à 2034. La mesure phare propose donc de faire sauter le verrou d'au moins 50% d’artificialisation d’ici à 2031, tout en conservant en ligne de mire la neutralité foncière en 2050. Le texte permet aussi d’exempter certaines constructions du décompte de l’artificialisation des sols, jusqu’en 2036. Et ce dans plusieurs domaines jugés prioritaires, tels que l’industrie, le logement social et les infrastructures de production d'énergie renouvelable. Autre assouplissement attendu : le report des dates butoirs de modification des documents d’urbanisme pour y inclure les objectifs de réduction de l’artificialisation.
Une course sans obstacle d’ici l’été ?
"Merci, au nom de tous les maires, ruraux et urbains, de leur avoir redonné la main, la liberté", s’est félicité, l’un des auteurs du texte, Guislain Cambier, se disant confiant sur la suite du débat parlementaire. Examinée en procédure accélérée, la proposition de loi devrait en effet atterrir à l'Assemblée nationale avant l’été, comme le ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, François Rebsamen, s’y est engagé. Malgré des points de divergences importants, le gouvernement a d’ailleurs soutenu certaines orientations du texte "dès lors qu'elles tendaient à simplifier". Avec par exemple, le maintien au-delà de 2031 de la méthode actuelle de calcul -comptabilisation en Enaf - plus souple et bien connue des élus locaux, ou encore le report de 2031 à 2034 du jalon intermédiaire. A l'issue du vote solennel, le ministre a réitéré "sa confiance dans la navette parlementaire pour bâtir un dispositif qui concilie le nécessaire développement des territoires et le respect d’une trajectoire de sobriété foncière dont de nombreuses collectivités se sont d’ores et déjà emparées".
La partie n’est donc pas terminée…D’autant que plusieurs travaux sont en cours. Une mission d’information sur l'articulation des politiques publiques ayant un impact sur l'artificialisation des sols, menée par Sandrine Le Feur, devrait en particulier rendre ses conclusions à la fin du mois. La députée du Finistère et présidente de la commission du développement durable annonce déjà la couleur. "Le Sénat vote un détricotage inadmissible du ZAN avec la loi Trace : après des années de travail, on demande aux élus locaux de revoir entièrement leurs copies. Multiplication des dérogations, artificialisation incontrôlée… On ne laissera pas faire ça à l'Assemblée nationale", a-t-elle réagi sur le réseau X.
La "Trace" fait fausse route
Repoussée par les associations de protection de l’environnement, l’initiative sénatoriale ne soulève guère plus l'enthousiasme des acteurs locaux. Ainsi, la Fédération nationale des SCoT, la Fédération des Parcs naturels régionaux et l'Institut de la transition foncière appellent, dans un communiqué commun, les parlementaires "à répondre aux vrais besoins des collectivités territoriales" en termes de fiscalité, financement, ingénierie, car "ce sont là les véritables priorités". Des "sujets de fond" que la proposition de loi Trace "ne règle pas", déplore le trio d'organisations, qui rappelle également que les élus locaux "attendent de la stabilité pour travailler".
"La dynamique est lancée, les démarches déjà bien avancées dans les territoires", insiste-t-il, chiffres à l’appui : de nombreuses régions ont validé leurs documents d’aménagement régionaux, les Hauts-de-France, la Normandie, la Bretagne, l’Ile-de-France, la Nouvelle Aquitaine, la Bourgogne-Franche-Comté. Les élus locaux ont déjà intégré la trajectoire de sobriété foncière dans 5% des SCoT, 40% sont en cours de révision tandis que 24% de territoires complémentaires sont en négociations politiques et 28 % des PLU/PLU(i) font l’objet d’une révision pour intégrer les objectifs de la loi . "Toute nouvelle modification, la 3ème en 4 ans, mettrait en grande difficulté la majorité des territoires qui ont déjà intégré la trajectoire de sobriété foncière ou sont en cours de le faire", avec le "risque de fragiliser juridiquement les documents d'urbanisme, ouvrant la porte à la multiplication des contentieux".
"Plutôt que de cautionner l’artificialisation croissante des sols, il est urgent d’accompagner et de soutenir les collectivités qui s’engagent activement dans la sobriété foncière", tant en ingénierie territoriale qu’en financements, soutiennent également la Fondation pour la Nature et l'Homme (FNH), la Ligue de protection des oiseaux (LPO), France Nature Environnement (FNE), Notre Affaire à Tous (NAAT) et Terre de Liens.
A gauche de l’hémicycle, seul le groupe communiste s’est prononcé en faveur du texte porté par la droite sénatoriale. "Cette proposition de loi rassurera les élus locaux sans les exonérer de leurs responsabilités", a ainsi estimé la sénatrice Cécile Cukierman (CRCE). Les socialistes se sont en revanche abstenus tandis que les écologistes s’y sont fermement opposés. "Pourquoi s'embêter à garder une loi ZAN 3 ? L'abrogation aurait été plus simple, car plus personne n'y croit, dans sa mouture actuelle", a ironisé Ronan Dantec (GEST), épinglant "une loi à contretemps. Une prime pour les mauvais élèves, pour ne pas dire les sauvageons !" alors que "la plupart des régions ont intégré dans les Sraddet ou s'apprêtent à le faire l'objectif de moins 50 %, y compris des régions de droite comme la Normandie et les Hauts-de-France".
"Il serait difficile de se dire satisfait du texte soumis au vote aujourd'hui, texte de détricotage et d'insécurité juridique", a de son côté réagi le sénateur socialiste Christian Redon-Sarrazy. "Ce qu'attendent les élus, c'est un accompagnement et une adaptation de la fiscalité - un chantier laissé en friche par le gouvernement, alors que nous n'avons eu de cesse de faire des propositions, toutes systématiquement rejetées. Ces manques ne sont pas comblés par les quelques éléments positifs arrachés en séance. Certes, les Enaf, mieux maîtrisés par les élus locaux, sont retenus mais ils ne permettent pas de prendre en compte la fonctionnalité des sols", a-t-il également regretté.